IV Les facteurs organisationnels conditionnant
l'émergence des innovations
L'étude de la théorie des organisations nous a
permis de mieux intégrer le champ conceptuel gravitant autour du
management de l'innovation. Son caractère indéniablement
théorique permet d'engager une réflexion globale sans pourtant
parvenir à décrypter la "boite noire"44(*) de l'innovation au niveau de
l'organisation.
Malgré les nombreuses tentatives de modélisation
dont a fait l'objet ce processus, il demeure encore drapé d'un flou
conceptuel qui en limite sa compréhension pratique. Ainsi, le
modèle de la boite noire, présenté ci-dessous, transcrit
métaphoriquement les difficultés régnant autour de sa
spécification.
Figure 8 : Le modèle de la
boîte noire: l'innovation comme résultat (Chouteau, 2007)
C'est au milieu des années 1950 que naquit le
modèle linéaire et hiérarchique qui formula pour la
première fois l'hypothèse que l'innovation n'était pas
seulement un résultat mais aussi et surtout un processus. Les
étapes de ce processus étaient alors considérées
comme prévisibles. Cette approche se base donc sur l'hypothèse
que l'innovation est un processus linéaire démarrant par la
découverte scientifique, passant à travers les étapes de
la recherche et développement pour terminer sur une phase de
commercialisation.
Figure 9 : Le modèle
linéaire de l'innovation (Schuetze & Gibson, 1998)
Ce modèle incitera de nombreuses entreprises à
augmenter leurs dépenses en R&D dans les années 1980.
Il est aujourd'hui marginalisé car ne rendant pas compte de la
complexité de ce phénomène protéiforme. Ce
modèle ne laisse en effet, aucune place aux "feeds back"
c'est-à-dire aux éventuels retours entre une étape et une
autre. De plus, en lui conférant un caractère essentiellement
processuel, l'innovation se transforme en une succession d'étapes
rigides et mécanistes excluant ainsi toute improvisation.
C'est en réaction à ces critiques que Kline et
Rosenberg (1986) ont proposé un nouveau modèle reconnaissant la
nature multidimensionnelle de l'innovation en incorporant les
rétroactions sur chacune des étapes du processus.
Figure 10 : Le modèle de la
chaîne interconnectée (Kline & Rosenberg, 1986)
L'innovation et le changement technique deviennent pour les
deux auteurs des processus interactifs (certaines innovations peuvent impacter
la recherche scientifique et sa dynamique. Les relations ne sont plus seulement
unilatérales). D'autre part, la science n'est plus l'unique
élément centralisateur des connaissances pour l'entreprise.
Enfin, ce modèle souligne le rôle prépondérant
qu'occupe l'étape de conception dans le processus d'innovation. Elle est
« l'épine dorsale du modèle »
(Forest, 1999). Ce processus de conception se divise en cinq étapes :
1. L'invention et la conception analytique.
2. La conception détaillée et les essais.
3. La conception finale.
4. La production.
5. La mise sur le marché de l'innovation.
En plaçant, le processus de conception au centre du
processus d'innovation, les deux auteurs veulent insister sur la dimension
organisationnelle de l'innovation et «refusent toute puissance
de la science sur le fait innovatif » (Chouteau &
Viévard, 2007).
Nous allons suivre cette logique et démarrer un voyage
au coeur de l'anatomie des organisations innovantes afin de comprendre la
taxonomie des organisations innovantes et de déterminer quels sont leurs
dénominateurs communs.
A. Impulser une vision stratégique et une culture de
l'innovation
S'il existe un facteur apparent et commun aux organisations
innovantes, c'est bien celui de la vision stratégique.
Pour Peter Senge (1991) professeur au MIT Sloan45(*) et auteur de la "La cinquième discipline", la
vision corporative est le socle solide d'une entreprise qui
prédétermine sa réussite. Elle est une image
concrète du futur désiré et sert à décrire
un état de fait précis qui a une validité dans le temps.
