5. La subversion des codes : de
l'intertextualité à l'architextualité en passant par
l'hypertextualité
L'écriture kouroumalienne est complexe aussi bien en
termes de structure qu'en termes de langue. On note donc à
l'intérieur du roman, En attendant le vote des bêtes sauvages,
la coexistence de plusieurs codes. L'écriture et l'oralité
font partie intégrante d'un même système alors qu'elles
sont initialement deux discours aux perspectives antagonistes. De même,
la fiction et l'épopée sont conciliées. Le roman de
Kourouma est devenu un mélange des contraires posant ainsi des
problèmes d'intertextualité, d'hypertextualité et
d'architextualité.
5.1. L'intertextualité
Gérard Genette définit l'intertextualité
« par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs
textes, c'est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la
présence effective d'un
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texte dans un autre.»50. Pour Michael
Rifaterre, « L'intertexte est la perception, par le lecteur, de
rapports entre une oeuvre et d'autres qui l'ont précédée
ou suivie » tandis que Julia Kristeva analysant la
phénomène intertextuel écrit que : « Tout texte
se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et
transformation d'un autre texte »51.
En effet, dans le roman de Kourouma, on peut relever d'autres
textes incorporés sous forme de citation, d'allusion, qui sont des
formes d'intertextualité. A la page 164, Nkoutigui Fondio, le
président de la République des Monts a repris les mots
célèbres de Sékou Touré :
« Non à la communauté ! Non à la
France ! Non au néocolonialisme ! L'homme en blanc
préférait pour la République des Monts la pauvreté
dans la liberté à l'opulence dans la soumission ».
Par ailleurs, un vers de Senghor est cité à la
page 169 et est repris plusieurs fois dans l'oeuvre : « Savane noire
comme moi, feu de la mort qui prépare la re-naissance » comme
slogan du socialisme africain.
D'autre part, à la lecture de Kourouma, on pense bien
à Voltaire. Ce rapprochement entre les deux auteurs se situe au niveau
du style : l'humour et l'ironie voltairienne se retrouve dans l'écriture
de Kourouma.
5.2. L'hypertextualité : la révision de
l'Histoire
L'hypertextualité s'entend par Gérard Genette
comme « toute relation unissant un texte B (hypertexte) à un texte
A antérieur (hypotexte) sur lequel il se greffe »52.
Pour Kourouma, l'Histoire est mensonge. De ce fait, son ambition est de la
réviser et la réécrire. En effet, la diégèse
dans le roman est greffée sur la période s'étendant de
1880 aux années 1990, c'est-à-dire de la Conférence de
Berlin à l'avènement de la démocratisation en Afrique
subsaharienne. Nous pouvons alors dégager de l'oeuvre le
procédé de fictionnalisation de
50 Gérard GENETTE, Palimpsestes,
Paris, Editions du Seuil, 1982, p. 8.
51 Julia KRISTEVA,
Séméiôtikè, Paris, Seuil, 1969, p. 85.
52 Gérard GENETTE, op. cit., p. 11.
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l'hypotexte historique. Toute la diégèse se
fonde sur l'Histoire que Kourouma tente de questionner.
Les circonstances de l'assassinat de Fricassa Santos,
président démocratiquement élu de la République du
Golfe, sont révélées par la nouvelle Histoire de l'Afrique
que Kourouma écrit. Il y dévoile des aspects inouïs. Par la
voix de Bingo, il note à la page 99 que : « Les
non-initiés, par ignorance, douteront de cette version des faits
». C'est pourquoi Kourouma nous donne effectivement une autre version
des faits sociopolitiques qui ont marqué l'Afrique indépendante.
Ainsi a-t-il entrepris de réécrire la vraie histoire des
dictateurs, de leurs peuples et de leurs proches et collaborateurs.
Pour nous rendre compte de la présence de l'Histoire
dans cette oeuvre, les personnages, l'espace et le temps sont des
repères et des indices historiques. La délocalisation des faits
historiques qu'opère le romancier contamine les catégories
romanesques qui s'affichent alors comme des connotateurs de mimésis et
attestent la présence de l'Histoire dans le roman.
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