4.4.2- Analyse commentée des messages, des
interventions, des productions.
Pour continuer à étudier les interactions qui
ont eu lieu tout au long de cette formation, et la gestion qu'en ont fait les
tuteurs, nous analyserons de plus près les échanges qui ont eu
lieu en ligne, principalement entre les étudiants inscrits à ce
cours et leurs professeurs (T1, T2 et T3) et, moins profondément, entre
les propres étudiants. Nous nous appuierons maintenant sur un petit
corpus de contributions des apprenants59 (40 : productions
écrites et messages postés sur les forums), ainsi que des
messages de suivi rédigés par les trois tuteurs (50, dont
quelques-uns figurent dans les annexes en guise d'exemples). Tous ces textes on
été tirés du cours hébergé sur la
plateforme, de la leçon 1 à la 4e. Pour observer les contenus,
les objectifs, les
59 Comme nous avons dit, le nombre de contributions des
apprenants sur la plateforme n'a pas été très
élevé et la grand majorité des textes postés par
les apprenants constituent des réponses à des consignes
(productions écrites ou orales), plutôt que des messages à
leurs tuteurs ou leurs autres collègues.
67
Gestion des interactions dans un
dispositif hybride : rôles et stratégies des tuteurs. Le cas du
présentiel réduit de l'Alliance française de La
Havane.
marques socio-affectives, les destinataires, les
émetteurs des messages et des interventions en général,
nous ne nous sommes pas livrés à un codage spécifique
d'analyse des textes ou du discours. Ceci nous ferait peut-être tirer des
conclusions parfois ambigües, qui se cantonneraient exclusivement aux
résultats de cette expérience de formation à distance.
Mais les éléments que nous avons cherchés à
répertorier se rapprochent à d'autres analyses de contenu
consultées (De Lièvre et al., 2006, 2009 ; Jeanneau et Ollivier,
2009 ; Quintin 2007, 2008). Afin d'effectuer maintenant une analyse
fondamentalement qualitative des interactions, nous avons procédé
à une observation des contenus des messages (du texte lui-même) et
aussi à l'analyse d'autres (méta) données. Nous y avons
puisé des messages (principalement des tuteurs) pour émettre en
retour des hypothèses et arriver ainsi à des conclusions sur les
pratiques tutorales, mises en oeuvre dans le cadre de cette formation et aussi
leurs possibles effets sur les apprenants qui ont suivi le cours sur lequel ce
travail porte:
-l'émetteur des messages (tuteurs : T1, T2, T3 ;
apprenants : Groupe1, G2, G3)
-le nombre de lignes du message,
-le numéro de Leçon et des tâches
concernées, ainsi que leurs consignes respectives
-le type de forum et le fil de discussion en question,
-le nombre d'émoticônes utilisés,
-la mise en forme ou non des messages,
-le nombre de messages proactifs et réactifs,
-l'emploi du vouvoiement et du tutoiement,
-le nombre de phrases visant à motiver les apprenants,
-le nombre de phrases portant sur la technique, la
méthodologie,
-le nombre de phrases visant à créer et entretenir
le lien social,
-le nombre de phrases portant sur l'organisation (création
de binômes, séances présentielles),
-le nombre de phrases portant sur la tâche,
-le nombre de phrases portant sur la langue elle-même,
D'après l'observation des éléments
relevés, nous pouvons tout d'abord percevoir une différence assez
nette entre les pratiques tutorales des tuteurs des groupes 1, 2 et 3, lorsque
nous regardons la fréquence avec laquelle la consigne d'interagir sur la
plateforme est présente, à savoir : la demande de communiquer
avec le tuteur ou revenir vers lui, de contacter un collègue du groupe,
de publier sur un forum, d'écrire/envoyer un message, de poster un
travail sur la plateforme, d'aller sur la plateforme pour lire les
interventions des tuteurs/ d'autres apprenants du cours, d'actualiser le profil
d'usager, de poster leurs photos sur leurs profils, etc.
