F- Vers l'innovation ouverte ?
Ainsi, l'hétérogénisation du groupe de
travail (organisation en plateau de projet par exemple) et la mutualisation des
diverses forces créatrices inaugurent les nouvelles formes
d'innovations ouvertes ou innovations distribuées.
L'innovation est dite "ouverte" par opposition à l'innovation
"fermée" (ou interne) qui est un processus polarisé et
unidirectionnel allant du département R&D vers le marketing et les
forces de ventes (Chesbrough & al. 2006). Cette approche place les
idées et les accès externes au même niveau d'importance que
les idées et les accès internes. Elle induit aussi que le client
puisse être placé au coeur du management de l'innovation. Cette
logique client lui permettra de mieux comprendre ses besoins
et d'anticiper les opportunités futures d'innovations.
Cela donne naissance aux "plateformes communautaires" (ou
"crowdsourcing"62(*)) sur
Internet qui permettent de faire travailler certains consommateurs sur des
projets concrets d'innovation.
La marque Orange du groupe France Télécom
organise ainsi régulièrement des concours d'innovation
auprès de ses clients technophiles63(*). Le principe est de mettre à contribution des
apports extérieurs, en l'occurrence ici les clients utilisateurs afin de
décupler les sources d'idées. Le fonctionnement de ces
plateformes communautaires renvoie aux grandes logiques de développement
des technologies d'Internet libre (open source) et notamment le web
2.064(*).
Toujours dans ces projets d'innovations collaboratifs, nous
noterons les initiatives abouties de Linux, Apache et MySQL ainsi que
l'encyclopédie en ligne Wikipedia qui sont des exemples de
réussites en matière de conceptions mutualisées
(Grangé, 2008).
Le cas Linux retient notre attention puisqu'il s'agit d'une
organisation considérée comme innovante (Tayon, 2002) mais
où l'exosquelette (bureaucratie, infrastructure, unités
stratégique) de la structure est absent. Cela amène certains
auteurs à questionner la pertinence du modèle de l'entreprise
hiérarchique, devant la montée en puissance de la conception
collaborative de l'innovation. Julien Tayon (2002) y apporte une réponse
claire en rappelant que le projet Linux repose avant tout sur un ensemble de
circonstances bien spécifiques : les apports sont
bénévoles, hédonistes et enfin l'entreprise ne
répond pas à une logique-client puisque producteurs et
consommateurs sont les mêmes personnes.
L'innovation ouverte peut aussi prendre la forme de :
- Forum thématique (organisé à
l'initiative des directions générales et servant à
pérenniser et à enrichir les connaissances de l'entreprise sur un
thème donné),
- Partenariat fournisseurs-clients (association en amont des
clients potentiels à l'élaboration de nouveaux produits),
- Réseaux d''entreprises et collectifs de recherches
(association avec universités de recherche).
L'organisation en réseau nous amène à
étudier la notion d'entreprise étendue et par
voie de conséquence le concept de milieu innovateur.
Le milieu innovateur se définit comme
« un ensemble territorialisé dans lequel les interactions
entre agents économiques se développent par l'apprentissage
qu'ils font de transactions multilatérales génératrices
d'externalités spécifiques à l'innovation et par la
convergence des apprentissages vers des formes de plus en plus performantes de
gestion en commun des ressources » (Maillat & al. 1993).
Figure 19 : Caractéristiques du
milieu innovateur (Joyal, 1995).
L'écosystème environnant agirait donc comme un
puissant incubateur d'innovations que l'entreprise seule ne serait pas capable
de reproduire.
Le fait de tisser des partenariats stratégiques et
territoriaux avec d'autres entreprises pour partager les coûts et les
fruits de l'innovation prend donc une importance particulière dans cette
démarche d'innovation ouverte65(*). Rosabeth Moss Kanter (1999) élargie la
portée de ces partenariats au domaine public et notamment universitaire.
Certaines entreprises considèrent en effet les besoins des
collectivités comme des opportunités de développement
d'idées, d'ouverture de nouveaux marchés et de réponse
à des problèmes économiques chroniques. Observations
appuyées par Namshin Cho (1996) qui suivant l'exemple de Samsung,
suggère la grappe en réseau comme structure
méso-économique idéale pour développer les
innovations. Enfin, la lecture de la théorie des traductions nous
rappelle que la construction de réseau est essentielle pour dynamiser le
processus tourbillonaire de l'innovation (Callon, 1986).
Toutefois, cet aspect du management de l'innovation se situe
hors du cadre conceptuel de notre recherche et ne sera donc traité
qu'à minima au cours des analyses qui suivront.
Nous allons nous pencher dans le chapitre suivant sur le
facteur humain dans l'innovation et sur le concept de créativité
organisationnelle cher à Teresa Amabile (1988) qui met principalement
l'accent sur l'individu créatif.
* 62 Anglicisme
désignant une conception collaborative sur des plateformes web avec la
contribution de personnes anonymes. Nous pouvons le traduire par
«approvisionnement par la foule».
* 63 Source de
l'information : Plateforme communautaire d'Orange innovation
(orange-innovation.tv).
* 64 Terme inventé en
2005 par Tim O'Reilly qui désigne une étape de l'évolution
d'Internet caractérisant une démocratisation des supports
Internet permettant aux utilisateurs de devenir les acteurs de l'information.
* 65 Se reporter à
l'annexe 2.B - "Mondialisation des partenariats stratégiques entre
firmes".
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