Partie 3 : Le management opérationnel du
facteur humain
I Stimuler la
créativité en entreprise
« La créativité est une fleur qui
s'épanouit dans les encouragements mais que le découragement,
souvent, empêche d'éclore. » Alex Faickney
Osborn.
Définir la créativité est un exercice
difficile. Le terme bien que couramment employé, est chargé de
significations multiples. Malgré cela, certaines constantes se
retrouvent dans la manière de le définir. De façon
très générale, la créativité se
définit comme la capacité d'un individu ou d'un groupe à
imaginer et mettre en oeuvre un concept neuf, un produit nouveau ou à
découvrir une solution originale à un problème
spécifique66(*).
L'originalité et l'imagination sont donc au coeur de la
créativité (Carrier, 1997).
Nous associons communément la notion de
créativité au travail de l'artiste qui est par essence
dénué de toute préoccupation de valeur, au sens où
l'entendrait une entreprise marchande. Or, innovation et
créativité sont des notions étroitement liées dans
les esprits de certains auteurs (Asselin & Thaï, 2007) puisque
imbriquées dans un processus identique dont seul la finalité
diffère. A la source de l'innovation, nous trouvons les idées qui
sont elles-mêmes produites grâce à la puissance
créative des individus.
Le champ de la créativité dans une entreprise
est étendu, il peut porter sur le produit, le procédé,
l'organisation ou les orientations stratégiques (Rhodes, 1961).
A- La créativité organisationnelle
Teresa Amabile (1988), professeur et directrice d'un centre de
recherche en administration des affaires à l'université
d'Harvard, est célèbre pour son analyse pointue des composantes
de la créativité individuelle au niveau
organisationnel. Ce concept que l'auteur définit comme :
« la production d'idées nouvelles et utiles, par in
individu ou un petit groupe travaillant ensemble » repose sur
quatre caractéristiques essentielles :
- Les qualités personnelles de l'individu
créatif (qui sont l'orientation au risque, la diversité des
expériences, un certain degré de naïveté et l'aisance
sociale (Amabile & Gryskiewicz, 1987),67(*)
- Les compétences liées au domaine (incluant les
connaissances factuelles, les savoir-faire et les techniques spécifiques
liés au domaine en question),
- Le facteur environnant (Amabile précise que la
créativité peut être développée par des
méthodes et par de l'entraînement, le rôle du manager s'en
trouve renforcer. De plus, les auteurs Séverine Le Loarne et Sylvie
Blanco (2003) ajoutent que le degré d'engagement de l'individu
créatif dépend aussi de l'environnement externe68(*) de l'entreprise),
- L'engagement de l'individu créatif (cela implique que
l'individu ait choisi de transmettre son idée, de la faire partager, de
la promouvoir et ce, tout au long du processus créatif. L'objectif est
de dépasser l'analyse originelle intra-subjective, propre à
l'individu créateur, pour construire une vision de l'idée et de
son application qui soit commune au groupe).
Teresa Amabile accorde beaucoup d'importance à ce
dernier facteur considéré comme la clé de voute de la
créativité de l'individu. Sa capacité à explorer
les solutions face un problème donné est en effet proportionnelle
à son engagement ainsi que sa motivation intrinsèque. Cette
dernière ne fait pas directement référence aux stimuli
internes de l'individu ou à un éventuel besoin de
réalisation (en référence à la pyramide de
Maslow69(*)) mais à
la satisfaction et au plaisir procurés par le fait d'exercer
l'activité en question. Par opposition, la motivation extrinsèque
(à savoir le salaire, les récompenses ou la reconnaissance
sociale) tend à diluer l'efficacité d'une démarche de
créativité.
Ces résultats ont été obtenus grâce
à une étude qualitative réalisée par Teresa Amabile
et Stanley Gryskiewicz en 1987 auprès d'un groupe d'individus
exécutant des tâches requérant une dose importante de
créativité. Cette enquête a finalement permis de mettre en
évidence le fameux modèle componentiel d'Amabile
présenté ci-dessous.
Figure 20 : Modèle componentiel
d'Amabile au niveau individuel (Amabile, 1988).
