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Management de l'innovation - holisme organisationnel

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par Jérémy Gain
NEGOCIA CCIP - Master 2 2010
  

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V Construire l'organisation innovante

A- Vers de nouveaux modèles d'organisations?

Durant les dernières décennies, les entreprises sont passées d'une organisation par métiers à une organisation en projets pour concevoir, développer, réaliser et mettre en service leurs produits et procédés nouveaux.

Brian Twiss (1992) prétend qu'une organisation divisée par disciplines est adéquate pour l'acquisition de nouvelles connaissances dans un domaine d'activité bien spécifique. C'est une structure adaptée aux universités et aux laboratoires de recherche mais inappropriée aux entreprises commerciales car cette approche organisationnelle ne prend pas suffisamment en compte la dimension transdisciplinaire de l'innovation. Ce cloisonnement conduit selon l'auteur à décourager les élans créatifs trop étouffés par une orthodoxie managériale. C'est aussi l'une des faiblesses de l'organisation française pointée du doigt par Philippe Lorino (1998) lorsqu'il déciare que « l'esprit de géométrie »58(*) des dirigeants français à l'égard des idées nouvelles constitue un obstacle majeur au développement des innovations.

Nous observons que le management par ligne de produits ou projets est une tendance lourde d'évolution des organisations qui se développe depuis une dizaine d'années (Boy, 2003). Et c'est la matrice organisationnelle combinant ces deux structures qui semble aujourd'hui l'emporter dans les choix stratégiques.

Figure 16 : Organisation par métiers et par projets (Twiss, 1992).

Mais la coexistence des ces deux organisations peut parfois aboutir à certaines rigidités dans le management et la mise en oeuvre des projets d'innovation. Aussi, certaines entreprises cherchent à trouver de nouveaux modes d'organisations permettant de trouver un équilibre entre la rigueur de la forme par métiers et la créativité de la forme en en projets.

Ce constat se trouve renforcé par l'analyse de Norbert Alter (1993) qui explique que la logique rationnelle de l'organisation tend à s'opposer à la logique intrinsèquement aléatoire de l'innovation. C'est ainsi que se mettent en place des dispositifs organisationnels originaux visant à favoriser une créativité des individus qu'un trop grand formalisme de gestion pourrait annihiler.

Pour les innovations de rupture, l'auteur François Romon (2006) observe que les entreprises tentent parfois l'externalisation totale du groupe de projets en en créant une nouvelle filiale59(*).

Ces filiales ou "venture group" accordent un très grand degré d'autonomie au chef de projet chargé de mener à bien le processus complet de développement du nouveau produit ou service. Les membres de cette nouvelle structure se voient ainsi confiés la mission du lancement et de la gestion de la nouvelle activité. Le "venture group" permet donc à l'entreprise d'allouer plus efficacement des ressources (appui méthodologique, technologique et financier) à des projets innovants mais ne concordant pas toujours avec son coeur de métier. Ce schéma d'action organisationnelle connait un franc-succès (les responsables d'entreprise pratiquant le "venture group" annoncent, selon les cas, de 70 à 90% de réussite à cinq ans60(*)) mais reste le fait des grandes entreprises capables d'assumer son coût conséquent et la complexité de sa mise en oeuvre (Le Loarne & Blanco, 2009). L'exemple le plus mémorable serait celui de l'entreprise américaine Hewlett Packard (HP) qui décida en 1982 de transférer une unité spéciale à Vancouver pour se lancer sur le marché du laser.

Mais face aux critiques nombreuses soulignant l'aspect alambiqué et le coût substantiel d'une telle opération, experts et spécialistes ont développé des dispositifs heuristiques tentant de concilier ces deux impératifs contradictoires que sont l'innovation et l'organisation.

Parmi ces mesures figure l'intrapreneuriat. Camille Carrier (1997) la définit comme « la mise en oeuvre d'une innovation par un employé, un groupe d'employés ou tout individu travaillant sous le contrôle de l'entreprise ». L'intrapreneuriat est en fait une version allégée du "venture group". Il est en effet prévu que la nouvelle organisation reste physiquement intégrée à l'entreprise ce qui facilite grandement sa mise en place tant sur le plan juridique que financier (Basso, 2004).

Les auteurs insistent aussi sur le caractère protéiforme de l'intrapreneuriat et certains introduisent de nouveaux concepts destinés à nuancer les deux polarités présentées ci-dessus. Le "spin-along" (Rohrbeck et al. 2007), qui est décrit comme un mélange entre l'intrapreneuriat et le "venture group", en fait partie. L'idée est de promouvoir le développement de l'innovation par un entrepreneuriat externalisé qui, en cas de succès, pourra être ultérieurement réintégré dans la société-mère. Cette forme d'organisation de l'innovation pose par ailleurs la question de la structure étendue qui sera par la suite abordée avec plus d'attention.