D'après les traces sur la plateforme, le tuteur du
groupe 1, qui a été très proactif (voir 1.2.3), incite
constamment les apprenants à entrer en contact avec le tuteur par le
biais de la plateforme, soit via le forum, soit via le courriel, mais
principalement à travers le forum60. T1, encourage
également les apprenants à consulter d'autres matériels/
sites Web61, et à interagir avec leurs camarades. Les
messages de T1 sont plutôt longs (à l'une ou l'autre exception
près) en langue cible. Dans la plupart de cas, les messages de T1
sont
60 Voir Annexe 16. Messages : 16.1, 16.2, 16.3, 16.4 et
16.5
61 Voir Annexe 16. Message 16.6
68
Gestion des interactions dans un
dispositif hybride : rôles et stratégies des tuteurs. Le cas du
présentiel réduit de l'Alliance française de La
Havane.
accompagnés d'une petite traduction en langue 1,
toujours faite avec une police plus petite, et sans expressions de
sentiment62, afin de faire perdre aux apprenants l'habitude/envie de
lire la traduction. Dans les messages de T1 destinés à de faux
débutants, la présence de l'espagnol est peu fréquente
dès le début du cours. L'usage de l'espagnol est encore plus rare
dans les messages s'adressant à des apprenants qui se servent du
français pour dialoguer avec le tuteur. Il s'agit dans ces cas de ceux
qui sont assidus sur la plateforme, et qui font preuve d'une bonne
maîtrise de l'outil informatique. Pour eux, une connexion
régulière et un accès facile à un
poste63 seraient fréquemment disponibles. Pour le tuteur 1,
le contact humain en ligne est considéré comme le garant du bon
déroulement de la formation et du processus d'apprentissage64
« Cela leur permet de s'approprier de la plateforme, d'interagir de
façon réelle, et de communiquer au-delà des objectifs
langagiers »65. La grande majorité de ses
interventions, soit proactives, soit réactives, constituent un appui
psychoaffectif. Elles portent sur l'établissement du lien social, la
cohésion du groupe, même si la plupart des questions des
apprenants (postées sur les forums d'échanges) visent l'obtention
d'une aide technique. Même si la demande de T1 aux apprenants d'interagir
avec les autres étudiants du groupe et avec lui-même
-principalement via le forum- est systématique, le résultat de
cette demande est pour autant moins certain. En dépit de l'intention de
T1, il est irréfutable que les apprenants de son groupe (G1) ont
interagi très peu sur les forums d'échanges destinés aux
contributions non évaluatives, ou sur ceux qui ne concernaient pas le
contenu du cours.
Ensuite, le Tuteur 2 a été plutôt
motivé et proactif : il a été disponible en ligne avec
régularité, et il a offert (tout comme T1) des séances
présentielles supplémentaires. Il a envoyé quelques
feedbacks des activités dont la correction par le tuteur était
facultative, ainsi que des messages sollicitant les contributions de ses
apprenants. Il a articulé ses séances de regroupement en
présentiel autour des leçons proposées par le cours
à travers la plateforme, et il les a centrées sur
l'accomplissement des tâches finales. De façon
générale, il a encouragé fréquemment ses apprenants
et leur a demandé d'aller plus loin, de s'efforcer davantage. Il a donc
travaillé sur l'amélioration de l'auto-estime et a beaucoup
valorisé le travail accompli (voir 1.2.1C-). D'autre part, il n'a pas
toujours incité explicitement les apprenants à entrer en contact
avec lui par le biais de la plateforme, mais il a systématiquement
transmis l'idée qu'il serait là pour corriger leurs
productions66. T2 a donné forme à ses messages : il a
modifié la police (couleur, taille, type) qui était donnée
par défaut dans logiciel chargé de l'édition des textes
(WYSIWYG) et a utilisé des émoticônes67. Il a
donc rendu claires ses corrections à ses apprenants: ce qu'ils devaient
ajouter ou remplacer par ce qu'il proposait ; ce qu'il fallait supprimer ou
dire autrement, pour citer deux exemples. Ce qui n'est pas fréquent chez
T2 (comme ne l'est pas chez T3) c'est le nombre de messages/ phrases visant
à créer et à entretenir le lien social entre les
apprenants68 (voir 1.3.3). Cette absence de soutien communicationnel
(voir 1.2.1D-) pourrait être due à son manque d'expérience
/ formation en tant que tuteur. En fait, T2 avait déclaré dans du
questionnaire final que
62 Voir Annexe 16. Messages : 16.1, 16.2, 16.3 et
16.7
63 Voir Annexe 16. Messages : 16.4, 16.2, 16.5 et
16.6
64 Voir Annexe 16. Message 16.7
65 Tiré du
questionnaire mené auprès des tuteurs à la fin de la
formation, question 5.
66 Voir Annexe 17. Message 17.1
67 Voir Annexe 17. Message 17.1
68 Même si la consigne
de l'activité demande aux apprenants de la réaliser à
deux, la note n'a pas été affectée pour le fait de ne pas
avoir travaillé à deux, et aucun commentaire à ce sujet
n'a pas été fait aux apprenants. Voir l'Annexe 17. Message
17.2
69
Gestion des interactions dans un
dispositif hybride : rôles et stratégies des tuteurs. Le cas du
présentiel réduit de l'Alliance française de La
Havane.
« les échanges entre les apprenants leur
permettaient d'agir en situation de communication réelle, ils peuvent
s'autocorriger et corriger les autres, cela leur fera avancer sans
doute» (voir 1.3.2).
Quant au contenu de ses messages, ils visent à motiver
les apprenants : la technique, la langue, la tâche à accomplir, la
méthodologie et l'organisation ont tous le même degré
d'importance. La formation de T2 (voir 4.1) lui a permis d'assister
considérablement les apprenants du point de vue de l'informatique,
principalement pendant les séances présentielles (toujours au
laboratoire) mais aussi de temps à autre sur la plateforme (par le biais
des forums ou de messages). D'après la réponse (4) de T2 au
questionnaire final, le tutorat idéal pour ce cours, tel qu'il s'est
développé, serait 0,5% de type socio-affectif et 60%
technologique. Pourtant, selon le même questionnaire, T2 considère
que ses propres interventions ont été surtout « des
encouragements, des offres de soutien et des sollicitations de participation
». Par conséquent, ses pratiques tutorales ont eu un
caractère plutôt socio-affectif et ensuite
pédagogico-intellectuel que technologique. Cependant, T2 (tout comme T1
et T3) avait repéré le besoin d'appui et d'information des
apprenants dans ce sens technologique (rappelons la quantité de
courriels que l'informaticienne responsable du projet avait reçus et
envoyés à propos du fonctionnement de la plateforme et de
certains logiciels (voir 4.4.1). De toute façon, il serait difficile de
réduire le soutien de T2 (ses pratiques tutorales) à une seule
catégorie d'intervention tutorale (Bernatchez, 2003 ; voir 1.2.1).
Le tuteur du groupe 3 (T3), quant à lui, ne s'est pas
montré très motivé, et il a été
peut-être dépassé par la nouveauté de cette
modalité d'enseignement et les fonctionnalités de la plateforme,
ainsi que par la surcharge de travail que le tutorat a
représenté. Il n'a pas incité les apprenants à
interagir69. La seule preuve d'interaction entre pairs (les
apprenants de son groupe) -faite par le biais de la plateforme- est visible
dans le nombre très réduit de contributions faites en
binôme au cours des leçons 1 et 2. À ce sujet, Il pense que
les apprenants de cette formation «ne se sont pas
détachés de la dynamique traditionnelle et classique où
l'élève fait plus de confiance à l'avis d'un professeur
qu'à celui de ses camarades »70. Cependant, comme
nous l'avons déjà remarqué (voir 1.3), le tuteur ne doit
pas se contenter d'attendre que les interactions se produisent, bien au
contraire, il doit les provoquer. T3 ne stimule guère les apprenants
à entrer en contact avec lui-même71. Ses messages, des
feedbacks, étant très peu nombreux et assez brefs, sont surtout
centrés sur la tâche que l'apprenant doit faire, et sur la langue
elle-même72. En fait, sur le questionnaire mené
auprès des tuteurs à la fin de la formation, T3 a coché la
compétence disciplinaire (maitrise de contenus) comme la plus importante
dont il avait fait preuve en tant que tuteur. Rappelons que tous les apprenants
n'ont ni la capacité ni l'aptitude pour le travail autonome et que
l'autonomie n'est pas innée. C'est donc le tuteur qui peut la leur
apprendre (voir 1.1.4). En même temps, l'isolement qu'un apprenant
ressent à distance, dû au fait qu'il doit prendre en charge sa
formation, est une cause d'abandon dans ce dispositif hybride comme dans la
plupart des FOAD qui ont été mises en oeuvre (1.2). À
l'instar de Quintin (voir 1.2), il reviendrait au tuteur de compenser ce
déficit socio-affectif. D'ailleurs, quant à l'accompagnement
qu'il avait mis en oeuvre, il a déclaré sur le questionnaire
avoir été « plutôt réactif, avoir
travaillé davantage la langue sur la plateforme et ne pas avoir
été disponible en ligne régulièrement
».
