3. Les personnages secondaires
Ce sont les personnages absents aux veillées et que
nous connaissons par le truchement de leur donsomana raconté par Bingo.
Il s'agit de Fricassa Santos, de la mère et du marabout de Koyaga, et
des cinq autres dictateurs.
3.1. Fricassa Santos ou la démocratie
avortée
Fricassa Santos est totem boa. Il est de ce point de vue, un
homme « inoffensif » et « innocent » car il «
était différent, très différent des autres
pères de la nation et de l'indépendance des républiques
africaines francophones. » (p. 84). Il ne fut pas un ancien
combattant comme Koyaga et ses confrères dictateurs, ces «
mercenaires qui avaient passé toute leur vie de soldats de fortune
à guerroyer contre la liberté des peuples colonisés
» (p. 78). Chef d'Etat de la République du Golfe
indépendante, il s'est opposé à l'intégration des
anciens combattants paléos dans la jeune armée nationale. En
effet, il a accédé au pouvoir par la voie des urnes, et «
n'était pas un père de la nation et de l'indépendance
inventé et fabriqué par la France et par le général
de Gaulle » (p. 81). En pleine guerre froide, Fricassa Santos a
choisi le camp des Non-alignés. Ce qui va lui coûter la vie car il
n'est soutenu par aucune puissance mondiale. De plus, il est un homme politique
naïf, qui n'a pas su voir le mal venir de loin. A l'approche du danger, il
ne prit pas des mesures idoines pour se défendre en renforçant sa
sécurité, mais fit confiance en ses propres forces magiques
(p.91). Fricassa Santos incarne bien les nationalistes assassinés ou
renversés du pouvoir par les anciens combattants soutenus par les
puissances occidentales pour réduire de nouveau l'Afrique au
néocolonialisme.
89
3.2. Nadjouma et Bokano
Nadjouma, la mère de Koyaga et Bokano, son marabout,
ont joué un grand rôle dans le destin extraordinaire du dictateur.
L'histoire de Koyaga est indissociable de celle de ces deux personnages dont
les forces magiques constituent le socle du régime du dictateur.
Nadjouma est une femme-homme. Championne de lutte, elle est
belle, courageuse. Elle est la représentation d'une reine mère
qui règne au travers de son fils. « Tant qu'elle vivra, le
monde restera à votre portée... » assura, Bingo
à Koyaga (p. 40). Effectivement, Koyaga trouve toujours la solution
à ses importants soucis après avoir passé des moments dans
la chambre de sa mère. Car « Nadjouma est la racine qui pompe
la sève qui nourrit le régime du maître chasseur Koyaga
» (p.297). C'est une femme surnaturelle dont « les cris de
douleurs qu'elle poussa quand elle était en gésine continuent
encore de hanter les cimes des montagnes... » (p. 24).
Précisons qu'elle est une sorcière qui sera exorcisée et
désensorcelée par les méthodes particulières et
infaillibles du marabout Bokano : les gifles et la flagellation.
Quant à Bokano, disons que c'est un marabout
superstitieux et esclavagiste. Il est un charlatan qui exploite les talibets
venus étudier auprès de lui. « Les talibets disciples
libérés de la sujétion du minimum de cinq prières
journalières disposaient de tout leur temps pour besogner. »
au profit de Bokano. Aux cotés du dictateur Koyaga, ce marabout joue un
rôle de premier plan : il soutient son régime dictatorial par des
pouvoirs magiques fondés notamment sur un aérolithe et un vieux
coran. Kourouma a fait du personnage de Bokano une illustration parfaite des
proches parents des dictateurs africains postcoloniaux. En effet, ces derniers,
les proches parents, constituent la classe des plus riches du pays. La
concupiscence de Bokano particulièrement, se confirme dans le chapitre
20, spécialement à travers de fulgurantes asyndètes (p.
298) : « Et aussi des maîtresses dans toutes ces villes [Paris,
New York, Bruxelles]. Il va deux fois par an à la Mecque pour le hadj et
le umra. ».
90
Dans l'Afrique postcoloniale, les marabouts et les sorciers
ont joué un rôle important dans la destinée des dictateurs.
Dans le roman, il n'y a pas un seul dictateur qui n'ait pas son marabout
personnel, considéré souvent comme un ministre d'Etat.
|