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Des identités de papier à  l'identité biométrique

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par David Samson
Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009
  

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3.La directive du 21 février 2006: l'orientation des contrôles sur des zones et l'effectivité du droit et des mesures de police

Bien que tout étranger puisse être interpellé, à tout moment, afin de justifier la régularité de son séjour, le contrôle a posteriori des tribunaux s'effectuant à partir de la notion de « signe extérieur d'extranéité », les contrôles des titres de séjour (qu'ils soient menés en vertu de l'art. L6ii-i du CESEDA ou selon le Code de procédure pénale) ont tendance à se concentrer sur des zones déterminées, à l'instar des contrôles préventifs (art. 78-2-3), davantage que sur des individus. Ainsi, la circulaire du 21 février 2006, qui rappelait l'importance de la régularité dans l'interpellation afin de ne pas encourir le risque d'annulation de la procédure, conseillait de cibler les contrôles non pas sur des individus déterminés, ce qui obligerait à faire appel à l'appréciation subjective des forces de l'ordre du caractère « manifestement » étranger d'un individu, mais sur des zones ciblées: « les procureurs de la République feront procéder (...) aux interpellations aux guichets de la préfecture, au domicile ou dans les logements foyers et les centres d'hébergement ». Elle conseille aussi de profiter de la zone d'indétermination entre contrôle de sécurité et contrôle de réglementation: « les parquets devront [participer à la lutte contre l'immigration irrégulière] (...) notamment lorsque la procédure administrative ne sera mise en oeuvre qu'à l'issue d'une procédure judiciaire permettant le recours à la coercition et à la garde à vue, ou qu'il aura été fait application des dispositions » de l'art. 78-2-2 « pour organiser des opérations de contrôle ciblées, par exemple à proximité des logements foyers et des centres d'hébergement ou dans des quartiers connus pour abriter des personnes en situation irrégulière. »869 Ou encore, s'appuyant sur l'arrêt de la Cour de cassation concernant l'évacuation de l'église Saint-Bernard87° : « deux opérations de police, l'une de nature judiciaire préalable à l'expulsion locative, l'autre de nature administrative relative au contrôle des occupants des locaux au titre de la législation sur le séjour des étrangers, peuvent se poursuivre parallèlement. »

869 Nous soulignons.

870 Civ. 2e, 12 nov. 1997 (précité).

Enfin, pour maximaliser le taux d' « exécution des décisions de reconduite à la frontière, il est recommandé de n'exercer l'action publique pour entrée et séjour irréguliers qu'envers les étrangers ayant aussi commis une autre infraction (...) justifiant l'engagement de poursuites ou à l'encontre de ceux faisant l'objet de recherches judiciaires ou de convocations en justice pour autres causes (...) le recours à des poursuites peut aussi être envisagé lorsqu'il est établi que la personne d'origine (sic) étrangère a pénétré sur le territoire national après avoir fait l'objet d'une procédure administrative de reconduite à la frontière. » De nouveau, le contrôle réglementaire se prolonge en contrôle judiciaire, non pas tellement afin d'identifier l'auteur d'une infraction, mais pour permettre son expulsion.

Si la personne est revenue sur le territoire moins de trois ans après avoir fait l'objet d'une reconduite à la frontière, la plupart de ses données (état civil et numéro ADGREF, mesure d'éloignement, etc.) ont pu être conservées au fichier EL018711. L'accès à ELOI est certes, en principe, subordonné aux « besoins exclusifs des missions relatives aux procédures d'éloignement » (R611-31 CESEDA): la formulation de cette finalité ainsi que la durée de conservation des données indique cependant qu'il peut être utilisé après l'éloignement effectif si l'étranger revient sur le territoire, ce que la circulaire affirme clairement puisque comment établir, sinon, qu'il ait fait antérieurement l'objet d'une procédure de reconduite à la frontière?

Derrière ce jargon administratif, qui ne parvient pas toujours à cacher la nature véritable de la politique engagée (on note le lapsus assimilant la « personne d'origine étrangère » à l'étranger), se révèle la tension entre les mesures de police visant les étrangers et le droit interdisant toute discrimination sur des critères physiques (ou d'origine ethnique). Cette tension est inhérente d'une part à une contradiction interne du droit, ce que soulignent les juristes, et en particulier à l'existence de deux régimes distincts de contrôle d'identité, l'un visant toute personne, l'autre visant les étrangers, l'un judiciaire, l'autre administratif. Toutefois, cette distinction ne saurait expliquer à elle seule la possibilité des discriminations; de plus, elle tend fortement à s'estomper, les deux registres étant utilisés indifféremment aux mêmes fins, comme le montre de façon éclatante cette circulaire du 21 février 2006 qui exige des procureurs de la

871 Cf. supra, chap. V, sec. 3, d.

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République qu'ils mettent en oeuvre leurs pouvoirs d'ordonner des contrôles d'identité en vue de la recherche d'infractions à la législation sur les étrangers.

Une autre tension, ancienne, explique cette violence persistante et irréductible au droit: c'est celle qui oppose la reconnaissance visuelle, par le face-à-face, à l'identification par l'écrit, procédure administrative qui passe par l'encartement des citoyens, mais aussi des étrangers. Pour tenter de résoudre cette contradiction, c'est-à-dire poursuivre la même politique tout en satisfaisant les conditions juridiques sous-tendant les opérations, deux solutions sont retenues. D'une part, les contrôles d'identité ont été amenés à se concentrer sur des zones, c'est-à-dire des populations, plutôt que sur des individus. D'autre part, la possibilité de faire appel à des contrôles judiciaires est progressivement étendue (ainsi avec la loi de 1993 qui évacue le critère du « comportement », bien que la jurisprudence ait contrainte les agents à motiver l'interpellation, ou l'utilisation des contrôles sur réquisitions du procureur visant des infractions à la législation sur les étrangers). Toutefois, loin de réduire la tension contradictoire, cette tentative incroyable de viser les « étrangers en situation irrégulière » sans faire appel à leur apparence physique conduit au contraire à faire porter la charge politiquement explosive de ce « double bind » sur des quartiers entiers, quels qu'en soit la population. En tentant de respecter, pour des raisons cyniques, les règles de l'Etat de droit, les directives données à la police conduisent celle-ci à opérer ce que de nombreuses associations ont qualifiées de « rafles »872, en ciblant les contrôles sur des zones « suspectes », quitte à attiser la tension sociale873.

L'effectivité des mesures de police est ici subordonnée au respect formel des règles régissant les contrôles d'identité, toute violation de celles-ci pouvant conduire à l'annulation de la procédure administrative. Il ne s'agit que de respect formel, en premier lieu parce que le contrôle de l'autorité judiciaire ne s'exerce pas sur l'acte lui-même, mais sur le compte-rendu qui en est fait par procès-verbal. Cela ne signifie pas qu'il ne s'agisse que de règles formelles n'ayant aucune effectivité réelle: au

872 Sur la polémique suscitée à l'égard de l'usage de ce terme, cf., entre autres, Blanchard, Emmanuel (2009), « Ce que rafler veut dire », Plein droit, n°81, juillet 2009; Terray, Emmanuel (2007), « 1942,2006, réflexions sur un parallèle contesté », site de la LDH-Toulon, 23 janvier 2007;

873 CNDS, avis n°2008-60, à propos de Montreuil: « La Commission estime que les contrôles qui se sont multipliés récemment tout en se rapprochant des nombreux foyers où résident des étrangers font peser une pression quotidienne en premier lieu sur tous les étrangers quelle que soit leur situation au regard de la loi, mais aussi sur des habitants de Montreuil qui en sont les témoins. »

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contraire, non seulement elles peuvent mener à l'annulation de la procédure, mais de plus, elles ré-orientent les contrôles d'identité vers des zones déterminées, des espaces, plutôt que vers des individus. Le langage du droit n'est pas, ici, une pure fiction recouvrant l'arbitraire des mesures de police, mais affecte directement la nature des ordres donnés par circulaire874. Il conduit à ré-orienter l'action policière vers des zones, des « quartiers connus pour abriter des personnes en situation irrégulière ». Ce faisant, ce sont bien des « contrôles généralisés et discrétionnaires » qui se mettent en place, nonobstant les « garanties » judiciaires, et ce en toute légalité, puisqu'ils sont effectués sous l'autorité du procureur de la République ; mais ces contrôles, au lieu d'affecter la population entière, visent des espaces déterminés, où vivent certaines catégories de la population. Mais même à l'intérieur des zones visées par les réquisitions du procureur, les contrôles ciblent nécessairement certaines personnes plutôt que d'autres; cependant, ils n'ont plus à justifier de ce ciblage, la réquisition permettant le contrôle de toute personne (ce qui est aussi valable pour le contrôle administratif, où la personne contrôlée peut n'avoir aucun lien avec les infractions antérieurement commises sur le lieu, bien que l'autorité judiciaire contrôle néanmoins le motif de l'interpellation).

874 Sur l'importance des circulaires dans l'élaboration de la politique de l'immigration et de leur rapport au droit, cf. Israël, Liora (2003), « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou l'histoire paradoxale des premières années du GISTI », Politix. Vol. 16, N°62. 2E trimestre 2003. pp. 115-143.

Chapitre V:La sécurisation biométrique des documents de voyage et d'identité p. 311

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery