WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Des identités de papier à  l'identité biométrique

( Télécharger le fichier original )
par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

E/ S. ET MARPER C. LE ROYAUME-UNI (2008) :

LE COUP D'ARRÊT DE LA COUR

EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME

L'arrêt de la Cour de Strasbourg du 4 décembre 2008891, premier de ce genre, pourrait marquer un changement d'attitude parmi les juges qui ont, jusque-là et dans un climat sécuritaire, fait preuve d'une tolérance plutôt grande pour les bases de données biométriques892. La Cour a alors conclu à l'unanimité à la violation de l'art. 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) par le Royaume-Uni en jugeant que la conservation des empreintes digitales, des profils ADN et des échantillons, qualifiées de « données personnelles » au sens de la Convention n°io8893, lorsqu'elle est générale et indifférenciée, constitue une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et contraire aux principes démocratiques.

Le Royaume-Uni, qui a transposé la directive 95/46/CE par le Data Protection Act de 1998, détient non seulement la base de profils ADN la plus importante d'Europe, mais est aussi « le seul Etat membre à autoriser expressément la conservation systématique et illimitée des profils ADN et des échantillons cellulaires de personnes qui ont été acquittés ou pour qui les procédures judiciaires ont été suspendues » (§47) ainsi que le seul « à autoriser expressément la conservation systématique et illimitée à la fois des profils et des échantillons relatifs aux personnes condamnées » (§48) -- l'Ecosse ayant à ce sujet des règles plus strictes8 . Au ler septembre 2005, la base nationale d'ADN du Royaume-Uni contenait 181000 profils génétiques d'individus qui auraient eu droit à la destruction de leurs profils

891 CEDH, arrêt du 4 décembre 2008, S. et Marper c. Royaume-Uni, n° 30562/04 et 30566/04 (le jugement, dont nous traduisons quelques extraits, est en anglais).

892 Eric Posner et Adrian Vermeule, qui défendent un impératif de déférence et de soumission des juges vis-à-vis des décisions de l'exécutif en temps d'urgence et de crise, soulignent qu'une fois l'urgence passée, les juges reprennent souvent de leur aplomb et s'opposent alors à certains actes décidés par l'exécutif, rétablissant ainsi l'équilibre entre sécurité et liberté. Cf. Posner, Eric A. et Vermeule, Adrian, Terror in the Balance. Security, liberty and the courts, Oxford University Press, 2007.

893 Convention sur la protection des données du Conseil de l'Europe STE 108 de 1981.

894 Selon le Criminal Procedure Act de 1995, les échantillons ADN et les profils génétiques doivent être détruits en Ecosse en cas d'acquittement. Une loi de 2006 autorise néanmoins la conservation des échantillons biologiques et des profils pour une durée de trois ans si la personne est soupçonnée de certaines infractions sexuelles ou violentes, même si elle n'est pas condamnée. Le chief constable peut ensuite demander une prolongation de la durée de conservation de ces données pour une durée de deux ans.

antérieurement aux réformes législatives de 2001 (§92). Le gouvernement s'est défendu lors de ce procès en affirmant que la conservation des données personnelles provenant des requérants ne dépendait pas de « leur innocence ou de leur culpabilité », mais avait pour « seule raison (...) d'augmenter la taille et, par conséquent, l'utilisation de la base de données pour l'identification des personnes en infraction dans le futur » (§123).

Selon la Cour, la « vie privée » est « une notion large, non susceptible d'une définition exhaustive, qui recouvre l'intégrité physique et morale de la personne (..) Elle peut donc englober de multiples aspects de l'identité physique et sociale d'un individu.(..)Le simple fait de mémoriser des données relatives à la vie privée d'un individu constitue une ingérence au sens de l'article 8 » (§66-67). Elle avait déjà jugé que la simple mémorisation de données personnelles, qu'elles soient utilisées ou non, constituait une atteinte à l'art. 8 de la Convention européenne des droits de l'homme protégeant la vie privée895. En revanche, la CEDH avait admis en 2006 que l'Etat pouvait imposer un prélèvement ADN aux personnes condamnées pour des infractions d'une certaine gravité896

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 318

895 Voir CEDH, arrêt du 29 juin 2006, Panteleyenko c. Ukraine, n° 11901/02

896 CEDH, décision du 7 décembre 2006, Van der Velden c. Pays-Bas, n° 29514/05.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 319

1. Les faits et la procédure judiciaire au Royaume-Uni

Né en 1989, S., âgé de onze ans, fut arrêté en janvier 2001 pour tentative de vol, et on lui préleva ses empreintes digitales et des échantillons ADN. Il fut acquitté en juin 2001. L'autre requérant, Michael Marper, avait été arrêté en mars 2001 pour harcèlement à l'égard de sa compagne, et on lui préleva également ses empreintes digitales et des échantillons ADN. Mais en juin 2001, l'affaire fut classée sans suite, Marper s'étant réconcilié avec son amie.

