2.2. L'écriture de la violence
Au-delà de la violence de l'écriture, Kourouma
essaie de mettre en scène la violence au travers d'une thématique
qui décrit les crises déchirant le peuple noir. Pour Mwatha
Musanji Ngalasso,
« L'écriture de la violence apparaît
alors comme une façon de lutter, avec les mots, contre la
décrépitude de la pensée, le cynisme des idéologies
et l'absurdité des actions de ceux qui ont en charge le destin de leurs
concitoyens ; comme une thérapeutique collective de la conscientisation
des citoyens-lecteurs »47.
Ahmadou Kourouma, dans Allah n'est pas obligé
par exemple, dénonce un univers social violent, un imaginaire
singulièrement débridé. Il s'agit de stigmatiser, par une
forme d'écriture, la déchéance continuelle des
sociétés africaines, en traitant des thèmes comme
l'esclavage, le racisme, le colonialisme, la dictature, le népotisme, la
marginalisation, et en mettant en scène des personnages types :
administrateur, militaire, policier, missionnaire, chef d'Etat, ...etc.
De ce fait, il est à comprendre que Kourouma entreprend
tout simplement d'évoquer dans En attendant le vote des bêtes
sauvages les épisodes les plus sanglants de l'Histoire de l'Afrique
postcoloniale. Si ce ne sont pas les crimes et les délits qui nous sont
présentés, c'est donc soit la magie ou la sorcellerie, ou
carrément la politique incarnée par la violence
idéologique. L'écriture ou la représentation de la
violence passe obligatoirement par un champ d'expressivités dans lequel
on retrouve l'horreur, le cynisme, le sarcasme.
Kourouma nous décrit donc la scène horrible de
l'assassinat de Fricassa Santos, le Président démocratiquement
élu de la République du Golfe, par Koyaga et ses lycaons :
« Le Président saigne, chancelle et s'assied
dans le sable. Koyaga fait signe aux soldats. Ils comprennent et reviennent,
récupèrent leurs armes et les déchargent sur le malheureux
Président. Le grand initié Fricassa Santos
47 Mwatha Musanji NGALASSO, « Langage et
violence dans la littérature africaine écrite en français
», in op. cit., pp. 73-74.
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s'écroule et râle. Un soldat l'achève
d'une rafale. Deux autres se penchent sur le corps. Ils déboutonnent le
Président, l'émasculent, enfoncent le sexe ensanglanté
entre les dents. C'est l'émasculation rituelle [...] Un dernier soldat
avec une digue tranche les tendons, les bras du mort... » (pp.
100-101).
Koyaga était à la tête d'une milice
terrible : les lycaons. Ahmadou Kourouma nous fait ainsi leur portrait à
la page 95 :
« Les lycaons encore appelés les chiens
sauvages sont les fauves les plus méchants et féroces de la
terre, si féroces et méchants qu'après le partage d'une
victime chaque lycaon se retire loin des autres dans un fourré pour se
lécher soigneusement, faire disparaître de la pelure la moindre
trace de sang. »
D'autre part, c'est des scènes de tortures que Kourouma
nous présente, orchestrées par des chefs d'Etats dictateurs,
criminels et tortionnaires. A cet effet, il y a des prisons
spécialisées régies par des geôliers barbares et
sans humanité. C'est le cas de la prison de Saoubas dans la
République des Ebènes dirigée par le député
Sambio, « le cruel tortionnaire qui, sous la torture, fait
reconnaître par l'accusé les faits et les preuves établies
par le directeur de la Sûreté », et de la prison de
Ngaragla dans le Pays aux Deux Fleuves, régie par le colonel Otto
Sacher.
En définitive, Kourouma a développé dans
En attendant le vote des bêtes sauvages une écriture de
crise. Michel Naumann, lui, parle déjà d'une nouvelle
littérature africaine qu'il qualifie de « littérature
voyoue »48. La problématique de la violence est au
centre de la littérature postcoloniale africaine de sorte que la
violence est représentée dans l'écriture même qui la
représente. Désormais, c'est une esthétique
réaliste pure que développe la littérature postcoloniale,
caractérisée également par l'écriture de
l'obscène.
48 Michel NAUMANN, Les nouvelles voies de la
littérature africaine et de la libération (une littérature
voyoue), Paris, L'Harmattan, 2001.
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