Son énoncé doit pouvoir susciter un effet inspirateur et
mobilisateur auprès des individus. La formulation de la vision permet de
construire une cohésion globale qui ne peut être
négligée dans le cadre du management de l'innovation.
L'exemple d'Apple est à ce titre, riche en
enseignements. La firme américaine fut érigée en 1976 dans
un garage de Cupertino46(*). La vision de ses deux fondateurs, Steve Jobs et
Steve Wozniak, était de créer des ordinateurs accessibles
à tous. Cela se traduisit par l'énoncé suivant :
«The Computer for the rest of us » (1984). Ce slogan
visionnaire est par la suite devenu « Think
Different » (1997-2002). Il convient de rappeler qu'à
cette époque l'ordinateur personnel ne représentait qu'un
marché de niche47(*) aux perspectives de croissances inconnues. Cette
vision ambitieuse et audacieuse, conféra à l'entreprise une
identité propre qui fut un élément d'attraction pour bon
nombre d'employés d'entreprises concurrentes (Moritz, 1984). Avoir une
vision stratégique est donc extrêmement important pour conduire
une entreprise et ses salariés vers la réalisation d'objectifs
ancrés sur le long-terme. De plus, la vision stratégique peut
participer à l'éclosion d'une culture
d'entreprise propice à l'innovation.
La notion de "culture d'entreprise" serait apparue en
Angleterre, puis en Allemagne au début du XIXe siècle (Coze
& Potin, 2006). D'abord fortement imprégnée des pratiques
paternalistes alors en vogue dans les usines tayloriennes, elle a ensuite
évolué en réaction à ce modèle s'attachant
à replacer l'individu émancipé au centre de la structure.
Et c'est finalement à partir des années 1980 que cette expression
s'est imposée sur les bases des modèles de réussites des
entreprises japonaises et américaines. La culture d'entreprise est
aujourd'hui un instrument stratégique largement répandu bien
qu'étant souvent regardée sans réel discernement
(Massiera, 2006).
Le concept de culture se définit de façon
multiple selon les disciplines auxquelles il est rattaché. Ethnologues,
anthropologues, sociologues et psychosociologues en font un usage singulier et
cette dimension universelle contribue à en brouiller sa signification
(Tylor, 1876).
Théodore Dobzhansky (1966), biologiste et
généticien ukrainien, souligne l'idée selon laquelle la
culture est une composition sociale construite en dichotomie avec la base
naturelle d'un environnement figé.
« De cette opposition, la culture apparaît
comme un effort pour produire autre chose que la forme donnée
immédiatement. [...] La culture d'entreprise est
représentée par les différentes individualités du
personnel qui élabore et construit en commun, au fils du temps et des
événements qui surviennent dans l'entreprise, une culture
perceptible au travers de ses us et coutumes » (Massiera,
2006).
Quel serait donc le lien entre culture d'entreprise et
innovation ?
Rajesh Chandy (2009), chercheur en marketing à la
London Business School, la considère comme « le facteur
de conduite de l'innovation le plus important ». En effet, son
caractère communautaire (valeurs généralisées et
partagées par l'ensemble de la structure) suscite de la part des acteurs
de l'organisation une implication proportionnelle à la force identitaire
de la culture d'entreprise.
L'auteur ajoute que le lieu d'ancrage géographique de
l'entreprise n'est pas un facteur décisif de la capacité et de la
facilité d'innovation. Selon lui : « le hub de
l'innovation n'est pas dans le pays, il est au sein même de la
société ».
Pour façonner cette culture d'innovation, l'une des
étapes essentielles consiste à développer une attitude
favorable à la prise de risque. La logique d'innovation
implique il est vrai, une grande part d'incertitude. Ce manque de
visibilité et ses conséquences sur la rentabilité
financière de l'entreprise peuvent inhiber les acteurs au changement.
Cette observation est partagée par Edwin Catmull (2008) qui rappelle que
le rôle du dirigeant n'est pas d'empêcher le risque mais
d'établir une organisation capable de se reconstruire lorsque les
échecs surviennent. Il souligne ainsi la dimension fatalement
risquée de l'innovation qu'il serait vain de vouloir annuler. De
même James Dyson (2005), inventeur de la marque d'aspirateur
éponyme48(*),
analyse : « si vous voulez découvrir quelque chose
que les autres n'ont pas encore fait, cela suppose de faire les choses mal et
d'observer en quoi ces ratés vous conduisent à voir la question
de manière complètement différente de vos
prédécesseurs ». Une forte tolérance
à l'égard de l'échec est donc jugée primordiale
à la conduite du management de l'innovation.
Philippe Lorino (1998) estime que cette tolérance doit
se traduire par une valorisation du long terme
(c'est-à-dire un horizon décisionnel et une stratégie
orientés vers le long terme).
Les travaux de l'auteur français soulignent par
ailleurs qu'une culture propice au changement est une
condition sine qua non pour capitaliser les réels potentiels
d'innovation présents dans un groupe. Cette culture peut
déboucher sur une «organisation agile" (Badot, 1998) apte à
anticiper son avenir et à s'adapter rapidement lorsqu'une rupture
survient (Hurley & Hult, 1998). Il faut néanmoins souligner que
cette flexibilité de l'organisation s'articule
généralement à contre-courant des contraintes de
prédictibilité imposées par le " réseau de
valeur" de l'entreprise (constitué par les actionnaires, marchés
financiers, clients, etc.). Toute entreprise tend donc à instaurer des
systèmes institutionnels formalisés favorisant la
pérennité de la structure. Mais le développement de ces
routines organisationnelles, bien que garantissant la création de valeur
sur le court et moyen terme, est également un facteur d'inertie qui
peut, à terme, contribuer à fragiliser l'entreprise. Clayton
Christensen conclut dans son ouvrage "The innovator's dilemma" (1997) que si
les firmes échouent c'est en fait parce qu'elles sont
gérées avec trop de rationalité et de
prédictibilité.
« Un processus donne la capacité
d'exécuter une tâche, il définit aussi des inaptitudes
à en réaliser d'autres » (Christensen &
Overdorf, 2000).
L'exemple de Kodak est à ce titre symptomatique :
établie en 1892, la firme américaine fut la première
à produire un appareil photo argentique destiné au grand public.
Fort de ce succès, Kodak débuta son internationalisation et
s'installa peu à peu en tant que chef de file mondial du secteur.
L'entreprise améliora son produit phare au gré des progrès
technologiques mais ne mesura pas avec discernement la menace venue des
appareils numériques et notamment l'arrivée de la marque
japonaise Sony qui provoqua dés 1981 une révolution sur ce
marché et renversa Kodak de sa position de leader (Sauteron, 2009).
Figure 11 : Le dilemme de l'innovateur
(Christensen, 1997).
Le schéma ci-dessus, reprend le dilemme auquel furent
confrontés les managers de Kodak qui ont finalement décidé
de privilégier ce qu'ils estimaient quantifiable et certain au
détriment d'un changement audacieux de leur modèle
économique.
Il ne suffit pourtant pas d'adopter une démarche
organisationnelle favorable au changement, il faut aussi pouvoir l'anticiper.
B. Accroître la capacité d'absorption de
l'entreprise
La survie d'une entreprise est facilitée lorsqu'il
existe une fonction de surveillance de son environnement. En effet, anticiper
les évolutions du contexte social, technologique ou économique
lui permet de disposer de davantage de temps pour structurer efficacement sa
stratégie.
Cette activité de vigie49(*) couvre un large
spectre d'informations recueillies, traitées puis diffusées en
interne (Boly, 2004) :
- données scientifiques,
- évolution des marchés et de
l'économie,
- évolution culturelle,
- évolution des méthodologies de conduite de
projet et de gestion de la production,
- émergences de nouveaux procédés
organisationnels.
Peter Drucker (1985) identifie quant à lui, quatre
domaines d'opportunités pour l'entreprise :
- L'événement inattendu (qui a l'avantage
d'être opportun car déconsidéré par la
concurrence).
- L'incongruité (un décalage conséquent
entre un résultat et une attente peut devenir une source
d'innovation).
- Le mode de production (exigences d'un processus qui
entraîne dans son sillage de nouveaux besoins et donc à fortiori
de nouvelles sources d'innovations).
- L'évolution du secteur (un changement dans la
structure d'un marché est une source considérable
d'innovations).
La criticité de l'activité de détection
et d'appropriation des opportunités externes est aussi citée dans
les travaux de Wesley Cohen et Daniel Levinthal (1990). Les auteurs postulent
que pour assimiler les informations pertinentes de son environnement
l'organisation doit d'abord détenir un substantiel capital de
connaissances lui permettant de rendre intelligibles les données
collectées.
Michel Fiol (1996) va même jusqu'à faire
l'analogie entre l'entreprise et une éponge. Estimant que comme une
éponge, plus l'organisation absorbe d'informations plus elle est capable
de l'essorer et ainsi de la diffuser via les canaux prévus à cet
effet.
Figure 12 :
Capacité d'absorption de l'entreprise (Cohen &
Levinthal, 1990).
La capacité d'absorption permet donc d'additionner les
connaissances produites par les concurrents hors-industrie aux savoirs et
découvertes du département R&D. Elle favorise ainsi le
développement du savoir technique de l'ensemble de la structure.
L'accent est en outre mis sur les "experts
traducteurs"50(*), qui de
par leurs relations informelles avec le monde scientifique et leur capital de
connaissances accumulées, peuvent interpréter et propager avec
une plus grande réactivité les signaux-faibles51(*) (Ansoff, 1975) annonciateurs
de changement futurs. De façon plus pragmatique, Vincent Boly (2004)
argumente en faveur d'une démocratisation de l'activité de
veille. Chacun des acteurs doit pouvoir de façon autonome collecter
l'information propre à son domaine d'intervention avant que celle-ci ne
soit centralisée par la direction, via un outil intranet52(*) par exemple.
Cette activité de veille peut donner lieu à
l'écriture de scenarii, véritables routes artificielles, qui vont
modeler la stratégie de l'entreprise. Gill Ringland (2006) cite
plusieurs exemples d'entreprises recourant à ces outils de
prédictions : Shell, Electrolux, Digital Equipment, etc.
Toutefois et même s'ils facilitent l'exploration de
chemins potentiels, ces scenarii sont fastidieux à concevoir et
s'accommodent mal à des environnements instables.
Enfin, il est à noter que l'accumulation de ce
savoir-faire pose la problématique complexe du management des
connaissances53(*). Nous distinguons généralement les
connaissances tangibles (contenues dans les bases de données de
l'entreprise et dans tous ses écrits) des connaissances tacites
(composées des connaissances théoriques, du savoir-faire et des
compétences professionnelles de l'ensemble des salariés, faisant
ainsi références au capital immatériel de l'entreprise).
La bonne gestion de ce capital influence positivement les
performances de l'entreprise et sa capacité d'innovation (Nonaka, 1994).
En outre, l'argument principal de l'auteur est que le processus d'innovation
intervient grâce à un dialogue continu entre savoir tacite et
savoir explicite. L'objectif fondamental du management des connaissances est
donc d'augmenter la valeur du capital immatériel de l'entreprise afin
d'agencer un transfert des compétences humaines en capital
incorporé et imbriqué dans la structure de l'entreprise.
Figure 13 : La base de données
des connaissances de l'entreprise (Twiss, 1992).
Nous considérons que le management des connaissances
constitue la matière grise de l'entreprise mais que pour être
réellement vectrice d'innovations, elle doit être irriguée
par une communication interne efficace.
C. Développer la communication interne
Dans une enquête comparative menée par Alejandro
Balbontin et ses collègues (1999), la communication interne est
formellement identifiée comme un élément-clé dans
le processus d'innovation. La fluidité des
communications transversales entre les départements et
l'aptitude à coordonner l'activité des différentes
branches d'une structure sont considérées par ces auteurs comme
des appuis incontestables pour l'innovation.
