B- La multiplicité des formes de l'innovation
Nous allons dans un premier temps procéder à une
catégorisation des innovations selon leur objet. Selon Joseph Schumpeter
(1912) l'innovation recouvre cinq grands types de changements (de
"combinaisons nouvelles") de natures très différentes :
- La fabrication de biens nouveaux (aussi appelée
"innovation produit")
- Des nouvelles méthodes de production
(dénommées "innovation de procédé" dans la
terminologie contemporaine)
- L'ouverture d'un nouveau débouché
(correspondant à la recherche de nouveaux marchés et relais de
croissance)
- L'utilisation de nouvelles matières premières
(nouvelles combinaison de ressources)
- La réalisation d'une nouvelle organisation du travail
("innovation organisationnelle")
Afin d'homogénéiser le vocabulaire
utilisé, nous nous baserons sur la terminologie contemporaine.
Ainsi, l'innovation produit, correspond au
lancement d'un produit nouveau ou encore à un produit
déjà existant mais incorporant une nouveauté (exemple :
en 1925, Richard Drew, un jeune assistant de laboratoire, invente le ruban
adhésif qui sera par la suite commercialisé sous la marque
Scotch).
L'innovation de procédé
décrit l'apparition de nouvelles techniques/méthodes de
production et/ou de vente (exemples : dans le domaine agricole, la culture
hors-sol permet de produire certains légumes toute l'année. Le
passage de la charrue tractée par une force animale aux tracteurs peut
aussi être considéré comme une innovation de
procédé car il offre aux producteurs des rendements plus
importants.).
L'ouverture d'un nouveau
débouché, par la naissance d'un procédé
nouveau, comme par exemple les Nouvelles Technologies de l'Information et de la
Communication (NTIC) qui, par leur essor, ouvrent la voie à de nouveaux
modèles économiques et à de nouvelles façons de
communiquer pour les entreprises.
L'utilisation de nouvelles matières
premières : l'exemple le plus probant pourrait être
celui du lithium commercialisé pour la première fois par Sony en
1991. Il sert dans la conception de batteries et de piles et occupe une place
grandissante dans les nouvelles technologies notamment dans
l'automobile4(*).
L'innovation organisationnelle qui correspond
à l'apparition d'une nouvelle organisation du travail ; elle
s'apparente à l'innovation de procédé. Normand Laplante
(2000) la définit comme étant « la mise en oeuvre
d'une pratique managériale perçue comme nouvelle par
l'organisation qui affecte le fonctionnement de son système social, tant
dans les relations entre les individus que dans leur propre
travail ». Le fordisme, qui est en quelque sorte un
approfondissement du taylorisme, est une innovation organisationnelle au
même titre que les Grands Magasins (Le Bon Marché, Galeries
Lafayette, etc.) du début du XXe siècle qui inaugurent la
naissance de la société de consommation. Plus récemment la
méthode "Kanban"5(*)
déployée à la fin des années 1950 dans les usines
Toyota traduit de nouvelles méthodes de management qui
rencontrèrent un fort engouement en occident après la crise
pétrolière de 1973.
L'innovation peut aussi être classée par son
degré d'intensité car toutes ne sont pas de même ampleur.
Lorsqu'une innovation ne modifie pas les conditions d'usage et l'état de
la technique, mais y apporte seulement une amélioration sensible, elle
peut-être qualifiée d'incrémentale. Elle
ne change pas la nature du produit ou du service mais permet à
l'entreprise de renforcer son offre sans bouleverser sa chaîne de
valeur6(*). Ainsi, les
souris d'ordinateur à bille devenues des souris optiques, le bouchon de
bouteille en plastique remplaçant celui en liège ou encore les
évolutions successives du téléphone portable (2G, 3G) sont
des innovations de type incrémentales. Les utilisateurs finaux n'ont pas
eu besoin d'adopter des comportements radicalement différents pour
profiter de ces améliorations.
A contrario, lorsqu'une innovation s'accompagne d'un bond
technologique majeur capable de renverser les positions concurrentielles
préétablies, elle peut-être considérée comme
une innovation de rupture7(*) (Christensen, 1997). Clayon M. Christensen explique la
fin des monopoles de grandes entreprises (telles IBM qui n'avait pas pris au
sérieux la menace des mini-ordinateurs de son concurrent Digital8(*)) par une non prise en compte de
la menace représentée par les "technologies dormantes", pourtant
susceptibles de casser les règles du jeu et les normes en vigueur sur
l'activité considérée.
Figure 1 : L'échelle
d'intensité de l'innovation (Durand & al. 1996)
Comme indiqué sur la figure 1, les véritables
innovations de ruptures sont rares. Au contraire des innovations
incrémentales qui traduisent en règle générale, une
simple amélioration de l'existant ou un ajout de fonctionnalités
mineures, sans réel bond technologique.
Ce constat est appuyé par le tableau
présenté ci-dessous. Genrich Altshuller9(*) (1988), scientifique et
technicien russe, distingue cinq catégories d'innovations selon leurs
degrés d'inventivité. De la solution apparente jusqu'à la
"vraie" innovation.
Figure 2 : Degré
d'inventivité selon Altshuller (1988).
L'innovation recouvre donc un large spectre
d'interprétations possibles et malgré la richesse
inhérente cette profusion typologique, nous ne recourrons pas à
une description exhaustive des termes et des classifications utilisées.
Ceci dans un souci de clarté pour les managers et dirigeants qui ont
besoin d'indications utiles et de concepts pratiques dans leur gestion
quotidienne de l'entreprise.
De cette définition centrale de l'innovation
découle une multitude de concepts nouveaux qui sont aussi des concepts
fondamentaux de la discipline du management de l'innovation. Ainsi
"l'entreprise innovante", "l'écosystème de l'innovation", "la
créativité organisationnelle" et "les milieux innovateurs" feront
l'objet d'un traitement différencié et adapté au contexte
dans lequel ils seront abordés.
* 4 L'industrie automobile fonde
de grands espoirs sur l'utilisation future de batteries au lithium pour
alimenter des véhicules électriques : ainsi, la plus
célèbre des voitures électriques, la Toyota Prius, est une
"hybride".
* 5 Kanban est un terme japonais
signifiant "fiche" ou "étiquette".
* 6 Source de la
définition : Observatoire de l'innovation de la Cité des
sciences de Paris (archives.universcience.fr)
* 7 Encore appelée
"innovation radicale"
* 8 Digital Equipment
Corporation était une entreprise pionnière de l'industrie
informatique des États-Unis qui fut finalement vendu à Compaq en
1998.
* 9 Il est l'inventeur de la
méthode TRIZ, mélange de méthodologie et de base de
données permettant de comprendre le problème à
résoudre en tant que système, d'imaginer une solution
idéale et de résoudre les contradictions pour sa mise en oeuvre.
Son application trouve un large échos parmi les directeur de
l'innovation qui cherchent à rationnaliser leur processus de
création d'idées.
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