Le droit des propriétés publiques à l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA( Télécharger le fichier original )par Morgan Reynaud Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011 |
b) Le contrôle des concentrationsLe dispositif permettant au CSA de contrôler les concentrations est lourd et aride. Cependant, le développer est nécessaire pour comprendre au mieux les pouvoirs de gestion domaniale dont dispose le Conseil (á). La comparaison entre ce droit des concentrations et le droit commun sera également évoqué (â). á) Présentation du dispositif.Le contrôle des concentrations est un contrôle complexe dont les acteurs sont multiples. Sont ainsi concernés la commission européenne qui vérifie l'application du droit européen des concentrations sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne116(*), l'autorité de la concurrence et le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Cette pluralité d'acteurs découle de la pluralité des droits de la concurrence. Outre le droit communautaire et le droit national de la concurrence, s'ajoute le droit audiovisuel de la concurrence. Seul ce dernier fera, par ailleurs, l'objet des présents développements. De même, seuls les dispositifs relatifs à la radio analogique et à la télévision numérique (TNT) seront étudiés pour ne pas complexifier d'avantage un dispositif déjà peu clair. De même, l'arrêt de la diffusion analogique de programmes de télévisions est prévu pour le 30 novembre 2011. A contrario, la radio diffusée en mode numérique ne sera pas traitée non plus dès lors que celle-ci n'est encore qu'au stade de l'expérimentation117(*). Le contrôle des concentrations tel que dévolu au Conseil Supérieur de l'audiovisuel est précisé par les articles 39, 41, 41-1, 41-1-1, 41-2, 41-2-1, 41-3 et 41-4 de la loi de 1986. De nombreuses dispositions s'appliquent donc en vue de promouvoir la diversité éditoriale des acteurs économiques profitant du spectre. Le système est dès lors très complexe et technique mais doit être observé pour démontrer les règles de bonne gestion domaniale. En ce qui concerne la radio, le dispositif est somme toute assez simple. Une même personne morale « ne peut [...] disposer en droit ou en fait de plusieurs réseaux que dans la mesure où la somme des populations recensées dans les zones desservies par ces différents réseaux n'excède pas 150 millions d'habitants ». En d'autres termes, si on admet que la population française est de 63 millions d'habitants118(*), une même personne morale ne peut bénéficier que de deux autorisations nationales et, le cas échéant, d'autorisations locales dont le nombre d'auditeurs potentiels ne peut dépasser 24 millions. La seconde restriction vient de l'audience cumulée des différentes stations appartenant à une même personne morale par rapport à l'audience nationale de l'ensemble des services de radios. Ainsi, l'article 41 de la loi de 1986 interdit à quiconque d'être titulaire « d'une ou plusieurs autorisations relatives chacune à un service de radio dont l'audience potentielle cumulée terrestre dépasse 20 % des audiences potentielles cumulées de l'ensemble des services de radio, publics ou autorisés, diffusés par voie hertzienne terrestre ». En matière de télévision, le dispositif est bien plus complexe, voire illisible. L'article 41 dispose tout d'abord que « nul ne peut être titulaire de deux autorisations relatives chacune à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre ». Toutefois, l'alinéa 4 du même article admet une dérogation de taille en matière de diffusion d'un service de télévision hertzienne en mode numérique (TNT) et dispose ainsi qu'« une même personne peut être titulaire, directement ou indirectement, d'un nombre maximal de sept autorisations relatives chacune à un service ou programme national de télévision [...] diffusé par voie hertzienne terrestre en mode numérique lorsque ces services ou programmes sont édités par des sociétés distinctes ». En d'autres termes, un même groupe peut détenir jusqu'à sept autorisations nationales dès lors que les différents titulaires sont des personnes morales distinctes qui sont ses filiales. C'est ainsi que le groupe TF1 détient quatre autorisations de diffusion de services de télévision nationale gratuits en mode numérique au travers quatre chaînes distinctes que sont TF1, NT1, TMC et TV Breizh119(*). Cette interdiction, déjà bien complexe, est encore plus ardue lorsque l'on traite les chaînes locales diffusées en mode numérique. Ainsi, l'article 41 de la loi de 1986 prévoit qu'il est impossible qu'une personne titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à un service local de télévision numérique d'obtenir une nouvelle autorisation portant sur un service local de même nature si cette autorisation a pour effet de porter le nombre de téléspectateurs potentiel à plus de douze millions d'habitants dans la zone considérée. La complexification atteint l'apothéose avec la prise en compte, par la loi de 1986, des groupes « pluri-médias », c'est-à-dire les personnes morales titulaires de plusieurs autorisations d'ordre différent (national/local ; télévision/radio etc.). L'objectif clairement affiché par le législateur est d'éviter que des groupes cumulent plusieurs activités, tant sur les plans locaux que nationaux, qui pourraient avoir des conséquences néfastes