C'est un point sur lequel Frederick Betz (2003) porte son
attention en ajoutant que les délais sont primordiaux au bon
déroulement du développement d'une innovation, car chaque
entité est liée à une autre, et le retard d'une
entité peut affecter de façon cumulative le processus dans son
ensemble. En conséquences, l'organisation doit savoir stimuler
la coordination des activités des départements en
même temps qu'elle facilite la diffusion d'un flux constant d'information
au sein de l'entreprise.
Ces impératifs de coordination et de communication
doivent être menés parallèlement de façon verticale
et horizontale. La direction verticale assure la liaison et l'harmonisation des
exigences stratégiques avec la créativité
spécifique à chaque individu. Également très
importante, la direction horizontale permet de fluidifier le processus de
développement et de générer de nouvelles idées
(Twiss, 2003).
Figure 14 : Régulation de la
communication interne.
Le graphique présenté ci-dessus rappelle que la
communication tout en étant généralisée doit
demeurer maîtrisée et diversifiée. Par ailleurs, Philippe
Lorino (1998) rejoint quelque peu la théorie des traductions, en
émettant l'idée que : « la diversité des apports
culturels est une source de fertilisation croisée [...] donc de
l'innovation ».
Les travaux menés sur la diversité
ethniques s'accordent sur leurs bienfaits dans le cadre d'une
démarche d'innovation totale (Cox & Blake, 1991). Une analyse
partagée par Rosabeth Moss Kanter (1968) qui fait l'apologie de la
diversité dans les organisations en se basant sur la métaphore
d'un kaléidoscope autorisant un nombre infini de combinaisons
(génératrices d'idées) dans un espace clos (la structure
interne). De plus, pour donner pleine mesure au développement des
processus innovants, la hiérarchie doit adopter une posture
bienveillante à l'égard des idées nouvelles.
L'importance du soutien managérial et
décisionnel pour l'incubation d'une culture d'innovateurs est
un facteur clé de succès qui est cité dans les analyses de
Norman Kaplan (1960). L'innovation et l'incertitude sont analogues, et tout
individu porteur d'idées ressent un besoin de sécurité
important car ses idées, souvent vues comme risquées, demeurent
fragiles jusqu'à leur réalisation. Pourtant, les situations
perturbatrices favorisent le développement des germes de l'innovation.
Cette problématique divise toujours les experts qui oscillent entre ces
deux paradoxes.
William McKnight, président de 3M de 1949 à
1966, déclarait à ce propos : « L'innovation
nécessite de déléguer des responsabilités et de
stimuler la prise d'initiatives. Ceci réclame de la tolérance. Si
vous déléguez à des gens compétents, ils vont faire
les choses à leur façon. Ceci est toujours possible si l'on
respecte le sens général du développement de l'entreprise.
Les intéressés feront des erreurs mais celles-ci seront beaucoup
moins dramatiques que les erreurs de management, notamment si les pratiques
sont dictatoriales. Le management peut être critique et destructeur, et
par voie de conséquences stopper toutes initiatives. Or, l'innovation
c'est l'initiative. » (Boly, 2004).
D. Mettre en place un système d'information
global
Comme il a été précédemment
décrit, le traitement de l'information est crucial pour
l'instrumentalisation de l'innovation au niveau organisationnel, que ce soit
l'information d'origine externe à l'entreprise (détection au plus
tôt d'un changement dans les modes de consommation alimentaire par
exemple) ou interne (analyse des écarts de délais sur un projet
d'innovations). Par conséquent, la maîtrise du
système d'information est un facteur clé de
succès pour les projets d'innovation.
Un système d'information (SI) représente
l'ensemble des éléments participant à la gestion, au
traitement, au transport et à la diffusion de l'information au sein de
l'organisation (Delmond & al. 2008). Il permet lorsqu'il est
généralisé à toute la structure :
- L'identification, le traitement et la diffusion de
l'information utile,
- La capitalisation des savoirs et savoir-faire (management
des connaissances),
- L'utilisation des outils de communication,
coopération et coordination comme facteurs de succès des
projets.
