Chapitre II:Le rêve biométrique confronté
aux défis technologiques p. 69
2.L'anthropométrie judiciaire, des empreintes
digitales aux empreintes génétiques
L'importance du droit pénal vis-à-vis des
technologies biométriques ne saurait nous étonner, dans la mesure
où celle-là est le signe d'une certaine continuité entre
l'anthropométrie judiciaire, formalisée en France par Alphonse
Bertillon (1853-1914), le fils d'Adolphe
Bertillon, créateur de la Société d'anthropologie avec
Broca (l'inventeur de la crâniométrie), et en Argentine par Juan
Vucetich (1858-1925), et les technologies contemporaines. Le premier champ
d'application de ces techniques réside en effet dans l'identification
des auteurs d'un crime, à partir de traces laissées sur la
scène du crime. Toutefois, la dactyloscopie s'est très tôt
émancipée de ce cadre pénaliste, pour être
utilisée dans le contexte de l'attribution de l'état civil,
notamment dans les colonies. Elle a aussi été employée
dès le début du siècle pour sécuriser des titres
d'identité et de circulation, notamment, en France, le « carnet
anthropométrique » des nomades. Avec l'informatisation et la
possibilité de numériser les images d'empreintes digitales, de
les stocker et de les comparer en utilisant des logiciels performants, cette
technologie a pu être étendue à de très grandes
populations.
A. L'ILLUSION DIGITALE
Pas plus que l'empreinte ADN, l'empreinte digitale n'est-elle
une preuve infaillible; tout comme l'empreinte génétique, elle
permet l'identification d'une personne lorsque des bases de données ont
été constituées, et sont interrogées en fonction
d'un échantillon recueilli -- dans le cas contraire, elles ne permettent
que la vérification de l'identité d'une personne, les deux
échantillons recueillis (la trace d'un côté, l'empreinte
d'un sujet de l'autre) étant comparés entre eux. L'historien des
sciences Simon Cole, qui a témoigné lors d'affaires judiciaires
complexes, souligne ainsi notre croyance en l'infaillibilité des
empreintes digitales, émettant même l'hypothèse que ce
« mythe » disparaisse, le symbole de l'identité individuelle
étant
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remplacé par l'ADN131. Il rappelle que si
des erreurs ont été répertoriées depuis les
années 1920 -- l'un des cas les plus récents, et spectaculaires,
ayant été la mésidentification de l'avocat Brandon
Mayfield en 2004, dont l'empreinte digitale avait été soi-disant
identifiée, par le FBI, sur un sac à Madrid contenant des
explosifs, peu de temps après les attentats du 11 mars 2004 --, aucune
n'a réussi à entamer la confiance du public en ce mode
d'identification132. Davantage qu'un mythe, il faudrait donc parler
de l'illusion digitale.
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