Sur le plan juridique, l'identification
génétique est limitée par deux principes :
l'intégrité du corps humain et la dignité de la personne,
puisque celle-là présuppose un prélèvement et donc
une atteinte au corps, et, corrélativement, le principe de consentement,
prévu par la directive 95/46/CE et des dispositions
nationales44°. Celui-ci ne souffre, en droit, pas d'exception
en matière civile, tandis qu'il peut être limité en
matière judiciaire et pénale (art. 16-ii du Code civil, introduit
par la loi de bioéthique de 1994).
Cela a été validé par le Conseil
constitutionnel lors de l'examen de la « loi sur la sécurité
intérieure » de 2003, et notamment de son art. 30, insérant
l'art. 55-1 dans le Code de procédure pénale, qui autorise, dans
le cadre des enquêtes de flagrance, les « opérations de
prélèvements externes nécessaires à la
réalisation d'examens techniques et scientifiques de comparaison avec
les traces et indices prélevés pour les nécessités
de l'enquête. » Selon le cons. 55 de la décision n°
2003-467 DC :
« l'expression " prélèvement externe "
fait référence à un prélèvement n'impliquant
aucune intervention corporelle interne ; qu'il ne comportera donc aucun
procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la
dignité des intéressés ; que manque dès lors en
fait le moyen tiré de l'atteinte à l'inviolabilité du
corps humain »
440 Art. 16-ii du Code civil; art. 56 de la loi Informatique et
libertés de 1978 (modifiée en 2004). Voir aussi directive
95/46/CE, qui définit la notion de consentement comme «
toute manifestation de volonté, libre, spécifique et
informée par laquelle la personne concernée accepte que des
données à caractère personnel la concernant fassent
l'objet d'un traitement. » (art. 3). Cf. aussi art. 7,8 et 26, ainsi
que les cons. 3o et 33:
« considérant que, pour être licite, un
traitement de données à caractère personnel doit en outre
être fondé sur le consentement de la personne concernée ou
être nécessaire à la conclusion ou à
l'exécution d'un contrat liant la personne concernée, ou au
respect d'une obligation légale, ou à l'exécution d'une
mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de
l'autorité publique, ou encore à la réalisation d'un
intérêt légitime d'une personne à condition que ne
prévalent pas l'intérêt ou les droits et libertés de
la personne concernée (...)
(33) considérant que les données qui sont
susceptibles par leur nature de porter atteinte aux libertés
fondamentales ou à la vie privée ne devraient pas faire l'objet
d'un traitement, sauf consentement explicite de la personne concernée;
que, cependant, des dérogations à cette interdiction doivent
être expressément prévues pour répondre à des
besoins spécifiques, en particulier lorsque le traitement de ces
données est mis en oeuvre à certaines fins relatives à la
santé par des personnes soumises à une obligation de secret
professionnel ou pour la réalisation d'activités légitimes
par certaines associations ou fondations dont l'objet est de permettre
l'exercice de libertés fondamentales; »
Chapitre N:L'intégrité du corps humain p. 168
En d'autres termes, le Conseil constitutionnel
considère qu'il y a violation du corps lorsque les frontières
physiques du corps sont franchies, et que la dignité n'est pas mise
à mal dès lors que le procédé est indolore, non
intrusif, ni « attentatoire ». La notion de «
prélèvements externes » n'est cependant pas définie
plus précisément. Néanmoins, selon les observations du
gouvernement, cela s'opposait aux « investigations corporelles internes
» visées à l'art. 63-5 du CPP, et incluait les
prélèvements de salive ou d'empreintes digitales, ainsi que la
prise de photographies441. Pour le gouvernement, il s'agit là
d'une notion plus large que les prélèvements d'empreintes
digitales et la prise de photographie effectués dans le cadre de l'art.
78-3 du CPP. Auparavant régulés par une simple circulaire, ces
prélèvements sont donc légalisés. Quelques mois
plus tard, la Cour de cassation considère que la prise de photographies
et le prélèvement d'empreintes digitales est conforme au droit
à la vie privée dès lors qu'ils sont effectués dans
une finalité d'enquête judiciaire442. La « loi
Perben » du 9 mars 2004 (art. 109) modifie l'art. 55-1 du Code de
procédure pénale, en affirmant explicitement la
possibilité d'effectuer des relevés d'empreintes digitales ou
palmaires ainsi que de prendre des photographies « nécessaires
à l'alimentation et à la consultation des fichiers ».
