1.2. Le pluriel du `'Je» narratif et le dialogisme
discursif
Le `'Je» dans l'oeuvre est polysémique et les
`'Je» se confondent pratiquement. Le `'Je» du personnage principal
Koyoga s'oppose à celui du Sora Bingo. En fait, Koyoga vient seulement
parfois pour justifier ou pour compléter une partie de l'histoire. Le
sora l'interpelle beaucoup plus par `'Vous». Tout au long de l'histoire,
Koyoga est interpellé. Cela se voit clairement dès les
premières phrases du roman :
« Votre nom : Koyoga ! Votre totem : faucon ! Vous
êtes soldat et président. Vous resterez le président et le
plus grand général de la République du Golfe tant qu'Allah
ne reprendra pas (que des années encore il nous en préserve !) le
souffle qui vous anime. Vous êtes chasseur ! Vous resterez avec
Ramsès II et Soundiata l'un des trois plus grands chasseurs de
l'humanité. Retenez le nom le nom de Koyoga, le chasseur et
président-dictateur de la République du Golfe ». (p.
9)
Dans tous les cas, le `'Je `' dans l'oeuvre devient une vision
globalisante des idées plurielles. En effet, de la page 19 à 20
le `'Je» de Tchao, le père de Koyoga, semble se confondre avec
celui de Koyoga lui-même. Tout cela fonde une complexité au niveau
des instances énonciatives, mais ne fait que préciser la
nouveauté du style kouroumalien.
Par ailleurs, il se trouve également dans l'oeuvre un
dialogisme discursif illustré par les répliques entre les
personnages dont les points de vue se confrontent. Nous proposons ci-dessous le
schéma argumentatif des pôles du système narratif dans
l'oeuvre.
Dénonciation des actes de Koyaga
et Vérité de l'Histoire
Le Sora (Bingo)
et
Le Cordoua Tiécoura
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Koyaga et
Maclédio
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Justification des actes de Koyaga et Mensonge de
l'Histoire
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Schéma 3 : Schéma
argumentatif des pôles du système narratif dans
l'oeuvre.
Le schéma 3 montre bien la
problématique de l'énonciation et de dialogisme dans l'oeuvre.
La problématique énonciatoire dans les
écritures postcoloniales suggère la question de la liberté
d'opinion. C'est le signe de l'éclatement de la pantopie colonialiste et
bientôt de celui des partis uniques dans l'Afrique indépendante.
Il est donc aisé de constater que, dans En attendant le vote des
bêtes sauvages, le dynamisme de l'écriture relève
d'une aporie : la cohérence narrative est disloquée par la
fragmentation du discours, mais cette fragmentation, provoquée par la
prise de parole de nombreux narrateurs, correspond apparemment à leurs
tentatives de donner plus de force cohésive à l'histoire qui est
en train d'être racontée. Justin K. Bisanswa fait remarquer
à ce propos que « Le discours qui traverse la narration est un
corps morcelé qui n'arrive plus à se rassembler
»42, et tout en assumant la tâche difficile de
porter remède à la rupture survenue dans la cohérence du
réel, l'écriture est prise dans un
42 J. K. BISANSWA, Le corps au carrefour de
l'intertextualité et de la rhétorique, Études
françaises, p. 107.
36
mouvement vertigineux de segmentation de l'unité
narrative. Bakhtine fait notamment constater que :
« Dans la polyphonie romanesque, diverses
idéologies se font entendre, assumées ou interrogées par
les diverses instances discursives (personnages,
auteur), mais qu'aucune idéologie ne s'institue ni
ne se présente comme telle »43.
En fait, il existe une problématique
énonciatoire du sujet postcolonial, victime de l'ambivalence culturelle,
linguistique et identitaire. C'est pourquoi il est aussi difficile de nommer
par une écriture homogène les personnages du roman. Par une
rupture de la linéarité narrative, qui donne le signe de
clôture et d'un discours encyclopédiste unique, le texte de
Kourouma instaure une pluralité d'idées, un discours pluriel
où plusieurs figures prennent positions et concourent à une
vision globalisante et sans limite d'une thématique nouvelle. Il s'agit
donc d'une ouverture dialogique. Ainsi la situation finale est-elle souvent
laissée ouverte afin de permettre au lecteur d'imaginer les suites
possibles...
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