Le droit des propriétés publiques à l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA( Télécharger le fichier original )par Morgan Reynaud Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011 |
B) La conservation de l'affectation du domaine public hertzien par le CSA.Le CSA dispose de pouvoirs ayant trait au contenu des programmes. La nature de ces obligations peut être discutée. Aussi, on peut les analyser comme des obligations nécessaires à la conservation de l'affectation du domaine public hertzien lorsque le support du programme est ce même domaine public (évidement, en considération de technologies autres, cette position n'a plus de sens). En effet, ce dernier a vocation à être le siège de la liberté d'expression et, plus précisément, de la liberté de communication audiovisuelle. Cette dernière est dès lors l'affectation même de cette partie du domaine public. Celui-ci n'a d'autre vocation que d'être le support de la communication audiovisuelle qui en est son affectation. Or, sans réglementation de cette liberté, le risque est que l'utilisation de ce domaine se fasse à des fins contraires à cette affectation. De même, cette liberté de communication audiovisuelle a une dimension « passive ». Elle doit ainsi profiter aux auditeurs et téléspectateurs qui « sont au nombre des destinataires essentiels de la liberté proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789207(*) », et donc de la liberté de la communication audiovisuelle qui en est une forme. Aussi le CSA a-t-il vocation, à travers son pouvoir de sanction en matière de programmes, à conserver et à protéger l'affectation du domaine public hertzien qu'est la liberté de communication, tant dans sa dimension active que dans sa dimension passive. On peut, certes artificiellement, distinguer deux types d'obligations pesant sur les éditeurs de services :des obligations d'ordre public (1) et des obligations plus spécifiques liées à l'usage des réseaux de télécommunications (2). 1) Les obligations d'ordre public pesant sur les éditeurs de programmes.Telle que communément admise, la notion d'ordre public se décompose en trois considérations que sont la sécurité publique, la tranquillité publique et la salubrité publique. Le Conseil d'État, par le très célèbre arrêt Commune de Morsang-sur-Orge208(*) et par le moins célèbre arrêt Commune d'Aix en Provence209(*) du même jour, a ouvert le champ de cette notion a priori restrictive, à la nécessité du respect de la dignité de la personne humaine. Cette vision a, par la suite, été confirmée par le Conseil d'État. En conséquence, le Conseil doit veiller au respect de l'ordre public audiovisuel nécessaire à la conservation de la liberté de communication, et donc du domaine. Cette catégorie de programmes susceptibles de contrevenir à l'ordre public, dans son acceptation sus-rappelée, fait l'objet des plus rigoureuses restrictions allant bien souvent jusqu'à leur interdiction. L'une des composantes de l'ordre public parfois invoquée par le Conseil pour sanctionner certains éditeurs est la dignité humaine. Les article 1er et 15 de la loi de 1986 prévoient que les programmes diffusés par les chaînes de télévisions ou par les stations de radios ne peuvent porter atteinte à la dignité de la personne humaine. Quelques exemples doivent être cités pour cerner cette notion très floue. Peuvent être attentatoires à la dignité de la personne humaine des propos tenus par un animateur se réjouissant de la mort d'un policier210(*), ou des propos antisémites ou racistes211(*). Il en va, bien entendu, de même des programmes relatifs à la pratique du « sharking ». Ainsi, en 2010, le Conseil a mis en demeure la société Bolloré média, éditrice du service Direct 8, cette chaine ayant diffusé une séquence « montrant l'agression de jeunes femmes par un individu sur la voie publique ;[les] agressions [consistant] à leur arracher leurs sous-vêtements en vue d'exposer leur nudité ». Le CSA a considéré « que ces séquences, qui présentaient des jeunes femmes dans une situation dégradante, contrevenaient au respect de la dignité de la personne humaine212(*) ». L'avènement de la téléréalité d'enfermement et de ses dérives a également nécessité l'intervention du Conseil sur le terrain de la dignité de la personne humaine. Outre une certaine volonté d'encadrement213(*) au début de ce nouveau genre, le Conseil a dû, récemment, intervenir sur le fondement de la dignité. Ainsi, par deux décisions de juin 2010, le Conseil supérieur de l'audiovisuel a mis en demeure les sociétés ALJ Production214(*) et EDI TV, éditrice de la chaîne W9,215(*) de respecter les impératifs liés à la dignité de la personne humaine. Dans la séquence en cause, diffusée dans l'émission dite de téléréalité Dilemme, des candidates devaient, pour gagner de l'argent, adopter des comportement canins. Le Conseil, dans les deux mises en demeure relève que la candidate « a été affublée d'un collier et d'une laisse de chien ; qu'elle s'est déplacée dans la villa, y compris aux toilettes, ainsi tenue en laisse par une des candidates de son équipe ; qu'un autre candidat a aboyé à son passage ; qu'alors qu'elle courrait après des candidats adverses [...] qu'elle a ensuite mangé dans un récipient pour chien ». Le Conseil veille également à ce qu'aucune chaîne ne fasse oeuvre de complaisance dans l'évocation des souffrances humaines216(*), notion qui figure désormais dans bon nombre de conventions liant les chaînes au CSA. Outre les questions relatives à la dignité, le Conseil veille au respect de la tranquillité publique en limitant l'exposition du public, et notamment de la jeunesse, à des programmes très violents. C'est ainsi que, par une décision du 14 juin 2007, le CSA a mis en demeure le service Canal+ de cesser la diffusion de sports de combats de type K-1, et ce, sur le fondement d'une recommandation du 20 décembre 2005217(*). Le Conseil d'État a validé le raisonnement du Conseil en considérant que « le K-1 , qui ne figurait pas à la date des décisions attaquées au nombre des sports de combat encadrés par une fédération sportive française, est organisé à l'étranger, [...] selon des règles autorisant des affrontements d'une grande violence sans que soit assurée la protection de l'intégrité physique des combattants dans les conditions exigées en France par les règlementations techniques qui encadrent la pratique des sports de combat ; qu'en particulier, peuvent être portés à l'adversaire certains coups dangereux susceptibles de constituer, en l'absence de toute permission de la loi ou du règlement, des atteintes à l'intégrité physique sanctionnées par la loi pénale218(*) ». Ce faisant, le Conseil tente de sauvegarder l'ordre public, et plus précisément la tranquillité publique en évitant l'exposition du public, et notamment du jeune public, à des programmes très violents. De même, le CSA veille à ce que les chaînes ne diffusent pas de programmes incitant les téléspectateurs à se livrer « à des pratiques ou comportements dangereux, délinquants ou inciviques ». Cette position a motivé les mises en demeure opposées à la chaîne MCM pour avoir diffusé l'émission « the dudesons » dans laquelle des pratiques dangereuses et délinquantes étaient présentées comme « ludiques et valorisantes219(*) ». Là encore, le Conseil protège indirectement la liberté de la communication audiovisuelle et donc l'affectation du domaine public hertzien en protégeant le téléspectateur de ce genre de programme. La dernière composante de l'ordre public a trait à la sauvegarde de la salubrité publique. Cette notion a, elle aussi, son pendant en droit de la communication, celle de santé publique. Le domaine public hertzien ne doit pas être le vecteur de pratiques susceptibles de mettre en danger la santé des téléspectateurs ou de nuire à la santé publique. Le Conseil a ainsi déjà mis en demeure certaines chaînes pour des diffusions de publicités clandestines faites en faveur de boissons alcooliques ou spiritueuses220(*) au mépris du code de la santé publique221(*) et de la délibération du 17 juin 2008222(*). Il en va de même en matière de produits stupéfiants223(*) ou de tabac224(*). Outre la question des drogues et autres produits addictifs, le Conseil s'implique dans la nécessité de ne pas diffuser de programmes qui pourraient poser des problèmes de santé publique en matière de sexualité225(*). On voit donc à la lecture de ces quelques exemples que le Conseil agit en matière de programmes pour la conservation d'un relatif ordre public et donc, in fine, pour la conservation de l'affectation de la partie du domaine dont il a la charge. D'aucuns pourraient objecter que la préservation de l'ordre public se suffit à elle même et n'est pas la marque d'une police de la conservation domaniale. Cependant, les deux actions ne sont pas incompatibles. Ainsi, par exemple, un arrêté municipal qui interdit de cracher ou de déposer des ordures sur la voie publique est non seulement une mesure visant à assurer le maintien de l'ordre public (et notamment la salubrité) mais également une mesure de préservation du domaine (ne pas remettre en cause son affectation ou son intégrité matérielle). Il en est de même pour le domaine public hertzien. Quoiqu'il en soit, les interventions du Conseil ne sont pas analysées, par la doctrine ou par lui même, comme tel mais plutôt comme visant à faire respecter les obligations générales de programmes des chaînes. Néanmoins, on peut voir, en cette préservation de l'ordre public, la réminiscence d'une certaine police de la conservation du domaine, et plus exactement, de la conservation de son affectation. En effet, la liberté de communication, affectation même du domaine public hertzien, ne peut, pour être garantie dans ses deux dimensions, souffrir d'atteintes graves menaçant ou troublant l'ordre public. En limitant la liberté de communication au nom du respect de l'ordre public, le CSA protège indirectement cette même liberté dès lors que son utilisation débridée et non-régulée peut nuire à l'aspect actif et à l'aspect passif de celle-ci. Or, l'affectation même du domaine public hertzien étant d'être le support de cette liberté, en la protégeant, le CSA fait oeuvre de conservation de l'affectation dudit domaine. Les pouvoirs du Conseil en la matière peuvent dès lors être considérés comme des pouvoirs de conservation de l'affectation du domaine. Bien que les questions d'ordre public soient importantes, les pouvoirs de conservation domaniale dont le Conseil est titulaire peuvent porter sur des sujets plus spécifiques à la communication audiovisuelle. * 207 CC, 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, 86-217 DC : notes et commentaires : L Favoreu, RDP 1989.399 ; B Genevois, AIJC 1986.440 ; P Wachsmann, AJDA 1987.102 ; H Maisl, D 1987.381 ; B Maligner, LPA 10 novembre 1986 ; G Goubert, « Le pluralisme, mode d'emploi », Revue Medias, Septembre 1986 p 24 ; R Etien, « Le pluralisme : objectif de valeur constitutionnelle », Dr adm 1986.458 et 1986.564. * 208 CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Req n°136727 : Rec p 372 ; GAJA 11ème édition n°119 p 790 ; P Frydman, « L'atteinte à la dignité de la personne humaine et les pouvoirs de police municipale. A propos des « lancers de nains » » ccl, RFDA 1995.1204 ; « Légalité de l'interdiction des spectacles de lancer de nains », AJDA 1995.942 ; « Le lancer de nain porte atteinte à la dignité de la personne humaine et, comme tel, peut être interdit par arrêté municipal », D 1995.257 ; AJDA 1995.878 chron. J-H. Stahl et D. Chauvaux ; JCP G, II 1996, 123 obs. M-C. Rouault ; JCP G, II, 1996, n°22630 note F. Hamon ; RDP 1996.536 notes Gros et Froment ; D. 96, 177, note Lebreton. * 209 CE, 27 octobre 1995, Commune d'Aix en Provence, Req n°143578, mêmes références. * 210 CE, 20 mai 1996, Société Vortex, Req n°167694 : Rec p 189 ; Dr Adm 1996 n°10 p 477 ; Gaz Pal, 29 janvier 1997, n°29-30 p 8 ; F Moderne, « Le pouvoir de sanction administrative au confluent du droit interne et des droits européens », RFDA 1997 ; « Légalité de la décision prise par le CSA de suspendre la diffusion d'un programme », AJDA 1996.711. * 211 CE, 9 octobre 1996, Association Ici et Maintenant, Req n°173073 : Rec. CE, p. 401 ; D 1997.81 ; JCP G 1996 n° 8 IV p 69, note MC Rouault ; Gaz Pal 29 janvier 1997n°30 p 6 ; Gaz Pal, 30 mai 1997 n°150 p 85. * 212 Décision n° 2010-196 du 30 mars 2010 mettant en demeure la société Bolloré Média, JORF 6 mai 2010. * 213 Voir, par exemple, le rapport d'activité du CSA pour l'année 2001. * 214 Décision n° 2010-496 du 8 juin 2010 mettant en demeure la société ALJ Productions, JORF 28 août 2010. * 215 Décision n° 2010-459 du 1er juin 2010 mettant en demeure la société EDI TV, JORF 26 juin 2010. * 216 Le CSA a, en novembre 2010, écrit une lettre à M6 pour lui rappeler que l'éditeur doit, au sens de l'article 10 de sa convention, veiller « à éviter la complaisance dans l'évocation de la souffrance humaine ». * 217 Recommandation du CSA du 20 décembre 2005 sur la retransmission de certains types de combats. * 218 CE, 18 décembre 2009, Canal +, Req n°310646 : Rec 2009 ; JurisData n° 2009-017417 ; CDS, 2010 n° 19 p 114 note B. Brignon ; Jurisport 2010 n° 95 p 11. * 219 Décision n° 2009-429 du 16 juin 2009 mettant en demeure la société MCM, JORF 29 juillet 2009 ; Pour Europe 2 TV, appartenant à l'époque à MCM, voir : Décision n° 2007-470 du 17 juillet 2007 mettant en demeure la société MCM, JORF 10 août 2007. * 220 Décision n° 2010-143 du 9 février 2010 mettant en demeure la société France Télévisions, JORF 3 avril 2010. * 221 Articles L3323-2 du CSP. * 222 Délibération du 17 juin 2008 relative à l'exposition des produits du tabac, des boissons alcooliques et des drogues illicites à l'antenne. * 223 Le 17 juin 2008, le CSA a mis en garde le service de télévision Télé-Bocal pour avoir diffusé « une émission décrivant avec minutie la manière d'obtenir de l'huile de cannabis ». * 224 Le 16 juin 2011, le CSA est intervenu auprès de TF1 « à la suite de la diffusion, le 14 février 2011 au cours du journal de 13 heures, d'un reportage sur des cigares dont la marque a été citée à plusieurs reprises ». La répétition de la marque ayant, d'après le Conseil conféré à la séquence « le caractère d'une publicité clandestine pour un produit du tabac ». * 225 On notera, pour mémoire, l'intervention du CSA auprès de TF1 pour que la chaîne prenne plus de précautions lorsque des relations sexuelles entre participants à un jeu de téléréalité sont évoquées (sensibilisation aux risques liées aux MST ou aux grossesses non-désirées notamment). Cette position de principe est cohérente avec l'ensemble de l'action du Conseil en la matière qui a, par exemple, pris, le 4 décembre 2007, une délibération relative au port du préservatif dans les programmes pornographiques diffusés par des services de télévision. |
|