La possibilité de l'examen ADN sans le consentement de
la personne n'était en rien acquise. En effet, en 2000,
la CNIL déduisait de l'art. 16-11 du Code civil « qu'un
prélèvement qui suppose un acte « invasif » sur le
corps humain, tel qu'une prise de sang, un prélèvement capillaire
ou un prélèvement buccal ne peut être effectué de
force sur une personne. »443 Lors de la
préparation de la loi de bioéthique de 1994, un
amendement prévoyant la dispense de consentement de la personne dans le
cadre des procédures pénales avait d'ailleurs été
adopté par l'Assemblée, avant d'être retiré par le
Sénat. La majorité de la doctrine considérait alors que le
principe de consentement était de valeur générale, et
s'appliquait aussi à la procédure pénale444. La
CNIL précisait cependant que ni le principe d'inviolabilité du
corps humain, ni celui du consentement, n'interdisait le
prélèvement, « sur le lieu d'un crime ou d'un délit
du « matériel biologique » (...) qui se serait naturellement
détaché du corps
441 Observations du Gouvernement sur les recours
dirigés contre la loi pour la sécurité intérieure,
JORF n°66 du 19 mars 2003 page 4827
442 Cour cass., 2e civ., 18 décembre 2003, pourvoi
n°02610237
443 CNIL (2000), 20e rapport
d'activité (année 1999), p.31.
444 Ibid.
Chapitre N:L'intégrité du corps humain
p. 169
humain. »445 Ce dernier point
a été autorisé par l'art. 49 de la loi de 2004 (art.
706-56 du CPP).
Conformément aux avis de la CNIL, la loi de 1998
instituant le FNAEG avait ainsi limité son étendue aux empreintes
génétiques des personnes condamnées pour crime ou
délit sexuel, ainsi qu'aux traces des matériels biologiques
retrouvés sur des scènes de crime, c'est-à-dire «
l'empreinte d'auteurs inconnus d'infraction » selon la CNIL446;
il s'agit là d'un raccourci trompeur, puisqu'une telle trace,
constituant un « ADN indicial », ne prouve que la présence de
l'individu x sur les lieux à un moment
indéterminé, et en aucun cas sa responsabilité à
l'égard de l'infraction447. Le « donneur de la trace
» n'est pas nécessairement « l'auteur de l'acte criminel
».
La loi de 2003 autorise aussi les OPJ (officiers de police
judiciaire) à procéder, dans le cadre des enquêtes
judiciaires ou sous commission rogatoire, à des comparaisons
d'empreintes génétiques, au sujet de « toute personne
à l'encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles
de soupçonner qu'elle a commis un crime ou un délit
[énuméré à l'art. 706-55], avec les données
incluses au [FNAEG], sans toutefois que cette empreinte puisse y être
conservée. » (art. 706-54). De plus, ils sont autorisés
à ordonner des examens médicaux et des prélèvements
sanguins en cas
445 Ibid. Ce point est particulièrement
problématique aux Etats-Unis, dans la mesure où, si le principe
du consentement est aussi exigé lors des prélèvements, la
jurisprudence a assimilé les traces d'empreintes
génétiques aux formes de propriété
abandonnée par l'individu, voire à des déchets organiques.
Dès lors, le 4e amendement de la Constitution protégeant les
citoyens contre les fouilles arbitraires ne s'applique pas aux
prélèvements faits à l'insu de la population (par ex. en
interrogeant une personne puis en recueillant de façon subreptice sa
cigarette aux fins d'analyser la salive). Selon Elizabeth Joh (2006), cela
pourrait aboutir à la constitution progressive d'une base de
données nationale d'empreintes génétiques recueillies sans
le consentement de la population, ni même sans qu'elle en soit
informée (Joh, Elizabeth (2006) « Reclaming « abandoned »
DNA : The Fourth Amendment and Genetic Privacy », Northwestern
University Law Review, vol. 100, n°2). Une telle alimentation du
FNAEG serait illégale (art. 706-54 du CPP). Voir cependant Cour de
cass., Crim., 30 avril 1998, n°98-80741, inédit: l'analyse ADN d'un
mégot saisi lors de l'audition d'un témoin est permise.
