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Ecriture et politique dans "en attendant le vote des bêtes sauvages " d'Ahmadou Kourouma

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par Kossi Wonouvo GNAGNON
Université de Lomé Togo - Maà®trise en lettres 2009
  

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3. L'écriture de Kourouma : une écriture idéologique et politique

Nous avons dit dans les définitions consacrées au concept d'écriture, que toute écriture développe absolument une idéologie. Il en est de même pour l'écriture de Kourouma. L'écriture elle-même devient une réalité formelle dans laquelle se lit facilement la réalité thématique. Cela n'est possible que par l'idéologie de l'engagement de la forme.

3.1. Le culte de la forme ou l'idéologie de l'engagement formel

L'écriture de Kourouma présente une structure formelle brisant les traditions littéraires. La forme est désormais au service du fond. Kourouma tente de briser l'arbitraire du signe pour établir une interdépendance entre le fond et les formes littéraires. Les caractéristiques du texte postcolonial, que nous venons d'étudier plus haut, sont les signes manifestes de l'engagement formel dans En attendant le vote des bêtes sauvages. En réalité, la rupture que le romancier opère par rapport aux écrivains traditionnels s'est faite sur fond d'une idéologie de la forme.

Le choix de l'écriture déstructurée et éclatée s'oppose à l'unité du système d'écriture classique. Si toute écriture s'impose en s'opposant, l'écriture de Kourouma, particulière et iconoclaste, s'impose par les profonds renouvellements qui l'affectent. N'oublions pas que l'esthétique kouroumalienne est née de la révolution des formes antérieures. Les nouvelles formes expriment donc l'aspiration de l'écrivain postcolonial à la liberté totale, culturelle et linguistique. La polyphonie discursive adoptée dans la plupart des oeuvres postcoloniales est

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le signe de la nécessité de la liberté d'expression. Ce qui n'était pas le cas dans la période coloniale.

Si nous soutenons que l'écriture de Kourouma dans l'oeuvre est idéologique, c'est parce l'écrivain postcolonial voue un culte à la forme qu'il crée et recrée immanquablement. Ce qui compte désormais, c'est la forme et non les idées. Ce qui est aussi intéressant est que les idées nouvelles de liberté, d'intégration, de démocratie se trouvent incrustées dans les signes de la littérature postcoloniale.

3.2. De l'engagement formel à l'engagement politique

Le roman de Kourouma raconte une fable politique. Si la politique est avant tout ce qui concerne la société, la politique est donc le matériau principal de la littérature chez Kourouma. Qu'il s'agisse de l'écriture de la violence, de l'obscène, de la caricature des figures du pouvoir, ou de la révision de l'Histoire..., la politique devient le champ d'investigations de cet écrivain africain postcolonial. Ses romans constituent des illustrations intéressantes de la mise en scène de la politique en littérature.

Venu à l'écriture avec Les soleils des indépendances57, Ahmadou Kourouma était jusque-là inconnu du monde littéraire. OEuvre de circonstance, Les soleils des indépendances sont devenus aujourd'hui un classique de la littérature africaine. Entre violence et conciliation, violence à la langue française qu'il désacralise d'ailleurs par une libération par rapport à l'orthodoxie linguistique occidentale, et conciliation de l'écriture et de l'oralité, non seulement Ahmadou Kourouma innove son style d'écriture, mais encore il ouvre une ère nouvelle au roman négro-africain, lequel est fait désormais de liberté de ton dans la forme, et d'engagement réel, politique dans le fond.

57 Ahmadou KOUROUMA, Les soleils des indépendances, Université de Montréal, Canada, 1968, Paris, Seuil, 1970.

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Au fond, Les soleils des indépendances décrivent l'effondrement des structures traditionnelles après la colonisation, l'appauvrissement accéléré des populations en zones rurales et surtout les déceptions qu'ont causées les simulacres d'indépendances, qui «comme une nuée de sauterelles tombèrent sur l'Afrique ». Déception au niveau des espoirs d'amélioration du niveau de vie, et surtout déception au niveau des libertés politiques. Pierre Soubias note à ce propos que ce « roman peut se lire comme une longue récrimination, cristallisée justement autour du thème de l'indépendance »58. De toute évidence, le roman négro-africain a changé de cible avec Les Soleils des indépendances, qui « démode tant d'écrits antérieurs »59 par sa thématique nouvelle, qui fait la représentation des déchirements sociopolitiques des Etats africains indépendants, ainsi que par son écriture innovante et révolutionnaire.

Le deuxième roman d'Ahmadou Kourouma, Monnè, Outrages et Défis60, confirme son ambition scripturale et sa vocation de recréer le roman négro-africain en dénonçant les aberrations politiciennes. En effet, ici, dans cette oeuvre, Ahmadou Kourouma se propose de présenter une image vivante de ce que fut la colonisation du Soudan occidental en particulier, et celle de toute l'Afrique subsaharienne en général, tout en restant fidèle à son langage sec mais libéré et resémantisé.

Enfin que ce soit dans En attendant le vote des bêtes sauvages ou dans Allah n'est pas obligé61, Ahmadou Kourouma pousse à la consécration sa vocation exceptionnelle de dire ou de penser l'Afrique, de la montrer dans toute sa nudité (histoire, politique, tradition). La dimension politique des ouvrages d'Ahmadou Kourouma est corroborée par un remarquable

58Pierre SOUBIAS, "Les soleils des indépendances, la magie du désenchantement" in Notre Librairie. Revue des littératures du Sud. N° 155-156. Identités littéraires. Juillet-décembre 2004. p. 12.

59 Ibid., op. cit., p. 11

60 Monnè, outrages et défis, Paris, Seuil, 1990.

61 Allah n'est pas obligé, Paris, Seuil, 2000.

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travail sur la langue, "l'aboutissement de toute une recherche sociologique, d'une imprégnation dans la culture et dans la langue de mon pays" disait-il lui-même dans Le magazine littéraire n°390, septembre 2000.

Bien plus encore, dans ses deux derniers romans, Kourouma s'affirme comme étant un être politique au sens large du terme, et en tant qu'écrivain,

« Il ne peut fermer les yeux ni sur la société dans laquelle il vit ni sur les communautés humaines qui coexistent avec lui dans le monde. Se taire

équivaudrait parfois à n'être plus un homme digne de ce nom »62.

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