VI De l'innovation participative au management de la
créativité
A- L'innovation participative
L'innovation participative se distingue de l'innovation
ouverte (vers les partenariats et l'extérieur) déjà
abordée précédemment, dans la mesure où elle
associe l'ensemble des salariés (acteurs internes) à la
démarche d'innovation totale. Il s'agit d'un ensemble de pratiques
structurées visant à et à faciliter l'émergence,
l'émission, la mise en oeuvre, et la diffusion d'idées par
l'ensemble du personnel (Getz & Robinson, 2003).
Ce type de management s'inscrit en réaction contre une
trop lourde bureaucratisation souvent caractéristique des grandes
organisations qui limite le champ d'expression des salariés hors du
cadre prédéfini de leur fonction ou de leur poste. En choisissant
cette voie, l'entreprise se prive de l'exploitation d'un vivier de
connaissances et d'actifs créatifs qui est pourtant primordiale pour
mener à bien une démarche d'innovation.
Cette démarche est un facteur mobilisant pour les
salariés. Elle contribue à l'amélioration des conditions
de travail, du niveau de reconnaissance, du savoir-faire des salariés et
donc du climat social. Enfin c'est aussi un moyen de diffuser la culture et les
valeurs de l'entreprise.76(*)
Au-delà de l'objectif social ce management des
idées répond aussi à des objectifs économiques
(encouragement de l'innovation et amélioration des performances de
l'entreprise). C'est aussi et surtout un excellent moyen de
révéler des compétences ignorées ou
clairsemées dans l'organisation (Getz & Robinson, 2003).
Ce phénomène représente aujourd'hui une
véritable lame de fond en entreprise : à la fin de l'année
2009, 75% des grands groupes avaient déjà mis en place un ou
plusieurs dispositifs d'innovation associant les salariés77(*). Nous noterons le
succès de la marque automobile Renault qui sur un
périmètre consolidé de 83000 personnes et sur une
année, a réussi à générer quatre
idées concrètes par salarié.78(*)
Pourtant Isaac Getz (2003) continue de déplorer le
manque de crédibilité accordée aux suggestions et aux
idées venant des salariés du terrain. Il illustre cette critique
en retranscrivant un extrait d'une lettre envoyée par un salarié
à sa direction qui tenait ces propos : « Bien
que les gens du siège aient été d'une aide sans mesure
pour le terrain ces dernières années, [...] j'ai toutes
les peines du monde à trouver des problèmes qui aient
été résolus par eux. Par contre, je peux en citer
plusieurs où ils ont tout fichu en l'air ! La prise de décision
est beaucoup plus efficace et opportune lorsqu'elle se fait de manière
décentralisée. [...] Les agents ainsi que leurs managers qui sont
sur le terrain sont plus appropriés pour trouver des
solutions ».
Cette lettre écrite trois semaines avant le 11
septembre 2001 par Coleen Rowley, élu subséquemment
personnalité de l'année 2002 par le magazine Time, fustigeait le
manque de clairvoyance et de réactivité des hautes-sphères
du Bureau fédéral d'enquête (FBI) vis-à-vis d'une
enquête précédent l'arrestation du terroriste Zacarias
Moussaoui.
Isaac Getz (2003) rappel également qu'environ 80% des
innovations proviennent d'individus qui sont au moins trois niveaux
hiérarchiques au-dessous de l'équipe dirigeante. Il l'explique
par le fait qu'ils sont situés aux frontières de l'organisation.
Ces salariés ont donc l'avantage de pouvoir directement interagir avec
les clients, fournisseurs, partenaires et concurrents de l'entreprise ce qui
leur confère une position stratégique. Éric von Hippel
(1988), économiste et professeur au MIT Sloan School of Management,
ajoute que 83% des innovations ont pour origine un client ou un usager.
Il est donc vital de dépasser le système
aléatoire des boîtes à idées pour que l'entreprise
puisse mettre en place un véritable management des idées qui soit
soutenu et encadré par la hiérarchie.
De façon plus concrète, il existe plusieurs
instruments au service du manager destinés à favoriser la
créativité d'un groupe. Le
brainstorming compte surement parmi les outils les plus
populaires et répandu pour développer l'expression des
idées dans les réunions de travail.
C'est à Alex Osborn (1948), fondateur de l'agence de
communication BBDO79(*),
que nous devons la paternité de ce terme utilisé dans son sens
actuel. L'idée maîtresse de cet outil est de laisser un petit
groupe de personnes générer une quantité énorme
d'idées imaginatives, transgressives, farfelues ou hors sujet afin que
l'une d'entre elles devienne la bonne (l'évaluation de la qualité
des idées se fait toujours a posteriori). Le brainstorming est
aujourd'hui l'outil le plus fréquemment utilisé pour lever les
inhibitions dans une démarche de créativité de groupe.
Toute entreprise confrontée à un problème
spécifique ou cherchant des idées nouvelles est susceptible de
recourir au brainstorming (Grangé, 2008).