446 CNIL (2000), 20e rapport
d'activité, ibid. Cf. aussi:
- délib. n° 99-052 du 28 octobre 1999
(projet de décret ; fichier national automatisé des empreintes
génétiques ; service central de préservation des
prélèvements biologiques);
- décret n°2002-697 du 3o avril 2002
modif. le code de procédure pénale (...) et relatif au
FNAEG
447 L' « ADN indicial » se distingue de l'« ADN
de contact », prélevé sur le corps de la victime ou du
suspect : « L'ADN indicial est celui, par exemple, extrait d'une trace
spermatique présente sur du feuillage en un lieu précis, lieu
confirmé au moyen d'une reconstitution in situ, de droit en
matière criminelle. Une telle trace indicative n'a, scientifiquement,
pas de caractère inférent, en ce qu'elle ne permet pas de
rattacher le « donneur de la trace » à « l'auteur de
l'acte criminel ». Cette trace ADN indique que le « porteur » de
l'ADN (ADN extrait à partir de cette trace spermatique), était
présent en ce lieu, à une heure que la science ne peut
aucunement, en l'état actuel des connaissances scientifiques,
déterminer. (...) Par conséquent, la preuve par l'ADN ne peut
emporter la conviction des juges et/ou des jurés, a fortiori
par une trace spermatique, recueillie en un lieu imprécis. En ce
cas en effet, la trace ne peut être qualifiée d'indice au sens des
textes et devient sujette à controverses. » (Valincourt, 2009,
op.cit., p.72)
Chapitre N:L'intégrité du corps humain
p. 170
de viol, agression sexuelle ou atteinte sexuelle, ce que le
Conseil constitutionnel avait jugé conforme (cons. 49).
Si la police judiciaire est autorisée à
effectuer ces prélèvements sous certaines conditions, le refus de
se soumettre à un prélèvement ADN est en revanche, depuis
la loi du 15 novembre 2001, un délit passible de prison
(art. 706-56)44, y compris, depuis la loi de 2003, pour les
témoins ou les suspects. L'art. 706-56 prévoit, le cas
échéant, l'identification « à partir de
matériel biologique qui se serait naturellement détaché du
corps de l'intéressé » ou un prélèvement
forcé sur « réquisitions écrites du procureur de la
République » lorsque la peine encourue est de plus de 10 ans.
Par ailleurs, les échantillons biologiques
prélevés sont conservés par le Service central de
préservation des prélèvements biologiques de la
gendarmerie nationale, pour une durée équivalente à celle
des profils génétiques du FNAEG, soit 4o ans (art. R53-14 et
R53-20 du CPP). Le service central est autorisé à mettre en
oeuvre un traitement automatisé de ces échantillons, qui peut
« comporter un numéro d'ordre commun » avec le FNAEG (art.
R53-2o).
L'étendue du FNAEG a été progressivement
élargie à d'autres infractions449, notamment aux « crimes et
délits de vols, d'extorsions, d'escroqueries, de destructions, de
dégradations, de détériorations et de menaces d'atteintes
aux biens »; le CCNE a critiqué cette extension de la
finalité du fichier, interrogeant par exemple la
légitimité de soumettre les faucheurs d'OGM à de tels
prélèvements obligatoires45°. Le FNAEG a aussi
été étendu à d'autres catégories de
personnes, notamment aux « personnes à l'encontre desquelles il
existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient
commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55
» (art. 706-54 du CPP).
Il résulte de ces réformes successives que le
droit français a désormais intégré de façon
très claire la possibilité d'effectuer des «
prélèvements externes », incluant non seulement le
prélevé des empreintes digitales et un relevé
photographique, mais le prélèvement d'échantillons ADN par
voie buccale, dans le cadre pénal et judiciaire. Le Conseil
constitutionnel ne considère pas que ces prélevés puissent
aller à l'encontre
448 Art. 56 de la loi n°2001-1062 du 15 novembre
2001
449 Loi n°2001-1062 du 15 novembre 2001
relative à la sécurité quotidienne (art. 56); loi
« Sarkozy » du 18 mars 2003 sur la sécurité
intérieure (art. 29); loi « Perben » du 9 mars 2004 (art. 47);
loi du 12 décembre 2005 sur la récidive des
infractions pénales (art. 18); loi sur les violences conjugales du 4
avril 2006 (art. 17); loi relative à la prévention de la
délinquance du 5 mars 2007 (art. 42).
45° CCNE (2007), avis n°98, op.cit.,
p.10
Chapitre N:L'intégrité du corps humain
p. 171
de la dignité humaine, ou constituer une violation de
l'intégrité du corps humain, en particulier parce qu'il ne s'agit
pas d'examens « internes ». Qu'en est-il dans le domaine civil, en
l'espèce, du droit du travail?