H- Les ressources humaines en R&D
La définition communément admise de la recherche
et développement nous est fournit par l'OCDE. Il s'agit donc d'une
catégorie statistique, économique et comptable englobant
l'ensemble des activités entreprises « de façon
systématique en vue d'accroître la somme des connaissances, y
compris la connaissance de l'homme, de la culture et de la
société, ainsi que l'utilisation de cette somme de connaissances
pour de nouvelles applications ». 74(*)
Nous nous intéresserons uniquement à la R&D
relative à la sphère privée et marchande. La R&D ne
sera donc pas traitée hors du cadre de l'entreprise dans laquelle elle
peut se mettre en place sous la forme d'un département spécial ou
d'un laboratoire. De façon plus spécifique, les hommes et les
femmes qui la composent seront l'objet de notre analyse dans cette partie.
Enfin, nous nous focaliserons évidement sur les composantes de
l'activité R&D (recherche fondamentale, expérimentale ou
appliquée) se rapportant au développement des innovations
produits, services ou procédés.
Il est souvent difficile pour un manager commercial de
déceler les véritables attentes d'un chercheur tant celles-ci
sont parfois éloignées des stratégies de
rentabilités propres au mode de l'entreprise (Lee, 1992). Un chercheur
intègre habituellement un département R&D directement
à la suite de longues études (huit années pour un
doctorant en Union Européenne) avec à la clé un statut
d'expert sur une discipline unique. En conséquences, le jeune chercheur
tend à s'identifier au travers de sa discipline. Une étude
empirique de Louis Barnes (1960) éclaire cette analyse. Il en ressort
que les chercheurs se définissent au travers de leur profession et
spécialité (physicien ou biologiste par exemple) ne mentionnant
rarement leur appartenance à une entreprise, tandis que les autres
salariés s'identifient, souvent avec fierté, au travers de leur
entreprise. Les ambitions du jeune chercheur se refléteront d'ailleurs
plus aisément sous le prisme académique de sa discipline que sous
les objectifs pécuniaires de l'entreprise. Il existe donc un risque non
négligeable de distorsion au niveau managérial entre les attentes
et les intérêts respectifs à ces deux communautés.
Le professeur Dennis Lee (1992) fait une distinction entre le
mode de management relatif aux ingénieurs et scientifiques. Il explique
que ces deux groupes d'apparence semblable, poursuivent en fait des objectifs
bien différents au sein des départements R&D. Tous deux ont
en commun la formulation de problématiques et la recherche de solutions
appropriées, mais les ingénieurs ont typiquement des buts
pratiques à l'esprit tandis que les scientifiques étudient des
phénomènes fondamentaux. De plus, les scientifiques portent des
ambitions personnelles de recherche fondamentale qui ne se concrétisent
que par la publication de leurs écrits et la reconnaissance de leur nom.
Krech Crutchfield (1962) considère que la place de l'ego est primordiale
mais selon lui plus un individu est sensible aux évaluations
extérieures, moins il peut faire preuve de motivation
intrinsèque, l'ego étant mobilisé par la recherche de
signes de reconnaissance sociale. Ainsi, l'ambition de reconnaissance des
scientifiques peut conduire à une dégradation de la motivation
intrinsèque et finalement réduire la créativité
organisationnelle.
Au contraire des ingénieurs qui se nourrissent
essentiellement du succès commercial de leurs solutions (Lee, 1992).
Leurs objectifs personnels sont donc alignés avec les valeurs d'une
entreprise ce qui facilite grandement le management opérationnel.
Malgré cela, beaucoup d'ingénieurs se montrent
particulièrement réticents à l'idée
d'évoluer vers la position de manager. Tout d'abord, l'ingénieur
(plus que le scientifique) peut connaître une obsolescence de son
savoir-faire dans des domaines rigoureusement techniques où les concepts
évoluent très rapidement. Son expérience et ses
connaissances deviennent de moins en moins pertinents à mesure que les
technologies évoluent. C'est une source importante de frustration qui le
conduit irrémédiablement vers une position de manager à la
quelle il est souvent mal préparé de par son cursus scolaire ou
son expérience professionnelle ancré dans des domaines
particulièrement techniques (Twiss, 1992).
En effet, la raison principale qui rend réellement
difficile la transition de l'ingénieur vers une position de communicant
et de gestionnaire est son manque de compétences relationnelles pour
exercer cette fonction. Denis Lee (1992) met en relief les biais psychologiques
et les frontières cognitives qui sont souvent sources de dissonances
lorsqu'il s'agit de communiquer avec les départements marketing ou les
forces de ventes par exemple. Il révèle ainsi l'importance des
"gatekeeper"75(*) dans une
démarche systémique d'innovation.
Ces derniers sont de par leur profil en "T" (individus ayant
une compétence pointue dans leur domaine et de bonnes connaissances
générales sur des activités connexes) des forces critiques
pour l'organisation.
Figure 22 : Le gatekeeper au sein d'un
département R&D (Donnellan et al. 1997).
Comme nous pouvons l'observer, Mike, le gatekeeper, agit tel
un centre névralgique pour l'ensemble de la structure à laquelle
il fournit une information claire et intelligible par l'ensemble des
salariés.
Ce concept a été suggéré par
Thomas Allen en 1977, il décrit une personne clé dans
l'organisation qui facilite la diffusion de l'information externe au sein de
l'entreprise par des communications informelles avec les autres collaborateurs.
Il joue donc le rôle d'intermédiaire (ou courtier) entre les
connaissances externes et le capital de connaissances interne à
l'entreprise.
Thomas Allen (1977) identifie trois caractéristiques
décrivant le gatekeeper :
- c'est un expert technique dans son domaine,
- il détient un poste de commandement de premier
niveau,
- il est reconnu pour ses qualités techniques au
travers d'un management et d'une communication efficace.
Le but étant de découvrir
l'élément au sein du département R&D qui réunit
l'ensemble de ces qualités. Il pourra dés lors identifier
l'information clé, la traduire conformément à la culture
de l'entreprise et la diffuser via le réseau informel qu'il aura
préalablement bâti.
Plusieurs critiques ont toutefois commencé à
émerger avec la démocratisation des TIC qui tendent à
affaiblir la position de monopole de l'information que détenait
auparavant le gatekeeper. L'outil Internet en particulier a
considérablement changé la façon dont se partage et se
communique l'information (Whelan, 2007). Désormais, l'accès
à l'information s'est généralisé et la seconde
génération du Web (le Web 2.0) a mis sur pied de nouvelles
façons d'échanger et de communiquer auxquelles tout le monde
(internautes professionnels ou néophytes) peut participer. Chaque
employé peut donc pleinement et légitimement revendiquer une
position de "gatekeeper" au sein de l'entreprise.
De plus , et même si le modèle des
départements R&D a connu beaucoup de succès par le
passé. Et malgré des sommes parfois colossales investies en
R&D par les grandes entreprises, la productivité de ces laboratoires
et leur capacité à produire des solutions créatives sont
de plus en plus remises en question par les entreprises elles-mêmes qui
s'interrogent sur de nouvelles formes de management de la
créativité.
* 74 Source : Manuel de
Frascati Méthode type proposée pour les enquêtes sur la
recherche et le développement expérimental- 2002
* 75 Les appellations
d'imprésarios et d'architectes de réseaux sont aussi souvent
usitées.
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