SECTION II : UN ROLE RESIDUEL ET RESTREINT EN DEPIT DE
CERTAINES
PREROGATIVES RECONNUES
La principale intervention reconnue à
l'Assemblée nationale dans la naissance des engagements internationaux
est « l'approbation en forme législative » de l'article 43 de
la Constitution (paragraphe I) même s'il s'est développé
dans la pratique une diplomatie parlementaire dont la portée n'est pas
moins significative (paragraphe II)
Paragraphe I- L'approbation des engagements internationaux
à travers la loi de ratification.
Délaissant le débat sur la nature de la loi de
ratification47 et ayant déjà évoqué dans
les paragraphes précédents les effets et la portée de
celle-ci, nous nous intéressons ici à l'étendue de
45 Ibid. pp. 50-51.
46 David Ruzié Op. Cit. p. 12.
47 La doctrine est en effet divisée sur la nature de la
loi de ratification : pour certains auteurs tels Duverger, Niboyet ou encore
Gervais, la loi autorisant la ratification n'est qu'une « formalité
habilitante » en forme de loi dont l'absence de caractère normatif
et obligatoire la distinguerait d'une véritable loi. Pour d'autres
auteurs tels Luc Saïdj, la notion de norme semble indépendante du
nombre de destinataires, du nombre des évènements visés,
de la formulation personnelle ou impersonnelle d'une disposition.
L'autorisation parlementaire de ratification de traité n'en serait pas
moins
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l'autorisation parlementaire qui met en cause le droit
d'information du Parlement (A), d'autre part le problème des
modalités de l'autorisation parlementaire, qui soulève la
question du droit d'amendement des députés (B).
A- Le droit d'information du Parlement
Même s'il y'a quelques années encore le
traité n'était pas systématiquement joint au projet de loi
autorisant la ratification, désormais le texte même du
traité est soumis aux députés en même temps que le
projet de loi. Si cette procédure permet une information des
députés sur le texte pour lequel l'autorisation de ratifier est
requise, l'on doit s'interroger sur la communication des réserves
formulées ou à formuler par le Gouvernement à propos de
l'accord international soumis à l'examen parlementaire. Le
président de la République est-il tenu de communiquer au
Parlement les réserves et déclarations et, de manière plus
générale, toutes les limitations qu'il envisage d'apporter
à l'application des conventions ? Doit-il s'en tenir une fois le vote du
Parlement acquis, à ce qu'il a indiqué à
l'Assemblée Nationale et, en sens inverse, doit-il accomplir toutes les
formalités annoncées ?
Cette question ne s'est pas encore posée devant
l'Assemblée nationale du Cameroun mais elle le fût en 1973 devant
l'Assemblée nationale française à l'occasion des
débats sur la ratification de la Convention européenne des droits
de l'homme. Le professeur Jean-Pierre Cot, député socialiste,
soutint en séance publique que « les réserves font
partie intégrante du traité international, qu'elles doivent
être communiquées au Parlement et que le Parlement ne peut
délibérer valablement qu'au vu de la totalité de
l'engagement international». Le ministre des affaires
étrangères, monsieur Michel Jobert, reconnut certes qu'il
trouvait « naturel que, dans la mesure du possible, le Gouvernement
informe le Parlements des réserves qu'il entend faire » mais
tout en précisant que « la formulation des réserves
étant une prérogative spécifique de l'exécutif
», la communication qu'il avait faite des réserves à la
Commission des affaires étrangères n'était qu'une simple
information, sans caractère officiel, qui ne portait au surplus que sur
« le projet actuel » donc modifiable, des réserves ; si en
l'espèce, le ministre s'engageait à ne pas modifier
ultérieurement le libellé de ces réserves, il ne s'agirait
là que d'un engagement purement personnel,
« normative » en ce sens qu'elle édicte une
« règle, un principe de conduite ». Elle n'a pas de
caractère impératif parce qu'il n'est pas de la nature des normes
d'avoir un contenu juridique impératif, parce qu'il faut distinguer
règle et commandement, parce qu'à côté de certaines
normes dotées d'un contenu impératif, existent des règles
permissives ou habilitantes, qui par définition n'ont pas pour fonction
d'imposer. Voir à ce sujet Jean Dhommeaux Op. Cit. p. 834 et suivantes ;
Denys de Bechillon Hiérarchie des normes et hiérarchie des
fonctions normatives de l'Etat, Paris, Economica, 1996, p. 81 et suivantes
; Luc Saïdj Op. Cit. pp 86-93 ; « L'Assemblée nationale et
l'Union européenne », Connaissance de l'Assemblée
N° 9, février 1998, p. 32.
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insusceptible d'être considéré comme
découlant d'une obligation juridique ; à plus forte raison,
ajoutait le ministre, « le Gouvernement ne pourrait accepter que
l'autorisation de ratifier qu'il sollicite soit assortie de conditions... il
est libre de ne pas faire usage de l'autorisation qui lui a été
donnée, de n'en faire usage qu'au moment qu'il juge opportun, ou de ne
le faire que de façon partielle en formulant des réserves
»48.