Un SI remplit quatre grandes fonctions de base :
acquérir, traiter, stocker et communiquer.
Toutefois, comme le rappelle Mélissa Saadoun
(2000) : « la raison d'être d'un système
d'information, c'est l'accès au bon moment, à la bonne
information, obtenu par l'harmonie entre les trois sous-systèmes
suivants : le sous-système organisationnel (qui met en
interaction les hommes, les métiers, les processus et les structures de
l'entreprise), le sous-système applicatif (qui comprend toutes les
applications existantes de gestion et de production ainsi que les applications
bureautiques), le sous-système informatique (qui comprend toutes les
infrastructures techniques, des réseaux aux normes, en passant par les
ordinateurs) ».
Ce système doit donc être profitable aux membres
de l'organisation. Il doit pouvoir mettre en interaction les acteurs et les
métiers de l'innovation, dans le cadre des structures et des processus
inhérents aux développements de nouveaux produits ou services.
L'article "Teaming Up to Crack Innovation and Enterprise
Integration" publié en 2008 dans la Harvard Business Review, fait
en quelque sorte le parallèle avec le système d'information
précédemment décrit et révèle la
difficulté rencontrée par les entreprises, non pas pour
générer de nouvelles idées, mais plutôt pour les
identifier, les mettre à profit et leur allouer des ressources afin de
les développer au mieux.
Les auteurs préconisent de fournir à la
direction des systèmes d'informations (DSI) les outils permettant une
articulation entre le local et le global. Il est également question de
faire interagir des acteurs situés dans et hors des frontières de
l'organisation. Marjolaine de Ramecourt et François-Marie Pons (2001)
voit dans l'Intranet l'instrument idéal permettant
d'atteindre ce but.
Figure 15 : Le tableau de bord du DSI
(Centre d'expertise des progiciels54(*)).
Ces outils permettent aussi de libérer les individus de
tâches mécaniques et répétitives qui auparavant,
leur incombaient. La disparition de ces tâches à faible valeur
ajoutée est en plus un gage d'autonomie pour les salariés qui
pourront dés lors se voir confier des activités faisant appel
à l'intelligence créative plus qu'à la simple
capacité mécanique (Pons & Ramecourt, 2001).
L'information partagée, mise à jour en temps
réel et accessible à tous permet de faire circuler des
idées d'un point à un autre de la structure
étendue55(*) ce qui
facilite grandement le travail des équipes de projets dispersées
en leur évitant par exemple, de répéter les mêmes
erreurs ou de buter sur des problèmes déjà résolus
(pour ne pas avoir à "réinventer la roue"). De plus James Gardner
March et Herbert Simon (1965) déclarent à propos de
l'utilité du partage du système d'information :
« l'attribution des ressources aux nouveaux programmes
(d'innovation) dépendra très largement du réseau de
communication à travers lequel les propositions vont des entrepreneurs
aux investisseurs ».
Cependant, Stefan Thomke (2001) attire notre attention sur le
fait que ces technologies sont des ressources complexes et difficiles à
appréhender pour les non-initiés. Le temps d'apprentissage peut
être long et le risque d'une sous utilisation (phénomène de
l'usine à gaz56(*))
ou d'une utilisation chronophage de ces technologies est bien réel.
Nonobstant ces contraintes, l'intégration de ce
dispositif reste une étape essentielle sur le chemin ardu du management
de l'innovation. Son utilisation généralisée alimente un
immense cerveau collectif (notion de mémorisation et d'organisation
apprenante) au service l'entreprise innovante. Les TIC permettent aussi
permettre aux entreprises d'expérimenter leurs produits avant de les
lancer sur le marché (via la simulation sur ordinateur par exemple).
Enfin nous mentionnerons pour conclure un panel non-exhaustif
d'outils informatiques d'aide à la démarche
d'innovation :
- Le QFD ("Quality Function Deployment") qui vise la
traduction la plus fidèle possible des besoins du client sous forme de
spécifications produits et procédés. Son
intérêt principal réside dans une préparation
minutieuse effectuée en amont de la conception du produit. Cela permet
d'éviter les ajustements post-conception (Terninko & al. 1998).
- La méthode TRIZ déjà abordée
dans le chapitre précédent, est l'oeuvre d'un ingénieur et
scientifique russe du nom de Genrich Altshuller. Ce système part du
principe que chaque innovation repose sur un compromis (ou
"déséquilibre"). Le programme va donc explorer, à la
demande de l'utilisateur confronté à un paradoxe (par
exemple : fabriquer du beurre sans matière grasse), une
série de solutions déjà éprouvées par le
passé. Cette méthode permet de briser ce qu'Altshuller appel
"l'inertie psychologique". Elle renforce ainsi la créativité des
acteurs de l'innovation (Boly, 2004). Son champ d'application étant
très large elle sera une nouvelle fois traitée dans le chapitre
suivant.
- La méthode Taguchi57(*) se focalise sur la satisfaction du consommateur
final. Taguchi estime que la satisfaction du client décroit à
mesure que le produit conçu se détourne de ses objectifs initiaux
en matière d'usage et de qualité. Cette méthode tend donc
à prévenir toute déviation dépassant
l'élasticité et la marge de manoeuvre déterminée
par le client (Terninko & al. 1998).
Bien plus qu'une simple boite à outil, ces trois
instruments ont une force synergique qui ne doit pas être
sous-estimée dans une démarche d'innovation.
* 44 La boite noire est un
terme inventé à l'origine par Ronald H. Coase, qui désigne
un processus linéaire reliant, d'une part l'invention et, d'autre part,
l'innovation. Elle est d'inspiration schumpetérienne.
* 45 En français
Institut de technologie du Massachusetts. C'est une institution de recherche et
une université américaine, spécialisée dans les
domaines de la science et de la technologie.
* 46 Cupertino est une ville
américaine de Californie dans le comté de Santa Clara au sein de
la Silicon Valley.
* 47 Le premier ordinateur
personnel fut commercialisé en 1975 sous le nom l'Altair 8800.
* 48 Dyson est une
société d'électroménager design britannique,
fondée et présidée par James Dyson. Cette
société est devenue célèbre grâce à
ses aspirateurs à séparation cyclonique, sans sac et sans perte
d'aspiration.
* 49 Ce terme englobe la veille
technologique, la veille méthodologique et managériale et
l'intelligence économique.
* 50 Traduit de l'anglais
"gatekeeper" ainsi retranscrit dans le texte orignal (cf. Cohen &
Levinthal, 1990).
* 51 Des informations qui
laissent à penser que pourrait s'amorcer dans l'environnement de
l'entreprise des événements susceptibles d'avoir un impact
significatif sur son devenir.
* 52 L'intranet est un
réseau informatique utilisé à l'intérieur d'une
entreprise qui utilise les techniques de communication d'Internet.
* 53 Terme plus connu sous sa
forme anglaise : "Knowledge Manageement", plus souvent prononcé
"KM".
* 54 Le CXP a été
créé en 1973, sous l'impulsion du Ministère de
l'Industrie, par de grandes sociétés françaises : Air
France, Bred, BSN (aujourd'hui Danone), Charbonnage de France, EDF, la RATP, la
Société Générale afin d'aider les entreprises dans
leurs choix de progiciels.
* 55 Une entreprise
étendue (dite aussi « en réseau », ou «
matricielle », ou « virtuelle ») est un ensemble d'entreprises
et d'acteurs économiques associés pour la réalisation de
projets communs.
* 56 Cette expression
péjorative désigne généralement quelque chose de
disproportionnée par rapport à son usage final. Ce terme tire son
origine dans la comparaison faite avec une usine de fabrication du gaz de
ville, d'aspect monstrueux, compliqué et incompréhensible pour
beaucoup.
* 57 Gen'ichi Taguchi est un
célèbre ingénieur et statisticien japonais inventeur de la
méthode éponyme.
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