B- Le droit d'amendement du Parlement.
Jean-Pierre Camby et Pierre Servent définissent
l'amendement « comme une suggestion de modification partielle dans le
cadre d'une procédure réglementée et destinée
à être soumise au vote de cette assemblée. Il
prévoit en effet soit la modification du texte débattu, soit un
ajout à celui-ci »56. La question ici est de savoir
si l'assemblée nationale peut au moment d'accorder son autorisation
à ratifier, suggérer des réserves ou des modifications que
le président de la République devra formuler au moment de la
ratification.
Contrairement au Règlement de l'Assemblée
nationale française qui stipule clairement à son article 128 que
« Lorsque l'Assemblée est saisie d'un projet de loi autorisant
la ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord international
non soumis à ratification, il n'est pas voté sur les articles
contenus dans ces actes, et il ne peut être présenté
d'amendement. L'Assemblée conclut à l'adoption, au rejet ou
à l'ajournement du projet de loi. », le Règlement de
l'Assemblée nationale du Cameroun ne contient aucune stipulation
spéciale relative à la question. Il faut donc se limiter à
l'alinéa 3 de l'article 47 de ce texte qui précise que «
les amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au
texte en discussion ». On peut déduire de cette disposition
que l'Assemblée nationale n'étant pas saisie du traité
lui-même mais d'un projet de loi en autorisant la
54 Rapport de la Commission des affaires étrangères
sur le Projet de loi N° 555/PJL/AN autorisant le président de la
République à ratifier le traité relatif à
l'harmonisation du droit des affaires en Afrique signé à
Port-louis (Ile Maurice) le 17 octobre 1993, AN/CAE, juin 1994,
Inédit.
55 Ibid.
56 Jean ÀPierre Camby, Pierre Servent, Le travail
parlementaire sous la cinquième République, Paris,
Montchrestien, clefs/politique, 3ème édition, 1997, p.
77.
30
ratification, les amendements des députés ne
peuvent porter que sur le projet et en aucun cas sur le texte même du
traité ou de l'accord.
Cette interprétation est conforme à l'approche
traditionnelle qui fonde l'interdiction d'amendement à l'accord initial
sur deux raisons principales. La première, la moins déterminante
est une raison de technique juridique. Selon l'analyse classique et comme nous
l'avons déjà relevé, le Parlement n'est pas saisi
directement de l'accord international car le projet à lui soumis
n'approuve pas ledit accord mais autorise seulement la ratification, ce qui est
différent. Juridiquement, le Parlement ne se prononce pas sur l'accord,
en l'approuvant, mais sur l'autorisation de ratification, distincte de l'accord
et seule soumise à son vote, donc à son éventuel pouvoir
d'amendement. La seconde raison est que qu'il soit directement approuvé
ou qu'il fasse l'objet d'une autorisation de ratification ou d'approbation, le
texte ici concerné est, un texte dont le contenu relève de la
négociation internationale et, de ce seul point de vue, échappe
donc à la compétence du Parlement.
Le professeur Denys de Bechillon s'inscrit en faux avec cette
analyse et affirme que le Parlement peut « via le dépôt
d'une motion d'ajournement, subordonner l'autorisation de ratifier à
l'accomplissement de certaines formalités, à prise de certaines
garanties, voire à la formulation des réserves. Il n'est
même pas inconcevable qu'il induise la nécessité d'une
véritable réouverture des négociations
»57. Pour séduisante et intéressante qu'elle
soit, cette idée est contraire aux prérogatives reconnues au
président de la République par la Constitution et la
consécration par cette même Constitution, d'une compétence
parlementaire de simple attribution. C'est la position du professeur
Saïdj, bien qu'il affirme que l'on ne puisse tirer argument de
l'exclusivité de l'initiative gouvernementale pour en déduire
l'impossibilité d'amendements parlementaires ; la loi de finances bien
qu'étant du seul ressort du gouvernement, n'empêche pourtant pas
les parlementaires de jouir d'un droit d'amendement qui n'est restreint que par
les dispositions expresses de la Constitution58. Pas plus qu'il n'a
le droit d'amender l'engagement international, écrit-il, le Parlement
n'a la possibilité juridique de proposer des amendements d'orientation,
c'est-à-dire des amendements par lesquels le Parlement
préciserait la politique dans laquelle doit s'insérer la
ratification du traité ou poserait comme condition à la
ratification l'accomplissement d'actes diplomatiques déterminés
ou encore exigerait du gouvernement, éventuellement sans délai,
l'adoption ou la préparation des textes qui paraîtraient,
directement ou indirectement nécessiter la ratification du
traité. Le droit
58 Luc Saïdj Op. Cit. p. 139.
57 Denys de Bechillon Op. Cit. p. 89.
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d'amendement ouvert aux parlementaires en matière de
lois d'autorisation de ratification ou semble en définitive,
résider surtout dans le fait que ce droit permet, ou plutôt
permettrait, et encore sous des limites parfois importantes, d'assurer la
rectitude de l'autorisation parlementaire et d'éviter ainsi que
l'Assemblée nationale soit contrainte de se prononcer dans des
conditions discutables : moyen de défense beaucoup plus que moyen
positif d'initiative. L'autorisation demandée par l'Exécutif
peut, en effet, s'avérer juridiquement contestable en la forme. Au
delà des incorrections de pure rédaction, il s'agit surtout des
cas dans lesquels l'autorisation unique demandée s'appliquerait à
des engagements internationaux juridiquement dissociables ou des
hypothèses dans lequel le gouvernement inclurait dans son projet des
dispositions juridiquement distinctes de l'autorisation de
ratification59.
Telle n'est pas la pratique camerounaise et en attendant que
pareille éventualité se présente, la Commission des
affaires étrangères qui examine au fond les projets de lois de
ratification conclut presque toujours ses rapports à l'assemblée
plénière avec la même formule : « votre commission
des affaires étrangères a adopté sans amendement le projet
de loi N°... », « Elle prie maintenant la chambre entière
de bien vouloir entériner ses conclusions ». Pratiquement,
l'Assemblée nationale n'a jamais rejeté un projet de loi
autorisant la ratification d'un traité ou accord
international60. S'il faut trouver un domaine où les
élus à l'Assemblée nationale font preuve d'initiative sur
le plan international, c'est peut-être dans le domaine de ce qu'il
convient désormais d'appeler la « diplomatie parlementaire
».
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