Cependant, son efficacité est contestée par des
auteurs (Taylor et al. 1958) qui révèlent que travaux de groupe
n'apportent pas plus d'idées originales que les travaux
réalisés individuellement. Résultats confirmés par
le concept de "paresse sociale" mis en avant par Maximilien Ringelmann (1913)
qui montre que les individus fournissent moins d'efforts pour les tâches
collectives que pour les tâches individuelles. Il utilise pour
décrire ce phénomène l'exemple d'une traction
exercée collectivement sur une corde qui tend à être
inférieure à la somme des tractions individuelles. Steven Karau
et Kipling Williams (1993) ont par la suite étendu les conclusions de
ces résultats aux travaux cognitifs qui connaissent les mêmes
maux. De plus, il semblerait, d'après les recherches de Jean-Marc
Monteil et Pascal Huguet (2001) en situation scolaire, que la paresse sociale
se développe surtout lorsque l'effort personnel est
considéré comme redondant à celui du collectif (anonymat
social qui entraîne une situation d'inertie psychologique).
Mais la peur de l'évaluation négative par les
autres membres du groupe ajoutée au besoin primitif de positionnement
vis-à-vis des collègues, subordonnés ou supérieurs
sont les explications majeures des freins à la créativité
lors des séances de brainstorming (Delacroix & Galtier, 2005).
Le brainstorming peut être vu comme un
échantillon représentatif des phénomènes sociaux
régissant toute organisation. Il n'existe pas dans la littérature
d'outils managériaux palliant ces obstacles. Néanmoins, d'autres
instruments ont été développés facilitant
l'innovation participative à plus grande échelle.
Parmi ces instruments nous noterons le "cerveau
total" de William Herrmann (1990) qui, se basant la
représentation du fonctionnement mental, établie une
manière optimale de constituer un groupe de créativité. Le
postulat de l'auteur est que plus une équipe est
hétérogène, plus elle est productive. Le but étant
de reconstituer à partir des membres d'un groupe, la quadrature d'un
cerveau humain. L'importance de chaque profile varie au fil du processus
d'innovation.
Figure 23 : Le cerveau total selon
William Herrmann (1990).
La méthode TRIZ peut également
être un outil associant la base salariale au processus d'innovation
(Cavalluci et al. 2002). Leurs apports permettent de multiplier les sources de
solutions envisagées.
Enfin, le système de management des idées
(SMI) est plus ambitieux. Sa vocation est de
fédérer la totalité du personnel autour du processus
d'innovation. Ce système se fonde sur les principes
généraux de la contribution et de la rétribution en terme
de reconnaissance de la valeur ajoutée générée par
les acteurs (Pons & Ramecourt, 2001).
Les facteurs clés de succès de cette
démarche sont les suivants80(*) :
- effectif impliqué et motivé, appel à
l'esprit d'initiative,
- uniformisation des processus,
- leadership clairement identifié,
- culture d'entreprise comme élément
déclencheur,
- encourager les équipes pluridisciplinaires.
Ce sont des applications informatiques qui gèrent la
collecte, le traitement, l'enrichissement et enfin la validation des
idées suggérées. Il existe différents
éditeurs sur le marché français dont, "I-Nova" et
"Ideavalue". Les TIC sont au service de l'innovation participative,
l'informatique accélère le traitement (réactivité)
et la diffusion des idées (fluidité). Ces outils font parti
intégrante du système d'information que l'entreprise doit
alimenter en permanence pour permettre à tous les salariés de
communiquer, d'interagir et d'être des forces de proposition (Pons &
Ramecourt, 2001).
Une fois l'idée générée et
sélectionnée : quelle récompense apporter à
celui ou à celle qui en est à l'origine ?
C'est une question largement débattue par les
professionnels du secteur qui en concluent que la meilleure forme de
rétribution est aussi la plus simple et la plus évidente :
une reconnaissance et un retour rapide de la suite donnée aux
idées retenues par la direction. La récompense pécuniaire
est souvent pratiquée mais aurait selon Hubert Jaoui (2003), auteur de
l'ouvrage "Tous innovateurs", un effet démobilisateur. Elle a comme
principal inconvénient d'être éphémère
(motivation extrinsèque) et de nombreuses entreprises craignent qu'elle
pervertisse le système. En érigeant un système de
gratifications financières autour de l'innovation, la contribution des
salariés devient implicitement exceptionnelle alors qu'elle fait partie
de l'activité quotidienne de tout un chacun dans le cadre de son
travail. (Pons & Ramecourt, 2001). La créativité doit avant
tout reposer sur la motivation et la fierté personnelle (motivation
intrinsèque). L'admiration des pairs est aussi un moteur puissant allant
dans ce sens (Sculley 1988).
* 76 Source : Compte-rendu
de la conférence du Club ESSEC RH du jeudi 25 septembre 2008.
Conférence présidée par Jean-Marie Peretti.
* 77 Source des
données : Observatoire du Management de l'Innovation - Étude
réalisée sur un panel d'entreprises présentes sur le
territoire français.
* 78 Source de l'exemple :
Site internet de l'entreprise (renault.com).
* 79 La BBDO fait partie du
Omnicom Group, premier groupe de communication au monde. Elle est l'agence de
publicité la plus importante du groupe.
* 80 Source : Compte-rendu
du séminaire I-Nova du mardi 29 juin 2010 - Conférence
présentée par Mathias Lamien (Schneider Electric).
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