Des identités de papier à l'identité biométrique( Télécharger le fichier original )par David Samson Ecole des hautes études en sciences sociales - Master 2 de théorie et analyse du droit 2009 |
B/ LA BIOMÉTRIE DANS L'ENTREPRISE ET LA DIGNITÉ DE LA PERSONNE
1. Analyse du jugement du TGI d'avril 2005
De cette description concise du dispositif, il est évident qu'il inclut un badge comportant les gabarits biométriques des empreintes digitales. Mais la référence, à deux reprises, à l'existence d'un « lecteur biométrique », qui vient redoubler le contrôle de vérification effectué à l'aide du badge, via l' « application du doigt sur un lecteur », permet d'inférer l'existence probable d'un système central. Le dispositif en question aurait donc stocké les données à la fois sur un badge individuel, numéroté, et dans une base centrale (le lecteur biométrique). La même ambiguïté est présente dans le commentaire de D. Touchent, qui note bien l'existence du lecteur, tout en 455 M.-L. Laffaire et T. Elm, « Biométrie, la première décision d'une longue série », Expertises, août-septembre 2005, p.299 sq. (en part. p.302), cité par Agathe Lepage, « La biométrie refoulée de l'entreprise », Corn. Corn. Elec. N°10, octobre 2005, comm. 164. 456 Nous soulignons. Chapitre N:L'intégrité du corps humain p. 175 considérant qu'il s'agit d'un système sur support individuel. Il en conclut, à tort estimons-nous, que le jugement contredit les exigences de la CNIL 457. On peut inférer de ces commentaires soit que la doctrine a présumé que le stockage sur un « lecteur biométrique » s'identifiait au stockage sur badge (ce que le jugement réfute explicitement), et ne constituait de toute façon pas un stockage sur système central. Or, le guide de la CNIL de 2007 sur l'usage des empreintes digitales inclut explicitement le stockage sur lecteur comme forme de stockage sur support centra1458. Soit « la doctrine » - les deux explications pouvant se combiner -- a tout simplement omis l'existence du lecteur biométrique sur lequel les empreintes digitales étaient aussi stockées. La formulation du jugement, qui insiste sur le système du badgeage, l'a ainsi induit en erreur, puisqu'il résulte clairement de la lettre envoyée aux employés que les empreintes digitales étaient stockées à la fois sur les badges individuels et sur le lecteur individuel : « le courrier individuel adressé aux salariés le 25 novembre 2004 qui présente le nouveau mode de gestion et contrôle des temps de présence par badgeage (...) précise que « l'empreinte partielle est stockée uniquement dans la mémoire du lecteur. »459 La société Effia utilisait donc simultanément un système stockant les données sur support individuel (badge) et dans une base de données centrales (lecteur biométrique), contrairement à ce que semble avoir inféré la doctrine. Du reste, seule cette interprétation de la description du dispositif en cause permet de comprendre l'allusion des juges, par la suite, à la « constitution d'une base de données d'empreintes digitales ». 457 La CNIL, dit-il, « estime que si l'empreinte digitale est stockée uniquement dans un support personnel comme la carte à puce, le dispositif ne pose pas de difficultés au regard de la loi « informatique et libertés ». / La société EFFIA semble répondre aux exigences de la CNIL puisque l'empreinte partielle ainsi relevée est stockée uniquement dans la mémoire du lecteur. » (Dahmène Touchent, « La mise en oeuvre d'un système de badgeage par empreintes digitales dans l'entreprise », La Semaine juridique, Entreprise et Affaires n°37, 15 septembre 21305, 1337). 458 « C'est pourquoi (...) la Commission estime nécessaire de rappeler et de préciser les principaux critères sur lesquels elle se fonde pour examiner les demandes d'autorisation des dispositifs biométriques reposant sur la reconnaissance des empreintes digitales avec un stockage sur un terminal de lecture-comparaison ou sur un serveur. » (« Communication de la CNIL relative à la mise en oeuvre de dispositifs de reconnaissance par empreinte digitale avec stockage dans une base de données », 28 décembre 2007 -- les italiques sont les nôtres). 459 Nous soulignons. Chapitre N:L'intégrité du corps humain p. 176 Dès lors, ce jugement ne permet pas d'inférer qu'un tribunal condamnerait probablement une entreprise mettant en place un dispositif à finalité semblable mais ne comportant pas de stockage central. Les seuls éléments pouvant guider la doctrine à cet égard résident dans les délibérations de la CNIL, qui limite explicitement l'usage de dispositifs fonctionnant à l'aide d'empreintes digitales (quel qu'en soit le support) à des finalités de contrôle d'accès. Néanmoins, nous avons vu que la CNIL avait pu autoriser des dispositifs stockant les empreintes digitales sur support individuel à des fins mixtes de contrôle d'accès et de contrôle des horaires46o Sur le fond du jugement, les commentateurs se sont plus ou moins divisés en deux camps, les « pros » et les « anti ». Ceux-là ont relevé d'une part que, dans cette décision, le TGI fait incomber la charge de la preuve à l'entreprise: c'est elle qui doit montrer que le dispositif est adéquat et proportionné461 Interprétation qui repose sur la phrase « il n'est pas prétendu par la société Effia Services que la seule mise en place d'un système de badge ne serait pas de nature à permettre de contrôler efficacement les horaires des salariés sans avoir recours à un procédé d'identification comportant des dangers d'atteintes aux libertés individuelles dont la nécessité n'est pas démontrée. » En d'autres termes, l'entreprise devrait démontrer que les autres dispositifs sont insuffisants; la validité de cette démonstration dépend bien entendu d'une perception préalable du risque, perception sujette à évoluer en fonction de la conjoncture sociale et politique. Rappelant les réserves de la CNIL à l'égard des dispositifs fonctionnant à l'aide d'empreintes digitales, en particulier sur support central, tout en soulignant ses autorisations lorsqu'il s'agit de répondre à des finalités sécuritaires, A. Lepage conclut ainsi par une exhortation à l'égard des juges: « Espérons que la jurisprudence saura à son tour envisager les systèmes biométriques par reconnaissance des empreintes digitales avec suffisamment de souplesse et de nuances afin de ne pas entraver de façon excessive le développement de pratiques qui, maniées avec la prudence qui s'impose, peuvent se révéler d'une grande utilité. »462 Etant donné le contexte de la décision commentée et le contenu du commentaire, on peut interpréter cela comme 46o Délib. n02006-069 du 16 mars 2006 (Brisach SAS ; empreintes digitales ; contrôle des horaires et le contrôle de l'accès aux locaux) 461 Lepage, Agathe (2005), « La biométrie refoulée de l'entreprise », Corn. Corn. Elec. N°1o, octobre 2005, comm. 164. 462 Ibid. Chapitre N:L'intégrité du corps humain p. 177 un appel discret à l'autorisation de dispositifs biométriques utilisant les empreintes digitales sur support individuel dans des contextes autres que le simple contrôle d'accès à finalité sécuritaire. Bref, une partie de la doctrine se montre sans aucun doute critique à l'égard de la CNIL, considérée comme trop frileuse à l'égard des « nouvelles technologies »463. |
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