La position du Gouvernement camerounais ne devrait pas
s'éloigner de celle de son homologue français car si la
Constitution impose que le Parlement soit saisi du contenu des engagements
internationaux, aucune de ses dispositions n'exige expressément que le
contenu soit celui de l'engagement international tel que
déterminé par lés éventuelles réserves et
déclarations du Gouvernement et comme l'admettait le professeur
Jean-Pierre Cot dans son intervention précitée à
l'Assemblée nationale française, il s'agit là d'une «
lacune de notre droit »49. Mais pour le professeur Luc
Saïdj, il s'agirait plutôt d'un silence qu'il semble possible de
pallier, par un certain nombre d'indices qui, pris isolément, ne sont
peut-être pas toujours décisifs, mais qui tous convergent en un
faisceau suffisamment solide pour fonder, au profit du Parlement, un droit
d'information qui n'est que la conséquence logique du texte
constitutionnel. Ces indices tiennent d'une part aux nécessités
du contrôle de constitutionnalité, d'autre part aux exigences du
contrôle parlementaire lui-même50.
Les nécessités du contrôle de
constitutionnalité découlent du fait que les réserves ou
déclarations gouvernementales peuvent avoir une incidence sur la
compatibilité entre un traité et la Constitution. D'un
côté une réserve ou une déclaration peut rendre un
engagement international incompatible avec la Constitution ; d'un autre
côté, une réserve ou une déclaration peut rendre un
engagement international compatible avec la Constitution. Pour exercer un
contrôle efficace et assurer le respect de la Constitution, le
président de l'Assemblée nationale et les députés
doivent être informés de la réserve ou de la
déclaration.
Les considérations propres à l'exigence du
contrôle parlementaire sont au moins au nombre de trois selon Luc
Saïdj51. La première de caractère
général, a trait aux nécessités d'un contrôle
démocratique sur la politique extérieure du gouvernement. A une
époque où les engagements internationaux revêtent une
importance de plus en plus fondamentale, la simple règle
démocratique conduirait à ce qu'en dehors même de toute
exigence proprement juridique, le Parlement soit
48 Débats rapportés par Luc Saïdj Op. Cit. pp.
22-23.
49 Ibid.
50 Ibid. pp. 113-116.
51 Ibid.
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spontanément tenu informé de tous les
éléments propres à former son opinion. [a deuxième
exigence du texte constitutionnel est le principe de l'autonomie du pouvoir de
contrôle du Parlement. Quelles que soient, sur le plan politique, les
bonnes volontés réciproques, il n'appartient pas sur le plan
juridique, au contrôlé de déterminer les pouvoirs du
contrôleur. Or tel est bien le cas : selon qu'une disposition juridique
est incluse dans le traité lui-même ou formulée dans une
réserve, selon que cette réserve est émise à la
signature ou à la ratification, selon que l'Exécutif juge
opportun ou inopportun d'en communiquer la teneur au Parlement, ce dernier est
informé ou n'est pas informé, informé partiellement ou
complètement, du contenu juridique précis qui découle de
la position gouvernementale. [a troisième considération met en
jeu les principes de droit public. [a loi relative à la ratification est
avant tout une autorisation donnée à un texte juridique
précis, qui, dès lors qu'il sera publié, aura une
autorité supérieure à celle des lois. Or ce texte
juridique précis, ce texte « supra législatif », tel
qu'il sera notamment appliqué par le juge, ne sera pas le traité
général mais l'engagement international tel que
précisé par les réserves et déclarations du
gouvernement. Dès lors, permettre la liberté d'action du
gouvernement c'est permettre juridiquement au gouvernement de déterminer
seul le contenu du droit supra législatif applicable, alors que le
« législateur international » lui-même, au moins dans sa
volonté première, ne le peut pas puisque son oeuvre est
subordonnée à l'assentiment du Parlement ; permettre la
liberté d'action de l'Exécutif, c'est permettre à
l'Exécutif de prendre sans contrôle parlementaire ni
juridictionnel, des actes juridiques qui dans un mécanisme
d'édiction purement interne, relèveraient du seul pouvoir
législatif, voire du seul pouvoir constituant.
Ainsi au regard de la profonde novation que des
réserves peuvent faire subir aux dispositions du traité et afin
que l'autorisation parlementaire garde tout son sens52, le
président de la République doit communiquer à
l'Assemblée nationale le texte même des réserves et
déclarations qui seraient faites ou confirmées s'il
décidait d'utiliser l'autorisation parlementaire et une fois
l'autorisation parlementaire accordée, le président de la
République ne peut modifier le contenu de l'engagement en formulant de
nouvelles réserves ou déclarations, ou ce qui reviendrait au
même, en modifiant le libellé des réserves ou
déclarations antérieurement communiquées au Parlement. Ce
serait le cas échéant une atteinte directe portée au droit
d'information du Parlement ou tout au moins une discourtoisie vis-à-vis
de l'Assemblée nationale53.
53 Denys de Bechillon Op. Cit. pp 89-90.
52 Jean Dhommeaux Op. Cit. pp. 840-841.
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Le manque d'information des députés au Cameroun
n'est pas toujours imputable au pouvoir Exécutif mais est
également dû à l'intérêt très
inégal des parlementaires caractérisé par une
extrême brièveté des débats ou une absence des
débats même si, comme l'ont déjà relevé
à maintes occasions les députés, en omettant de
déposer la version anglaise du traité, « ce qui ne
permet pas à l'ensemble des membres de votre commission des affaires
étrangères d'en prendre bonne connaissance
»54, ou en ne déposant le traité qu'à
quelques jours du délai de ratification obligeant les
députés à donner leur autorisation dans l'urgence alors
que « l'importance du traité méritait que ce document
leur soit distribué longtemps avant la tenue de la commission
»55, le gouvernement ne permet pas une totale information
des parlementaires en même temps qu'il exclut de fait tout
véritable amendement.
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