sur la libre concurrence, et donc sur la gestion optimale du spectre. Ainsi, sur le plan national, toujours en matière de télévision numérique, l'article 41-1-1 de la loi de 1986 interdit au CSA d'attribuer une nouvelle autorisation de fréquence à une personne morale dès lors que cette nouvelle autorisation lui permettrait de se situer dans plus de deux des situations suivantes : Ø être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint quatre millions d'habitants ; Ø être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de radio permettant la desserte de zones dont la population recensée atteint trente millions d'habitants ; Ø éditer ou contrôler une ou plusieurs publications quotidiennes imprimées d'information politique et générale représentant plus de 20% de la diffusion totale, sur le territoire national, des publications quotidiennes imprimées de même nature, appréciée sur les douze derniers mois connus précédent la date à laquelle la demande d'autorisation a été présentée. Sur le plan local ou régional, l'article 41-2-1 de la loi de 1986 prévoit, dans le même esprit, des dispositions similaires adaptées au caractère limité de la diffusion. Ainsi, le titulaire d'une autorisation de diffusion d'un service local de télévision numérique ne pourra obtenir une nouvelle autorisation que si cette dernière ne lui permet pas de rentrer dans plus de deux des situations suivantes : Ø être titulaire d'une ou de plusieurs autorisations relatives à des services de télévision en numérique, à caractère national ou non, diffusés par voie hertzienne terrestre dans la zone considérée ; Ø être titulaire d'une ou plusieurs autorisations relatives à des services de radio, à caractère national ou non, dont l'audience potentielle cumulée, dans la zone considérée, dépasse 10 % des audiences potentielles cumulées, dans la même zone de l'ensemble des services, publics ou autorisés, de même nature ; Ø éditer ou contrôler une ou plusieurs publications quotidiennes imprimées, d'information politique et générale, à caractère national ou non, diffusés dans cette zone. Cette prescription dite des « deux situations sur trois120(*) » peut toutefois être aménagée par le Conseil qui peut autoriser une personne morale à occuper la fréquence sollicitée alors même qu'elle ne respecte pas ces prescriptions, sous réserve que ladite personne morale s'y conforme dans un délai fixé par le CSA ; délai qui ne peut excéder six mois121(*). Outre les dispositions relatives au nombre d'autorisations dont peuvent bénéficier les personnes morales, la loi de 1986 prévoit des règles d'indépendance organique des services de communication audiovisuelle. Ainsi, l'article 38 de la loi précitée dispose tout d'abord que « toute personne [...] qui vient à détenir toute fraction supérieure ou égale à 10 % du capital ou des droits de vote aux assemblées générales d'une société titulaire d'une autorisation [...] est tenue d'en informer le Conseil supérieur de l'audiovisuel dans le délai d'un mois à compter du franchissement de ces seuils ». La violation de cette obligation de transparence expose son auteur à une amende de 18 000€122(*). Plus spécifiquement, l'article 39 de la loi interdit à une personne seule, ou agissant avec d'autres, de détenir, directement ou indirectement, plus de 49% d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service national de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre dont l'audience moyenne annuelle dépasse 8 % de l'audience totale des services de télévision. Saisit par des parlementaires, le Conseil Constitutionnel a explicité l'intérêt d'une telle disposition en relevant que celle-ci avait pour but de « favoriser l'introduction de la diffusion numérique par voie hertzienne terrestre des services de télévision privés ; qu'à cet effet, elles permettent à une même personne, lorsque la part d'audience nationale du service ne dépasse pas 2,5 %123(*), de détenir plus de 49 % du capital d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service de télévision diffusé par voie hertzienne terrestre ; que la conciliation ainsi opérée par le législateur entre la liberté de communication, d'une part, et les autres exigences et contraintes techniques rappelées ci-dessus, d'autre part, n'apparaît pas manifestement déséquilibrée124(*) ». Le Conseil d'État est tout de même venu préciser que cette limite des 49% ne s'appliquait pas « en cascade ». Il a ainsi considéré qu'« il résulte [...] de l'économie de la loi du 30 septembre 1986 et des textes qui l'ont ultérieurement modifiée que le législateur n'a pas entendu soumettre les personnes morales, contrôlant des sociétés titulaires de telles autorisations, à l'obligation de ne pas être elles-mêmes détenues à plus de 49 % par le même actionnaire125(*) ». Cette proscription de principe est, cependant, encore réduite en matière de télévision terrestre hertzienne en mode analogique ; question qui ne sera pas traitée pour les raisons ci-avant évoquées. Enfin, un éditeur de programme bénéficiant d'un droit de diffusion nationale ne peut détenir au maximum que 33% d'une société ou association bénéficiant d'une autorisation de diffusion locale dès lors que son audience dépasse le seuil des 8% précité . Dans un esprit paradoxalement protectionniste en matière de libre concurrence, l'article 40 de la loi 1986 précise qu'« aucune personne de nationalité étrangère ne peut procéder à une acquisition ayant pour effet de porter, directement ou indirectement, la part du capital détenue par des étrangers à plus de 20 % du capital social ou des droits de vote dans les assemblées générales d'une société titulaire d'une autorisation relative à un service de radio ou de télévision par voie hertzienne terrestre assuré en langue française ». Cette assertion ne s'applique pas aux personnes morales ou physiques ressortissants des pays membres de l'Union Européenne. En effet, l'article 40 prévoit que cette règle n'est valable que « sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France ». Or, si une telle disposition s'appliquait aussi aux ressortissants communautaires, elle méconnaîtrait le principe de la libre circulation des capitaux prévue aux articles 63 à 66 du traité sur l'Union européenne. Il n'en reste pas moins qu'une telle assertion, toute fondée qu'elle puisse être, s'avère quelque peu étrange dans un dispositif qui prévoit la libre concurrence. Il est à noter que la violation des règles prévues aux articles 39 et 40 de la loi de 1986 expose l'auteur des faits à une amende de 150 000€126(*). En outre, si le Conseil a un rôle « préventif » en la matière en n'accordant pas les autorisations aux sociétés ne remplissant pas les conditions économiques, il possède également un rôle correctif dès lors qu'il peut s'opposer, postérieurement à l'autorisation, à ce que le titulaire de cette dernière subisse une modification capitalistique. Il s'agit là d'un pouvoir très important puisque, à l'extrême, le Conseil peut, au titre de l'alinéa 1er de l'article 42-3, retirer sans mise en demeure préalable l'autorisation précédemment accordée dès lors que sont remises en cause de manière substantielle « les données au vu desquelles l'autorisation avait été délivrée », ce qui recouvre « notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement ». A ainsi, par exemple, pu fonder le retrait de l'autorisation, la modification de l'équipe dirigeante d'une association titulaire ainsi que de ses conditions de financement et de contrôle127(*). Ceci étant, le Conseil n'est pas tenu de procéder au retrait de l'autorisation lorsqu'il constate une modification capitalistique. Le Conseil d'État a, en effet, conféré au CSA un pouvoir d'appréciation en considérant qu' « il appartient au Conseil, dans le cadre des pouvoirs qu'il tient de la loi pour autoriser l'exploitation d'un service de télévision, de rechercher si les modifications envisagées par la société titulaire de l'autorisation sont de nature à remettre en cause les choix opérés lors de la délivrance de cette autorisation 128(*)». * 116 Article 101 et suivants du TUE et Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises («le règlement CE sur les concentrations»). * 117 CSA, 1er mars 2011 : « La société France Multiplex a été autorisée à expérimenter, jusqu'au 28 décembre 2011, la diffusion numérique de plusieurs radios [...] sur la fréquence 11 B depuis trois sites desservant la région lyonnaise » ; CSA, 7 juin 2011 « Le Conseil a autorisé le Groupement des radios associatives de la métropole nantaise (GRAM) à prolonger, du 15 juin au 15 septembre 2011, son expérimentation de radio numérique aux normes T-DMB/DAB+ ». * 118 En 2010, l'INSEE considérait que la population française était de 62 799 000 d'habitants. La projection pour 2011 donne 63 136 000. Voir : http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATnon02145. * 119 Cette chaîne devrait arriver sur la TNT en novembre 2011 ; Nonce Paolini, président du groupe TF1, ayant dès 2008 déclaré dans Télérama que la chaîne Breizh TV serait la chaîne proposée pour bénéficier du canal complémentaire prévu par l'article 103 de la loi de 1986 et devant dédommager les chaînes historiques du passage à la TNT. * 120 E Derieux et A Granchet, « Droit des médias, droit français, européen et international », LGDJ, 5ème édition, 2008. * 121 Article 41-1-1 et 42-1-1 renvoyant à l'article 41 de la loi de 1986. * 122 Article 75 de la loi de 1986. * 123 L'article 17 de la loi n°2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel prévoyait, à l'origine, ce seuil de 2,5% de Pda annuelle. La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie a porté ce seuil à 8% de Pda annelle. * 124 CC, 11 juillet 2001, Loi portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel n° 2001-450 DC : Rec CC p 82 ; RJS 2001.900 ; les cahiers du Conseil Constitutionnel 2001.10 ; RFDC 2001.762 note D. Ribes ; LPA n° 144, 20 juillet 2001, p. 15 note J-E Schoettl ; LPA n° 185, 16 sept. 2002, p. 11, note L. Baghestami-Perrey ; D 2002, n° 24 p 1949 note D. Ribes ; AIJC 2001.582,585,617,625, note L Domingo. * 125 CE, 20 avril 2005, Sté Bouygues, Req n°266974 : Rec p 157 ; « Où s'arrête le dispositif anti-concentration de la loi du 30 septembre 1986 ? » AJDA 2005.1646 ; G Orsoni, « Contrôle capitalistique des sociétés audiovisuelles », RTD Com 2005.709. * 126 Article 77 de la loi de 1986. * 127 CE, 15 janvier 1997, Association Radio Sud-Vendée-Pictons, Req n° 177989 180694 : Rec p 20 ; D 1997.48 ; JurisData n° 1997-050006 ; JCP G 1997, IV, 1301, obs. M.-Ch. Rouault. * 128 CE, 29 mai 2002, Sté Lyon-Mag, Req n°222112 : Juris-Data n° 2002-064560. |
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