2.3. De la politisation de l'écriture à
l'engagement politique de l'écrivain
Parlant de la problématique de l'engagement de
l'écrivain dans son époque et du destin social de son art, l'un
des théoriciens de la littérature institutionnelle, Jean- Paul
Sartre écrit :
« Nous voilà conduits par la main jusqu'au
moment où il faut abandonner la littérature de l'exis
pour inaugurer celle de la praxis. La praxis
comme action dans l'histoire et sur l'histoire, c'est-à-dire
comme synthèse de la relativité historique et de l'absolu moral
et métaphysique, avec ce monde hostile et amical, terrible et
dérisoire qu'elle nous révèle, voilà notre sujet.
Je ne dis pas que nous ayons choisi ces chemins austères, et il en est
sûrement parmi nous qui portaient en eux quelque roman d'amour charmant
et désolé qui ne verra jamais le jour. Qu'y pouvons-nous ? Il ne
s'agit pas de choisir son époque mais de se choisir en elle.
»37
Si l'exis, en grec, est
l'état ou la manière d'être, et que la praxis
est l'action, Jean-Paul Sartre appelle à la fusion de la
littérature et de l'action débouchant directement sur
l'engagement politique de l'écrivain. A cet effet, l'écriture
institutionnelle n'est plus qu'une écriture de l'action, donc
orientée, codée, conventionnelle. Qu'il s'agisse de l' «
écriture bourgeoise » ou de l' « écriture de la
Négritude », l'écriture n'est plus neutre, sans classe, ou
tout simplement perçue comme un acte politique ; mais, elle devient
l'expression d'une intention politique qui n'est déjà plus celle
du langage littéraire, d'autant plus qu' « elle
[l'écriture] est alors chargée de joindre d'un seul trait la
réalité des actes et l'idéalité des fins
»38. Ce qui fait que le mot devient un prétexte
à l'écrivain qui choisit d'intimider ou de glorifier, de
condamner ou de justifier, une idéologie. De nature politique,
l'écriture peut jouer aussi un rôle politique.
36 « Léopold Sédar Senghor par
lui-même », Propos recueillis par Edouard J. MAUNICK, in
Notre Librairie, « 1250 nouveaux titres de littérature
d'Afrique noire » Revue des littératures du Sud, n° 147
janvier-mars 2002, p.9.
37 J-P SARTRE, Qu'est-ce que la littérature
? IV, Situation de l'écrivain en 1947 (Librairie
Gallimard, éditeur)
38 Roland BARTHES, Le degré zéro de
l'écriture, Paris, Edition du Seuil, 1953, p. 22.
Tout compte fait, il est possible de lire dans le destin
même des écritures, les mutations politiques, et
« L'écriture étant la forme
spectaculairement engagée de la parole, contient à la fois, par
une ambiguïté précieuse, l'être et le paraître
du pouvoir, ce qu'il est et ce qu'il voudrait qu'on croie : une histoire des
écritures politiques constituerait donc la meilleure des
phénoménologies sociales »39.
La politique est donc le domaine de définition de
l'écriture. Alors, il est possible de parler de la politicité et
de la politisation de l'écriture. C'est fondamentalement ces deux
problématiques que nous entreprenons d'expliquer dans En attendant
le vote des bêtes sauvages d'Ahmadou Kourouma. Mais avant cela, nous
allons montrer que le roman africain postcolonial dévoile une
écriture idéologique et politique.
28
39 Ibid., op. cit., p.24.
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