69 Voir Annexe 18. Messages 18.2
70 Réponse à la
question 9 du questionnaire final.
71 Voir Annexe 18. Messages : 18.1 et 18.2
72 Voir Annexe 18. Messages : 18.1 et 18.2
70
Gestion des interactions dans un dispositif hybride
: rôles et stratégies des tuteurs. Le cas du présentiel
réduit de l'Alliance française de La Havane.
D'autre part, ce tuteur ne s'est même pas soucié
d'éditer ses textes 73 : il n'a changé ni le type de police, ni
la couleur, ni la taille qui apparaissent par défaut, il n'a
pratiquement pas utilisé d'émoticônes74, ni de
symboles, ou d'autres marques socio-affectives (points d'exclamation, voir
1.3.3). Cela n'a pas trop motivé les apprenants (voir 1.2.4) et priori,
cela leur aurait rendu difficile la compréhension des corrections/
feedbacks envoyés: ses apprenants ont dû relire leurs productions,
lire les messages-corrections complets que T3 leur avait envoyés et
comparer minutieusement les deux textes pour distinguer ce qui a
été ajouté, remplacé par T3. À propos de la
question portant sur le tutorat idéal pour cette formation, en termes de
temps et d'énergie, il a considéré que seulement 20% du
tutorat devrait être socio-affectif (il a de surcroît
accordé le pourcentage le plus élevé au côté
organisationnel-méthodologique du tutorat). Néanmoins, T3 -qui
est très peu réactif- a l'habitude d'encourager les apprenants
(« bonne continuation », « bon travail »), surtout quand
ils ont bien travaillé (« bon travail ! », « en
général c'est bien prononcé », « c'est un bon
travail », etc.) à chaque fois qu'il corrige/ commente un des
travaux faits par ses apprenants (en surbrillance75). Pour T3, les
interactions en ligne sont à peine un complément des interactions
qui ont lieu pendant les séances présentielles et pas un objectif
en soi. La plateforme constituerait pour lui une espèce de banque de
données pour travailler en autonomie (à distance), un espace
numérique pour héberger une sorte de livre électronique.
Il a privilégié les interventions cognitives aux dépens
des actions tutorales socio-affectives et motivationnelles.
? En guise de conclusions
Les évolutions dont les indices ont été
évoqués sont motivées par les résultats des
observations des échanges en ligne (principalement à travers la
plateforme), ainsi que par les résultats des enquêtes
menées auprès des tuteurs, à la fin de la formation. Nous
nous sommes aperçus qu'aucun sentiment communautaire76 n'a
véritablement éclot au sein de chaque groupe d'étudiants
interagissant exclusivement à distance. Un premier indice de cette
hypothèse se situe autour de l'appréciation des échanges
presque nuls qui ont eu lieu entres les étudiants de chaque groupe, sur
les espaces publiques d'échanges non évaluatifs (forums
d'échanges professeur-étudiants). Ensuite, un deuxième
indice est inscrit dans l'analyse du volume très réduit
d'échanges qui ont eu lieu entre les étudiants, sur les forums
destinés aux travaux évaluatifs à faire en binôme.
Puis, un autre indice se situe autour des contenus des messages postés
sur les forums : ils ont toujours été linaires, adressés
au tuteur, la plupart concernait des problèmes techniques ou le contenu
du cours, et il n'y a pas eu de questions-réponses entre les propres
apprenants77. D'ailleurs, les interactions tuteurs-apprenants qui
ont eu lieu en ligne ont été mises à profit par les
tuteurs de façon à ce que les apprenants pratiquent la langue
ciblée, (même si pour des raisons ergonomiques et
pédagogiques, ils recourent à la Langue 1) plutôt que pour
« communiquer », pour co-agir.
73 Voir Annexe 18. Messages 18.1 et 18.2
74 Dans la première
Leçon, 2 messages : un collectif et un autre individuel en
réponse à une étudiante qui avait réagit à
la marque socio-affective faite par son tuteur.
75 Voir Annexe 18. Message 18.1
76 Ce que Develotte &
Mangenot (2004) préfèrent nommer, « constitution du lien
social ».
77 Sauf quelques très peu de cas dans la
leçon 3, tâche écrite 2 « Choisir un correspondant sur
un site »
Gestion des interactions dans un
dispositif hybride : rôles et stratégies des tuteurs. Le cas du
présentiel réduit de l'Alliance française de La
Havane.
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