1.2. La satire politique : le Héros in-humain / le
Héros- Diable
Le passage de l'espoir à la désillusion est
marqué par la corruption de l'épopée. En fait,
l'épopée dans En attendant le vote des bêtes sauvages
est hypertrophié et invalidé dès les premières
lignes du donsomana, le récit purificatoire. En effet,
l'ambiguïté des paroles de Bingo et surtout la franchise de celles
de Tiécoura, le cordoua, le bouffon, qui semble d'avance
invalider l'éloge, constituent des signes précurseurs de la
retractatio satirique du style épique. Dans ce cas, nous sommes
en présence d'un héros in-humain ou héros-Diable.
Sans humanité, le héros-Diable est barbare, tyrannique,
sanguinaire et ses exploits constituent une calamité pour le Peuple. Il
s'agit en réalité d'une épopée
dégradée d'un nouvel Hercule aux prises avec des glossines,
épopée inversée d'un enfant qui très vite ne
restreint plus sa chasse aux animaux nuisibles, empêchant au contraire
les tourterelles de « jouir du repos ». « Quelles
étaient l'humanité, la vérité, la nature de cet
enfant ? », demande insidieusement Bingo.
Héros In-humain
(Diable)
Héros Sur-humain
(Sauveur)
Les désillusions politiques
Humain
Sympathique Sadique
Tendre Cruel
Véridique Menteur et fabulateur
Généreux Méchant
Epopée Satire
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Schéma 4 : Pic du passage de
l'épopée à la satire dans En attendant le vote des
bêtes
sauvages
Le schéma 4 montre le passage de
l'épopée à la satire, une représentation
littéraire des désillusions politiques postcoloniale dans
l'oeuvre.
La satire est définie par le Robert Collège
comme « un long poème où l'auteur attaque les
défauts, les ridicules de ses contemporains ». En effet, par
une pseudo-épopée, Kourouma fait une exposition critique des
dictateurs africains de la période postcoloniale. En attendant le
vote des bêtes sauvages est une oeuvre satirique qui souvent
provoque le rire. L'empereur Bossouma est un personnage super drolatique et
comique (pp. 237-239).
Kourouma dénonce par la voix de Bingo, le très
doué griot, le mensonge de l'Histoire, les tromperies de
l'épopée qu'il est censé chanter. Cette
épopée est dite ironiquement et est
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tournée en dérision puis transformée en
satire. A moins d'être l'héroïsation d'un criminel, en
prétendant faire l'éloge de sa gloire militaire,
l'épopée, dans En attendant le vote des bêtes sauvages,
fait montre de l'illusion du réel, que la satire
déconstruit.
En effet, Bingo, tout en rapportant l'épopée, la
dénonce. En racontant le combat de Koyaga avec les montres qui hantaient
les paléos, Bingo commence à suggérer les vraies raisons
de son succès : « Toujours armé de votre carabine 350
Remington magnum... » (en début de paragraphe), « le
coup de la 350 Remington magnum part pour la troisième fois. »
L'allusion se fait plus précise au sujet du caïman : « le
héros d'Indochine, le tireur d'élite, par trois fois encore vise
et fait feu... ». La fin de ce récit montre que Koyaga est
plus un assassin qu'un héros sauveur car il ne s'est pas «
contenté (notons le caractère paradoxal de cette
formulation) de faire passer de vie à trépas les quatre
monstres qui terrorisaient tous les pays paléos »: «
Avec votre Remington magnum [...] Vous avez tué, rendu orphelins et
veufs un lot d'antilopes, de singes, de sangliers... ». Les termes
employés, en humanisant les victimes, présentent ces «
exploits » comme des crimes et le héros comme un criminel.
Ainsi seront dénoncés la dictature, les conneries, les mensonges,
et les crimes de Koyaga et des autres dictateurs.
Par cette satire, Kourouma dresse un tableau
général de la politique dans l'Afrique postcoloniale. Il
dénonce donc le régime policier (p. 302), la terreur milicienne
(les Lycaons) et les pratiques violentes (l'émasculation) (pp.98-122),
le militarisme (Koyaga est soldat et s'est nommé général ;
Bossouma s'est autoproclamé maréchal ; le dictateur au totem
léopard est nommé général), les
détournements d'argent, moeurs débridées des dirigeants
(Koyaga possède une femme dans chaque ethnie pour assurer l'unité
de la nation pp. 299-393), le culte de la personnalité, les faux
attentats (cinquième veillée) et la propagande
généralisée.
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Si la combinaison de l'épopée et de la satire
montre les désillusions politiques marquées par l'arrivée
au pouvoir des dictateurs, la conciliation de l'écriture et de
l'oralité provoque une déstabilisation sémantique, qui
symbolise la déchéance et les instabilités politiques
postcoloniales.
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