Les deux requérants demandèrent alors la destruction de leurs échantillons ADN et de leurs empreintes digitales, ce qui fut refusé par la police, puis par le tribunal administratif, dont la décision fut maintenue en appel en septembre 2002, par une majorité de deux voix contre une. La loi britannique permet en effet la conservation des échantillons sans limite de durée. Lors du procès à Strasbourg, les requérants ont souligné que pas moins de 56 agences non policières ont accès au Police National Computer (PNC), lié au SIS (système d'information Schengen), sur lequel leurs données ont été enregistrées, dont des groupes privés tels que British Telecom, l'Association des Assureurs britanniques et certains employeurs (§87).

Dans son jugement, Lord Waller justifiait la conservation des échantillons biométriques, et non des simple gabarits. Soulignant les craintes de certains qu'à l'avenir ces échantillons puissent révéler des informations sur la « propension d'un individu à commettre certains crimes », qu'ils puissent être utilisés pour d'autres finalités suite à une réforme législative, ou encore qu'ils soient utilisés dans un cadre extra judiciaire, il précisait que les risques encourus étaient inférieurs à l'utilité publique de la conservation des échantillons, qui permet notamment des analyses ultérieures à des fins judiciaires de prévention des crimes. Il rappelle que tout changement législatif devrait être conforme à la CEDH, et qu'on ne « peut présumer de l'illégalité » (unlawfullness must not be assumed); une position « naïve », dirait la CNCDH897. Au contraire, Lord Sedley affirmait dans son opinion dissidente que les

897 « Or compte tenu de l'efficacité de ces procédés, il est naïf de raisonner comme si tous les utilisateurs potentiels allaient s'en tenir aux limites de leur mandat. » (CNCDH, avis du ier juin 2006 sur l'insertion d'éléments biométriques dans la carte nationale d'identité, précité). Il s'agit-là, bien

commissaires de police devraient systématiquement détruire les échantillons biométriques dès lors qu'ils étaient assurés de l'innocence de la personne.

La Chambre des Lords rejeta la demande d'appel des requérants en juillet 2004, au motif que la section 64 de la loi de 1984 (Police and Criminal Evidence Act), modifiée par le Criminal and Justice Act de 2001, avait était votée suite au scandale provoqué dans l'opinion publique par l'impossibilité d'utiliser des preuves génétiques contre des suspects de meurtre et de viol, puisque ceux-ci avaient déjà été acquittés au moment de leur identification génétique. La section 64, telle que modifiée en 2001, permet la conservation des empreintes digitales et des échantillons, prélevés lors d'une enquête judiciaire, y compris après qu'ils aient remplis la fonction pour laquelle ils avaient été prélevés (§97). Lord Steyn, qui rédigea la décision de la Chambre des Lords, donna l'exemple d'une affaire en 1999 où une personne avait été condamnée pour viol suite à son identification génétique alors que l'échantillon prélevé (et marqué « I ») aurait du être détruit -- on note au passage que l'argument de Lord Steyn contredit l'optimisme de Waller selon lequel on ne peut « présumer de l'illégalité ». La Chambre des Lords avait alors considéré qu'un échantillon conservé illégalement en vue d'enquêtes judiciaires pouvait néanmoins être admis comme preuve lors d'un procès, la question de son admissibilité étant déléguée au juge

concerné8 8.

Les requérants, quant à eux, affirmaient que la conservation de leurs données biométriques créait un climat de suspicion à leur égard, ce à quoi le conseil du secrétaire du Home Office déclara que « pareille conservation n'avait rien à voir avec le passé, c'est-à-dire avec l'infraction dont la personne avait été acquittée, mais visait à faciliter les enquêtes sur des infractions futures »899. Lord Steyn (de la Chambre des Lords) cita ainsi quatre raisons pour lesquelles on ne pouvait considérer disproportionné la conservation des échantillons:

-- les empreintes digitales et échantillons ADN n'étaient conservées que pour des finalités limitées d'enquête judiciaire;

entendu, d'un point clé du débat sur les fichiers de police -- et sur les « mesures de police » en général. 898 Attorney General's Reference (n°3 de 1999), [2001], 2 AC 91, cité au §29 de l'arrêt de la CEDH. 89911 s'agit ici d'une citation indirecte du secrétaire du Home Office présente dans le jugement.

320

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 321

elles n'avaient aucune utilité tant qu'elles n'étaient pas comparées à un échantillon prélevé sur une scène de crime;

les empreintes digitales ne seraient pas rendues publiques;

un oeil non averti ne pourrait identifier les sujets à partir de leurs données biométriques;

l'expansion conséquente de la base de données donnait un avantage considérable au « combat contre les crimes graves »

Il affirma ensuite qu'il valait mieux que la conservation de ces données soit de caractère général, et non fondée sur des décisions au cas par cas, car cela amènerait ceux dont les caractéristiques biométriques étaient conservées à se sentir stigmatisé. La conservation des échantillons de toute personne arrêtée était simplement, selon lui, dans l'intérêt public. Il soutint en outre que la différence entre échantillons et gabarits n'affectait en rien cette argumentation.

La Chambre des Lords rejeta aussi la plainte selon laquelle cette conservation des données serait à caractère discriminant, en vertu de l'art. 14 de la CEDH, puisque la différence de traitement avec les personnes qui n'ont jamais subi de telles procédures ne tenait pas à leur statut personnel, mais au simple « fait historique » de l'enregistrement de ces données personnelles.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 322

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld