2.Les contrôles de sécurité
De même, la police peut procéder à un
contrôle d'identité d'un étranger dont elle a auparavant
reçu la photographie, annexée à la copie de la
décision préfectorale l'obligeant à quitter le territoire:
la personne est alors considérée « connue
»851 La reconnaissance visuelle, ici, ne procède pas
d'une relation d'interconnaissance, mais du relevé photographique de la
personne préalablement effectué. La photographie permet alors
d'identifier la personne, identification préalable nécessaire
à l'acte d'interpellation. La numérisation des photographies
d'identité, qui permet leur conservation et leur transmission rapide,
permet ainsi d'étendre les circonstances dans lesquelles le
contrôle d'identité est jugé régulier.
Dans le cadre du contrôle de sécurité
(art. 78-2 CPP), le contrôle ne vise en principe que
l'identification de la personne. Il peut relever soit de la police
administrative (il vise alors à « prévenir » une menace
à l'ordre public852), soit de la police judiciaire (il vise
alors à poursuivre les auteurs d'un trouble ou d'une infraction ou qui
se préparaient à commettre une infraction). Un contrôle de
police administrative peut toutefois se transformer en contrôle de police
judiciaire (si une infraction est relevée lors d'un contrôle
institué à titre préventif, la personne sera
poursuivie).
L'art. 78-2 distingue quatre types de contrôles: le
contrôle faisant suite à un indice ou « une ou plusieurs
raisons plausibles » accréditant l'imminence d'une infraction
851 Civ. 2, 25 nov. 1999, pourvoi
n° 98-50.045, M. Demingha cl préfet de la Moselle (inédit).
Le requérant affirmait non seulement que le contrôle était
irrégulier au regard de l'art. 8 de l'ordonnance du 2
nov. 1945, mais aussi que les juges n'avaient pas «
répondu à ses conclusions faisant valoir que les informations
ayant servi de base au contrôle d'identité provenaient d'un
fichier illégal. » La Cour d'appel a considéré qu'en
étant « destinataires d'une copie de la décision
préfectorale invitant M. Y... à quitter le territoire national,
à laquelle était annexée une photographie de celui-ci
connaissaient l'intéressé comme étant susceptible
d'être en infraction au regard de la législation » sur les
étrangers, et que donc la « procédure d'interpellation
était régulière sur le fondement tant de l'article 78-2,
alinéa ier, du Code de procédure pénale que de l'article
8, alinéa 3, de l'ordonnance du 2 novembre
1945 modifiée ». La Cour de cassation a donc
rejeté le pourvoi, sans examiner l'argument du « fichier
illégal ».
852 Disposition introduite par la loi «
Sécurité et liberté » du 2
février 1981.
(al. 1); le contrôle sur réquisition du procureur
de la République (al. 2); le contrôle préventif (al. 3); et
le contrôle aux frontières (al. 4 et 5).
A. LES CONTRÔLES ADMINISTRATIFS (OU
PRÉVENTIFS)
Depuis la loi du 10 août 1993, les
contrôles administratifs, introduits par la loi de 1981, visant à
« prévenir une atteinte à l'ordre public » (art. 78-2
al.3), peuvent être effectué sur toute personne, « quel que
soit son comportement »853, et même si la personne
contrôlée n'a aucun lien avec les infractions
précédemment relevées dans le secteur854. Mais
selon la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel,
« l'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas,
des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte
à l'ordre public qui a motivé le contrôle » (DC
n°93323). Le juge judiciaire est de plus appelé à
contrôler cette appréciation des circonstances, ainsi que, «
s'il y a lieu, le comportement des personnes »855. De
manière générale, il considère le contrôle
régulier s'il s'effectue dans un périmètre restreint, et
que suffisamment d'éléments sérieux et concrets,
recensés dans cette zone, sont mentionnés dans le
procès-verbal: le métro en général ne constitue pas
un tel périmètre restreint, pas plus que la place du Capitole,
à Toulouse à 14h30856.
853 « L'
identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut
également être contrôlée, selon les modalités
prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte
à l'ordre public, notamment à la sécurité des
personnes ou des biens. » Cf. note de Gérard Blanc, JCP
1995 II 22494 (au sujet de l'arrêt de la
Cour d'appel de Lyon, 19 avril 1994).
854 Cour cass., 2e chambre civile, 26
avril 2001, préfet de police de Paris c. Hamdi.
855 « qu'ainsi il revient à
l'autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle de
contrôler en particulier les conditions relatives à la
légalité, à la réalité et à la
pertinence des raisons ayant motivé les opérations de
contrôle et de vérification d'identité ; qu'à cette
fin il lui appartient d'apprécier, s'il y a lieu, le comportement des
personnes concernées » (DC
n°93-323)
856 Cf. Cour cass., crim., 4 oct. 1984, et conc. de
l'avocat général Dontenwille et note de M. Roujou de
Boubée (Dalloz, 1985): l'ensemble du métro n'est pas un «
lieu déterminé » où la sûreté des
personnes est constamment menacée. Un procès-verbal ne
mentionnait que... le plan Vigipirate, ce qui a conduit à la
nullité du contrôle (Civ. 2,18 mars 1998, Bull.
n° 94, p. 57, M. Zhou c/ préfet de Police de Paris). Cf. aussi
Crim., 17 déc. 1996, n°96-82-829, Bull. crim. 1996 N° 470 p.
1366 : la Cour d'appel a justifié sa décision en constatant
l'irrégularité du contrôle d'identité d'un
prévenu (par la suite déféré pour comparution
immédiate pour entrée ou séjour irrégulier), le
procès-verbal se bornant à une référence abstraite
à de « nombreuses infractions » commises sur le lieu de
l'interpellation (place du Capitole, Toulouse, 14h30) sans invoquer aucune
circonstance particulière à l'espèce pouvant
établir la réalité du risque d'atteinte à l'ordre
public.
302
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
B. LES CONTRÔLES SUR RÉQUISITION DU
PROCUREUR
303
Le contrôle sur réquisition du procureur de la
République est autorisé sur « toute personne, dans les lieux
et pour une période de temps déterminée » par ce
dernier, dispensant ainsi la police de motiver les contrôles (art.
78-2-2). L'autorité judiciaire vérifie alors que le
contrôle a bien été opéré dans les lieux
définis857.
C. LE CONTRÔLE AUX FRONTIÈRES
Le contrôle aux frontières, limité
à une certaine zone frontalière (ainsi que certaines gares
ouvertes au trafic international, des aéroports, etc.), peut viser
« toute personne (...) en vue de vérifier le respect des
obligations de détention, de port et de présentation des titres
et documents prévues par la loi ». Le comportement de la personne
n'a pas à être, dans ce cas, pris en compte8 8.
Cependant, si le contrôle vise autre chose que la possession des titres
de séjour (par exemple une infraction à la législation sur
les stupéfiants), il doit être motivé conformément
aux alinéas 1 à 3 de l'art. 78-2859.
D. LE CONTRÔLE JUDICIAIRE ET LE «
SIGNALEMENT » : QU'EST-CE QU'ÊTRE « CONNU » DE LA
POLICE.
Un « contrôle judiciaire » (78-2 al. i) peut
être effectué s'il y a « une ou plusieurs raisons plausibles
de soupçonner » que la personne se préparait à
commettre une infraction, délit ou crime, « ou qu'elle est
susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête
» ou qu'elle « fait l'objet de recherches ordonnées
857 Cf. par ex. Civ. 2, 4 fév.
1998, Bull. N°43, p.27: la Cour de cassation considère qu'un
contrôle effectué dans le métro alors que la
réquisition du procureur ne visait qu'un terrain en surface était
effectivement irrégulier.
858 Civ. 1, 25 mars 2009, n°08-11587, Bull. 2009,
I, n° 68
859 Cass., crim., 3 mai 2007, req. N°07-81331,
Bulletin criminel 2007, N° 117
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
par l'autorité judiciaire ». C'est donc sur cette
notion de « raisons plausibles » que se concentre les
contentieux866
Interprétant la notion d' « indices » (avant
qu'elle ne soit remplacée en 2003 par celle de « raisons plausibles
»861), une circulaire évoquait alors comme exemples
« le comportement anormal de la personne » (en particulier le fait de
fuir862); « la présence de la personne sur le lieu de
l'infraction au moment où elle a été commise (...) »;
« le fait qu'il existe contre une personne des éléments
positifs montrant qu'elle a eu la possibilité matérielle de
commettre l'infraction (...), alors qu'elle a déjà dans le
passé été mise en cause, poursuivie ou condamnée
pour des faits similaires »; ou encore « le fait que la personne
avait des raisons plausibles de commettre l'infraction (par exemple elle vivait
en mauvaise intelligence avec la victime (...)). »863
Nous avons là, déjà, une
interférence entre le registre social du face-à-face et de la
connaissance de proximité et le registre de l'identification par
l'écrit: comment savoir qu'une personne a déjà
été « mise en cause » dans le passé, notion
s'approchant de l'expression « connue des services de police », sans
l'avoir préalablement reconnue et identifiée? L'identification
par l'écrit vise ici, de toute évidence, à confirmer
l'opération de re-connaissance déjà effectuée sur
le fondement de relations sociales. Or, celles-ci viennent parasiter l'ordre
juridique du contrôle: si celui-ci vise à identifier une personne
susceptible d'avoir commis ou tenté de commettre une infraction, les
indices permettant de considérer qu'il y a effectivement des «
raisons plausibles » de soupçonner tel individu incluent le fait
qu'il soit « déjà connu » et
86° Contentieux nombreux. Le contrôle
d'identité du passager d'un véhicule gênant la circulation
est, entre mille exemples, régulier (Cass., civ. 1, 15 mai 2008, req.
N°07-15361, non publié).
861 C'est la loi n°2003-239 sur la
sécurité intérieure (« loi Sarkozy ») qui a
remplacé la notion d' « indice » par celle de « raisons
plausibles ». Cela avait provoqué de vives débats en raison
du caractère large de la notion de « raisons plausibles », le
sénateur R. Badinter déclarant par exemple: « C'est parce
qu'il y a des indices qu'on a des raisons, mais si on fait disparaître
les « indices », il ne reste plus que la subjectivité. Donc,
je ne vois vraiment pas pourquoi nous devrions changer un concept connu de
notre droit. » (séance au Sénat du 7 fév.
2002 - la modification avait alors été
supprimée, avant d'être ré-introduite plus tard), ou
Dreyfus-Schmidt (PS) : « Car des « raisons plausibles », cela
peut être n'importe quoi, par exemple le délit de sale gueule .
» (séance au Sénat du 14 nov. 2002)
862 Cependant, la Cour de Casssation a pu
jugé que faire demi-tour, à la vue d'une patrouille
anti-criminalité, pour rentrer dans une voiture garée devant la
gare de Trappes, ne constituait pas un « indice » suffisant (Civ.
2,18 mars 1998, Bull. n° 93, p. 56, M. Ghouli c/
préfet des Yvelines).
863 Circulaire du 10 janvier 2002, «
application des dispositions relatives à la garde à vue
résultant de la loi du 15 juin 2000 renforçant
la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes
», Bulletin officiel du Ministère de la justice (BOMJ),
n°85, janvier-mars 2002.
304
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
identifié: la reconnaissance visuelle n'est possible
que parce que le sujet a antérieurement été
identifié par son état civil. L'opération de
contrôle tourne en boucle sur elle-même, les personnes
déjà identifiées, c'est-à-dire ayant
antérieurement été contrôlées, étant
d'autant plus suspectes, parce que reconnaissables, et donc susceptibles
d'être contrôlées.
Il ne s'agit toutefois là pas seulement d'un fait
sociologique, celui du contrôle des individus « connus des services
de police », mais d'un phénomène propre à l'ordre
juridique lui-même, qui inclut le registre de l'identification par le
face-à-face, l'opération de reconnaissance visuelle, à
l'intérieur du champ de l'identification écrite et du cadre du
contrôle d'identité. La Cour de cassation a d'ailleurs
confirmé un arrêt qui avait rejeté l'invocation de
l'irrégularité du contrôle d'identité, au cours
duquel les policiers avaient arrêté un étranger qu'ils
« connaissaient » pour avoir diligenté à son encontre,
antérieurement, une procédure ayant abouti à une
reconduite à la frontière864. Elle juge aussi que les
contrôles effectués en vertu de l'art. 78-2, lorsque la police
avait reçue de la préfecture une photographie d'une personne en
infraction à la législation sur les étrangers,
étaient réguliers865. De même, elle a pu
admettre les contrôles effectués en vertu d'un « signalement
» préalable du « suspect », même si ce signalement
provient d'une dénonciation anonyme866; des arrêts plus
récents exigent toutefois que ces dénonciations soient
corroborées867. Elle juge aussi « non
864 Crim., 7 févr. 1996, pourvoi n°
95-84.884, M. Arfaoui (inédit). Cf. aussi Cass., crim., 17 mai
1995 N° de pourvoi: 94-85231, Bulletin criminel 1995
N° 177 p. 492. S. Trassoudaine (2001) rapproche
l'arrêt de 1996 précité de l'arrêt Demingha du 25
nov. 1999 (précité), ainsi que de celui où la Cour casse
un « un arrêt qui avait prononcé la nullité du
procès-verbal d'interpellation et de toute la procédure
subséquente, alors que les agents de police judiciaire ayant
procédé au contrôle d' identité de
l'intéressé -défavorablement connu de leurs services,
faisant l'objet d'une fiche de recherches et dont ils avaient
constaté, à l'occasion de cette vérification, que, de
nationalité italienne, il était recherché en
exécution d'un arrêté d' expulsion du ministre de
l'Intérieur- connaissaient celui-ci et pouvaient
présumer qu'il commettait une infraction à la législation
relative aux étrangers. » (Crim., 16 juill. 1996, Bull. crim.
n° 298, p. 905, Procureur général près la cour
d'appel de Grenoble c/ M. Pagano).
865 Cf. arrêt Demingha du 25 nov. 1999
précité. Cf. aussi Cass., civ. 1, 6 juillet 2005, req.
N°04-50094, Bulletin 2005 I N° 310 p.
259
866 Outre les arrêts précités, cf. Cour
cass., crim., 3o juin 1993 ,n°: 93-81923
(non publié): le pourvoi, rejeté, de Gambela Cardozo mettait
pourtant en avant que le signalement (individu de « race noire » qui
« "essayait de pénétrer dans les véhicules en
stationnement ») provenait d'une dénonciation anonyme à la
police.
867 Cass., civ. 1, 31 mai 2005, req. N°04-50033 , Bulletin
2005 I N° 234 p. 197 : une femme est dénoncée anonymement,
par téléphone, pour infraction à la législation sur
les étrangers, la dénonciation fournissant son état civil
et son adresse; l'OPJ se rend à domicile, et effectue un contrôle
d'identité, la personne lui donnant son passeport, sans visa, à
la suite de laquelle une vérification au fichier national des
étrangers confirme son irrégularité. « Mais
attendu qu'une dénonciation anonyme non corroborée par d'autres
éléments d'information ni confortée par des
vérifications apportant des éléments précis et
concordants ne constitue pas une raison plausible de soupçonner qu'une
personne a commis ou tenté de commettre une infraction (...) Que c'est,
en conséquence à bon droit, que, pour
305
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
déloyale » l'interpellation d'un étranger,
sous le coup d'un arrêté d'expulsion, qui se présente
« spontanément » (sans être convoqué) dans une
préfecture pour obtenir un récépissé de titre de
séjour; la Cour d'appel soulignant que l'homme était en
l'espèce « parfaitement connu des services préfectoraux qui
pouvaient facilement l'identifier » puisqu'il « avait coutume de se
présenter spontanément tous les trois mois depuis l'expiration de
son titre de séjour le 14 janvier 2004 pour obtenir la remise de
récépissés », et que donc « l'agent
préfectoral avait reconnu Monsieur X... et a pu le désigner aux
services de police comme étant une personne en train de commettre une
infraction ; que de ce point de vue, le contrôle d'identité est
donc régulier de la part des policiers à qui Monsieur X... avait
été présenté par un fonctionnaire de la
Préfecture comme étant en infraction à un
arrêté d'expulsion »868.
prononcer la nullité du contrôle
d'identité de Mlle X..., l'ordonnance retient que sur une
dénonciation anonyme de sa présence à l'adresse
indiquée, les fonctionnaires de police ont effectué un
contrôle d'identité sur la personne qui leur a ouvert la porte,
sans procéder à la recherche préalable de renseignements
administratifs concernant l'identité de la personne
dénoncée et que dans ces conditions, il n'existait pas, en
l'état de la seule dénonciation anonyme et les premières
vérifications administratives étant seulement postérieures
au contrôle d'identité, des raisons plausibles de
soupçonner que Mlle X... commettait le délit de séjour
irrégulier en France » (nous soulignons). Cf. aussi Cass., crim.,
20 juin 2007, req. N°06-89208, non publié; Cass.,
crim., 8 avril 2008, req. N°0787718 , non publié.
868 Civ. 1, 11 mars 2009, n° de pourvoi 07-21961, Bull.
2009, I, n° 51
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p.
306
Chapitre V:La sécurisation biométrique des
documents de voyage et d'identité p. 307
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