Figure 17 : De l'intrapreneuriat à l'extrapreneuriat (Bornert et al. 2010).

Le schéma ci-haut reflète les variables d'actions envisageables entre l'intrapreneuriat et l'extrapreneuriat. Le mode opération choisi diffère en fonction de leur importance stratégique et de leur lien avec le coeur de métier de la firme.

Pour les innovations incrémentales, l'introduction d'une plus grande souplesse dans le fonctionnement des projets peut s'avérer être une forme d'organisation plus adéquate avec la nature modeste de l'innovation projetée.

Le principe de l'organisation ambidextre (ou hybride) est dans ce cas retenu comme étant le plus efficient (O'Railly & Tushman, 1996). Les analyses des deux auteurs convergent pour démontrer que cette organisation est la plus adaptée pour tirer le meilleur parti des ressources existantes (activité d'exploitation) tout en assurant simultanément l'efficience du département R&D (activité d'exploration). Cette organisation se distingue au travers de trois caractéristiques principielles :

- Une organisation distribuée (caractérisée par une conception modulaire fondée sur de petites unités autonomes dispersées spatialement),

- Une organisation plurielle (possédant une grande diversité culturelle et des expertises variées),

- Une organisation flexible (qui repose sur une flexibilité identitaire et managériale).

Figure 18 : Schéma de l'organisation ambidextre (O'Railly & Tushman, 1996)

Les deux entités (coeur de métier et métiers émergents) sont des structures autonomes et indépendantes au niveau fonctionnel. Chacune développe ses propres règles, procédures et même culture tout en restant hiérarchiquement rattachée au management global61(*).

Pour François Jolivet (2003) : « chaque projet doit s'auto-organiser en fonction de ses spécificités et de son environnement à partir de métarègles issues de l'observation de la famille des projets à laquelle il appartient ».

Toutefois certains auteurs (Buisson et al. 2005) mettent en garde contre les dangers d'une telle organisation pour des innovations radicales. Ils estiment qu'elles sont susceptibles d'engendrer des phénomènes d'affrontements partisans (par crainte d'une redistribution des pouvoirs). De cette opposition frontale résulterait un conflit généralisé gangrenant l'ensemble des ressources de l'entreprise. Ce conflit est d'autant plus difficile à juguler que le métier historique bien que menacé, fournit encore à l'entreprise une part importante de ses revenus tandis que le nouveau métier se construit dans une incertitude totale ne facilitant pas sa reconnaissance.

Pour pallier ces difficultés internes, la forme particulière et transitoire de l'organisation en plateau de projet (ou concourante) peut être imaginée. Son but est de :  « réunir dans un même espace des acteurs internes externes. Ces intervenants disposent d'une forte délégation décisionnelle à l'égard de leur hiérarchie respective » (Garel, 2003). L'entreprise Renault l'a expérimentée avec succès pour notamment pour le lancement de la Mégane. Élisabeth Bourguinat (1999) en nuance toutefois les avantages. Elle précise dans un article paru en 1999 que cette forme d'organisation nuit à capitalisation des savoirs accumulés: « la confrontation directe entre les acteurs, avec une urgence accrue, tend à faire disparaître les traces écrites ». Sans cette mémorisation collective, l'entreprise ne peut plus tirer les bénéfices des compétences acquises et de l'expérience engendrée (processus correspondant à la notion d'organisation apprenante).

Le modèle de l'organisation hypertexte prônée par Ikujiro Nonaka et Hirotaka Takeuchi (1995) va explicitement dans ce sens. Les deux auteurs voient dans cette forme d'organisation la synthèse idéale entre l'efficience et la stabilité de la bureaucratie avec l'efficacité et le dynamisme de la gestion par projet.

Figure 18 : L'organisation hypertexte (Nonaka & Takeuchi, 1995).

Cette organisation comporte aussi un troisième niveau organisationnel qui est la "base de connaissance".  Les connaissances générées séparément dans la partie "bureaucratique" et la partie "projet" sont ensuite re-catégorisées et re-conceptualisées suivant les orientations stratégiques de l'entreprise. Le SI opère dans ce type d'organisation un rôle fondamental.

* 58 L'esprit de géométrie selon Pascal, désigne un tableau des valeurs qui domine notre conception du monde spirituel, qui dicte, dans notre vie quotidienne, notre jugement sur les êtres et sur les choses.

* 59 Aussi connue sous son appellation anglaise de "corporate spin-off" et parfois utilisée sous le néologisme "extrapreneuriat".

* 60 Sources des données : APCE Agence Pour la Création d'Entreprises - rapport publié en 2007 (www.apce.com)

* 61 Se reporter à l'annexe 2.A "Les structures organisationnelles selon O'Railly & Tushman".

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo