Le droit des propriétés publiques à l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA( Télécharger le fichier original )par Morgan Reynaud Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011 |
2) La protection administrative du domaine public hertzien.L'intégrité du domaine public hertzien peut également être conservée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel lui-même grâce aux pouvoirs qu'il tient directement de la loi sans préjudice des dispositions pénales évoquées ci-dessus. Il convient à ce titre de rappeler qu'au sens de la jurisprudence du Conseil d'État, « le Conseil supérieur de l'audiovisuel est ainsi chargé de veiller à l'utilisation optimale des fréquences radioélectriques disponibles en tenant compte des contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle189(*) ». Les autorisations conférées par le CSA aux éditeurs de services précisent des conditions techniques que doit respecter le titulaire. A défaut, celui-ci s'expose à une sanction prononcée à son encontre par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. Premièrement, les éditeurs autorisés doivent diffuser sur les bandes de fréquences qui leur sont attribuées. La question qui a donné lieu à plusieurs mises en demeure190(*), a été posée en 2003 par TF1 et M6 dans le cadre d'un contentieux élevé devant le Conseil d'État. Par plusieurs décisions du 30 avril 2002191(*), le CSA a prévu des réaménagements de fréquence. Les sociétés TF1 et M6 ne se sont pas soumises à ce nouveau plan de fréquence et ont continué à occuper les bandes de fréquence qui leur étaient anciennement conférées. Le Conseil d'État, saisi par le CSA sur le fondement de l'article 42-10 de la loi de 1986, a enjoint sous astreinte aux deux chaînes de cesser toute diffusion sur les anciennes fréquences et d'adopter le nouveau plan de fréquence prévu par le CSA. Les chaînes contestaient la possibilité pour le CSA de réaménager les fréquences de titulaires d'autorisation. Le Conseil d'État a considéré au contraire qu'il appartenait justement au CSA de modifier ces prescriptions techniques sur le fondement de la loi et des principes de la domanialité publique192(*). Cette assertion n'est pas révolutionnaire dès lors qu'on considère le CSA comme une autorité responsable de la gestion du domaine public hertzien affecté à la communication audiovisuelle. Par une décision du 12 mai, le Conseil d'État fixe définitivement la question en considérant que le CSA doit « veiller à la meilleure utilisation possible des fréquences radioélectriques disponibles en vue notamment du développement de la télévision numérique terrestre », il lui appartient donc « de procéder à cette fin aux réaménagements de fréquences nécessaires par des décisions unilatérales193(*) ». En conséquence, lorsque le Conseil réaménage des fréquences, les titulaires de celles-ci doivent pourvoir à leurs obligations en se soumettant au nouveau plan de fréquence. Les juges du Palais-Royal légitiment ainsi la capacité du Conseil de réaménager les fréquences, et, le cas échéant, de sanctionner la diffusion d'un service sur une bande de fréquence qui ne lui est pas ou plus attribuée. Cette compétence illustre bien le fait que le CSA est une autorité gestionnaire du domaine public. Les autorisations qu'il confère sont ainsi susceptibles de modification en vu d'assurer la gestion optimale du spectre. Le CSA bénéficie donc des pouvoirs de sanction nécessaires pour faire valoir cette qualité domaniale. La mise en oeuvre de ces pouvoirs est ainsi motivée par la préservation du spectre, et donc, in fine, à la conservation du domaine public hertzien. Deuxièmement, l'émission du signal par l'éditeur ne doit pas dépasser la puissance apparente rayonnée (PAR) autorisée. Le Conseil peut, quand un éditeur de service émet un signal qui dépasse la puissance à laquelle il avait été autorisé à émettre, le mettre en demeure. Si celui-ci ne se conforme pas à cette mise en demeure, le Conseil peut le sanctionner à hauteur de 3% du chiffre d'affaire annuel de l'éditeur (5% si récidive) selon la procédure « normale » prévue aux articles 42-1 et suivants de la loi de 1986. C'est ainsi, par exemple, que le 16 juin 2011, à la suite d'une procédure de sanction ouverte contre le service Radio Bonheur le 12 octobre 2010, le Conseil a infligé une sanction financière de 10 000€ à l'éditeur pour non respect des conditions techniques de son autorisation. Cette sanction, équivalent à 1% du chiffre d'affaire total de l'éditeur194(*), a été prononcée suite à une mise en demeure adressée à la radio en 2009 enjoignant à celle-ci de se conformer aux exigences techniques de l'autorisation195(*). En l'espèce, la radio émettait, d'après les études techniques à la disposition des services du Conseil (dont la direction juridique) à une puissance apparente rayonnée de 1 000 W au lieu des 50 W autorisés. Le Conseil d'État a déjà eu à se prononcer sur la procédure de contrôle qui peut déboucher sur de telles sanctions. Dans un arrêt du 14 juin 1991196(*), les juges du Palais-Royal ont précisé les conditions dans lesquelles les constatations de dépassement de la PAR par un éditeur de service peuvent être réalisées. Il découle de cet arrêt qu'aucun texte n'impose que les procès-verbaux de constatation soient dressés de façon contradictoire. De plus, le Conseil d'État note que « si, en vertu du 3ème alinéa de l'article 78 de la loi susvisée, les agents du CSA et ceux placés sous son autorité ne peuvent constater par procès-verbal les infractions énumérées aux deux premiers alinéas du même article, qu'à la condition, notamment, d'avoir été assermentés dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, de telles dispositions, relatives à la procédure pénale susceptible d'être engagée à l'encontre des dirigeants de services de communication audiovisuelle [...] ne trouvent pas à s'appliquer, s'agissant de la procédure de sanction mise en oeuvre contre l'organisme titulaire d'une autorisation, dont les conditions sont définies par les article 42 à 42-10 de la loi ». Le Conseil d'État rappelle ici une évidence ; à savoir que la procédure pénale ci-avant développée ne se confond pas avec la procédure de sanction administrative prévue par les articles 42 et suivants de la loi de 1986. Ce faisant, l'absence d'assermentation et d'habilitation d'agents ayant dressé un procès verbal dans le cadre des articles 42 et suivants ne peut être invoquée à l'encontre de la procédure de sanction. Dans ce même arrêt, le Conseil d'État précise l'articulation entre les sanctions pénales prises sur le fondement de l'article 78 et les sanctions prises sur le fondement des articles 42 et suivants. Ainsi, les juges du Palais-Royal notent que « la circonstance que les poursuites pénales engagées à la suite d'infractions antérieures n'aient pas encore donné lieu à une décision des juridictions pénales ne [fait] pas obstacle à ce que le Conseil prenne en compte lesdites infractions pour apprécier la gravité des nouveaux manquements commis par l'association ». De plus, quand bien même le président aurait été relaxé des fins de poursuites engagées à son encontre sur le fondement de l'article 78 par des jugements des juridictions pénales, « une telle circonstance [n'empêche] pas qu'une sanction administrative [soit] infligée à l'organisme titulaire de l'autorisation, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'existence matérielle des faits ayant motivé la sanction a été déniée par les décisions du juge pénal ». Le Conseil d'État clarifie là une difficulté d'articulation entre les articles 78 et 42 de la loi. Si l'article 78 permet la condamnation d'une personne physique (le gérant de l'éditeur) dès lors que les agents du Conseil constatent un dépassement de la puissance maximale autorisée, les articles 42 et suivants visent à sanctionner, non pas la personne physique responsable, mais la personne morale éditrice du service. Le Conseil d'État fait ici une application littérale de la loi du 30 septembre 1986. Enfin, et cette assertion conforte l'idée que les pouvoirs de sanction du CSA ont vocation à protéger le domaine public hertzien, le Conseil d'État note, dans le même arrêt, que « la méconnaissance par l'association des obligations dont était assortie son autorisation pouvait, à elle seule, justifier légalement qu'une sanction lui fût infligée, alors même que les manquements commis n'auraient pas été à l'origine de perturbations dans la diffusion des ondes hertziennes ». En d'autres termes, quand bien même le dépassement de la PAR maximale autorisée n'emporte aucune perturbation radiophonique ou télévisuelle, l'éditeur qui s'en rend coupable peut faire l'objet d'une procédure de sanction. Le caractère conservatoire de ce pouvoir est donc évident. Celui-ci pouvant dès lors se définir comme une police administrative de la conservation du domaine public hertzien adaptée à sa spécificité. Outre les dépassements de PAR, le CSA peut imposer à un service qui a été autorisé à émettre, de le faire effectivement dans un délai déterminé. L'article 25 de la loi de 1986 prévoit d'ailleurs que le CSA « détermine le délai maximum dans lequel le titulaire de l'autorisation doit commencer de manière effective à utiliser la ressource radioélectrique dans les conditions prévues par l'autorisation ». Lorsqu'un éditeur ne diffuse pas dans les délais imposés par la convention signée avec le CSA, ce dernier constate la caducité de l'autorisation197(*). Le CSA peut mettre en demeure un service de diffuser198(*), mais aucune disposition législative ou réglementaire ne lui impose lorsque ce constat est fondé sur l'article 25 de la loi de 1986199(*). De même, rien n'impose à l'autorité de régulation de respecter une procédure contradictoire dès lors que cette décision ne présente pas le caractère d'une sanction200(*). En effet, le CSA se fonde, dans un tel cas, sur une donnée objective pour constater la caducité de l'autorisation, à savoir la non-diffusion dans les délais déterminés par la convention. A contrario, si l'éditeur stoppe la diffusion après avoir émis dans le délai prévu à la convention, la mise en demeure semble devoir s'imposer201(*). En effet, en de pareilles circonstances, le Conseil ne constate pas la caducité de l'autorisation sur le fondement de l'article 25 mais peut retirer ou résilier unilatéralement la convention sur le fondement de l'article 42-1 de la loi. Or, dans ce cadre, la procédure décrite aux articles 42 et suivants de la loi s'imposent. Il est à noter que le CSA peut mettre en demeure une société de reprendre ses émissions alors même que son matériel a été saisi dès lors que « la saisie, par des officiers de police judiciaire, du matériel d'émission, [...] pour diffusion de programmes sans autorisation ne peut faire obstacle à ce que le conseil supérieur de l'audiovisuel use du pouvoir que lui confèrent les dispositions précitées de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986, pour enjoindre à l'association de reprendre, avec les moyens qu'il lui appartient de se procurer, la diffusion du programme propre en fonction duquel l'autorisation d'usage d'une fréquence lui avait été attribuée 202(*)». Cela est également justifié dans l'objectif de préserver le domaine public hertzien d'un encombrement inutile dès lors que les fréquences « réservées » empêchent la diffusion de programmes par d'autres services. Le Conseil note à ce titre que « compte tenu de la rareté des fréquences disponibles, [il] ne peut accepter que des opérateurs autorisés n'exploitent pas ces dernières203(*) ». L'émission depuis un site autre que celui qui a expressément été convenu dans la convention peut également motiver une procédure de sanction. Ainsi, par exemple, la société Techniques et productions audiovisuelles, éditrice du service Gold FM, a-t-elle été condamnée à une sanction pécuniaire d'un montant de 1 368 euros pour émission à partir d'un site non autorisé204(*) ; et ce malgré une précédente mise en demeure205(*). De même, le Conseil a mis en demeure la SAS Intercom 13 d'émettre le service Radio Star sur la fréquence attribuée à partir du lieu prévu dans la convention (Orange) alors même que la société émettait à partir d'un autre site206(*). Outre la préservation technique du spectre, le Conseil Supérieur de l'audiovisuel joue un rôle dans la conservation fonctionnelle du domaine public. * 189 CE, 23 février 2005, SA Radio Monte Carlo, Req n°260372 : Rec T p 1084 ; CE 23 février 2005, Association radio Thau Sete FM Req n°259998, inédit. * 190 Voir, par exemple :Décision n° 2010-129 du 16 février 2010 mettant en demeure la société BFM TV JORF 2 avril 2010 ; Décision n° 2010-130 du 16 février 2010 mettant en demeure la société MCM, JORF 2 avril 2010 etc. * 191 Décision n° 2002-284 du 30 avril 2002 modifiant la décision n° 2001-578 du 20 novembre 2001 portant reconduction de l'autorisation délivrée à la société Métropole Télévision (M6) JORF 29 mai 2002 ; Décision n° 2002-279 du 30 avril 2002 complétant la décision n° 2001-577 du 20 novembre 2001 portant reconduction de l'autorisation délivrée à la société Télévision française 1 (TF 1) JORF 29 mai 2002. * 192 CE, 27 mars 2003, Req n°254737 : Rec p.152. * 193 CE, 12 mai 2003, TF1 et M6, Req n°247353 : Rec p.205 et ccl. Conformes ; JCP 2003. II. 10 147 ; JCP 2003. II. 10 189.2144, note A. Chaminade.; AJDA 2003.1454, note J-P. Thiellay ; RFDA 2003.846. * 194 Pour le détail, voir : http://www.csa.fr/actualite/decisions/decisions_detail.php?id=133631. * 195 Décision n° 2009-444 du 16 juin 2009 mettant en demeure la SARL Média Bonheur, JORF 29 juillet 2009. * 196 CE, 14 juin 1991, Association Radio Solidarité, Req n°107365 107859 110270 114646 : Rec 1991 ; JCP G,1991 n° 43 IV p 378, note M C Rouault ; Gaz Pal, 13 mars 1992 n°73 p 30 ; JL Autin, « Le pouvoir répressif d'une autorité administrative indépendante devant le juge administratif », RFDA 1992.1016 ; D 1992.77. * 197 Voir par exemple : Décision n° 2011-273 du 5 mai 2011 constatant la caducité de la décision n° 2010-292 du 16 mars 2010 autorisant la société Amazone Caraïbes Télévision pour la reprise intégrale et simultanée en mode numérique du service de télévision privé à vocation locale et régionale « Antenne Créole Guyane » sur le réseau OM 1 JORF 28 mai 2011. * 198 Voir par exemple : Décision n° 2011-172 du 30 mars 2011 mettant en demeure l'Association pour la diffusion de la culture arabo-berbère, JORF 12 mai 2011. * 199 CE, 22 avril 1992, SA Prisca, Req n° 92959 : Dr. adm. 1992. comm. 282. * 200 CE, 22 mars 1996, Sté NRJ SA, Req n° 131861 : Rec ; AJDA 1996.471. * 201 CE, 22 avril 1992, SA Prisca précité (solution implicite). * 202 CE, 12 juillet 1993, M Dehin, Req n°123726, inédit. * 203 Rapport annuel d'activité du CSA pour 2009. * 204 Décision n° 2009-121 du 6 janvier 2009 portant sanction pécuniaire à l'encontre de la société SARL Techniques et productions audiovisuelles (TPA) JORF 20 février 2009. * 205 Décision n° 2008-625 du 16 juillet 2008 mettant en demeure la SARL Techniques et productions audiovisuelles JORF 12 août 2008. * 206 Décision n° 2011-339 du 25 mai 2011 mettant en demeure la SAS Intercom 13, JORF 21 juillet 2011. |
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