Avec ce modèle, Amabile nous fournit une
véritable clé pour comprendre à la fois la logique
d'activation de la créativité au niveau individuel et son lien
avec le processus créatif qui va de l'éclosion de l'idée
(sa naissance voire son incubation) jusqu'à sa transformation en action
concrète.
De très nombreux auteurs ont poursuivi les recherches
menées en matière de créativité individuelle.
Parmi eux, nous citerons Howard Gardner (1993), Robert Sternberg et Todd Lubart
(1995) qui définissent la motivation intrinsèque comme un facteur
déterminant de la créativité et réaffirme ainsi le
postulat d'Amabile.
Plus récemment, Simon Taggar (2002) a aussi
proposé un modèle de la créativité venant
élargir le socle de l'analyse au niveau du groupe
constitué. Taggar identifie, à partir d'une étude
réalisée auprès de 480 étudiants constitués
en 92 groupes, cinq traits de personnalités qui favorisent les «
processus adaptés à la créativité de
l'équipe ».
Quatre de ces traits proviennent du "modèle des cinq
facteurs" de Costa et McCrae (1980). Il s'agit du caractère
consciencieux (concentration sur la tâche réalisée), de
l'ouverture aux expériences (renforce l'imagination et l'acceptation des
notions abstraites), du caractère agréable (suscite la confiance
au sein du groupe) et de l'extraversion (contribue à la motivation)
auxquels Taggar ajoute les aptitudes cognitives qui selon ce dernier,
facilitent la mémorisation et l'utilisation pertinente de l'information.
Figure 21 : Modèle multi-niveau
de Taggar sur la performance d'équipe (Grangé, 2008).
Ce que désire montrer Taggar au travers de ce
modèle est l'apport positif que constitue l'addition de ces
qualités individuelles au sein d'une équipe. L'approche
interactionniste de Richard Woodman et ses collègues (1993)
éclaire et complète cette analyse en instiguant l'idée que
le comportement créatif de l'individu dépend des
caractéristiques du groupe auquel il est rattaché ainsi que de
l'organisation à laquelle il est subordonné. Dans le même
temps, la créativité de toute l'organisation repose sur
l'harmonie du groupe dont sont garants les individus qui le composent. La
démarche créative au niveau individuel ou collectif doit donc
toujours être appréhender dans son contexte social et
organisationnel.
Enfin, un article de Jared Sandberg (2004), journaliste et
écrivain américain, nuance l'efficacité supposée du
travail de groupe qui s'est pourtant au fil des années,
avéré comme une norme établie dans les entreprises. Il
cite le fameux "paradoxe Abilene70(*)" pour appuyer son argumentation et décrit
comment un groupe peut entériner des décisions par consensus
implicite sans pourtant que les membres ne soient d'accord entre eux. C'est
selon l'auteur, l'un des effets pervers du "groupe démocratique" avec
notamment la rétention d'information, l'anarchie régnante et les
non-dits qui sont des éléments caractérisant la vie
sociale d'un groupe.
Cette critique du groupe tend à renforcer la vision
quelque peu romancée de l'innovateur solitaire dont le génie
reposerait sur des caractéristiques intrinsèques et propres
à sa personne qu'une organisation ne doit pas entraver. Au-delà
de cette image d'Épinal, nous devons nous interroger sur les
caractéristiques communes de la figure du novateur (entrepreneur,
découvreur, chercheur, client-novateur, artiste, etc.).
* 66 Source de la
définition : Encyclopédie Encarta (encarta.msn.com).
* 67 Se reporter à
l'annexe 3.A - "Résultats de l'étude empirique menée par
Amabile et Gryskiewicz"
* 68 Environnement externe qui
peut se traduire par de nouvelles normes institutionnelles ou des attentes
différentes des consommateurs qui poussent les acteurs de l'innovation
à proposer des offres concordantes (le secteur automobile, marqué
par les préoccupations de développement durable, présente
ainsi des modèles plus écologiques).
* 69 Se reporter à
l'annexe 3.B - "La pyramide de Maslow".
* 70 Paradoxe exposé par
le sociologue Jerry Harvey dans son ouvrage "The Abilene Paradox and Other
Meditations on Management" publié en 1988.
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