Le droit des propriétés publiques à l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA( Télécharger le fichier original )par Morgan Reynaud Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011 |
B) La valorisation relative du domaine public hertzien par le CSAComme tout domaine, le domaine public hertzien doit être valorisé. Le Professeur Yolka notait à ce titre, de manière assez ironique, que l'incorporation du domaine public hertzien dans le CGPPP avait pour unique but de le valoriser. Ainsi note-t-il que « pour engranger des recettes d'exploitation, il fallait supposer qu'une telle propriété incorporelle existât. La qualification domaniale a fourni un argument massue justifiant le versement de royalties : l'État a le droit de faire payer l'usage de l'espace hertzien, tout simplement parce qu'il en est propriétaire137(*) ». Néanmoins, outre les débats sur l'appropriabilité du spectre précédemment évoqués, cette critique, quoique fondée, ne s'applique que partiellement à la valorisation du domaine public hertzien. En effet, la partie du spectre administrée par le Conseil n'est que peu ou pas financièrement valorisée (1). Ceci étant, quelques récentes évolutions sont à noter (2). 1) La faible valorisation financière du « spectre audiovisuel ».La gestion du spectre hertzien ressort, on l'a dit, de la compétence de trois institutions différentes. Or, il s'avère qu'en matière de gestion domaniale hertzienne, ces trois institutions abordent la question de la valorisation de manière bien différente. Aussi, contrairement à ce qui est la règle pour d'autres affectations, l'usage d'une fréquence radioélectrique destinée à assurer la communication audiovisuelle ne nécessite en aucun cas le versement d'une redevance (a) ce qui peut s'avérer critiquable (b). a) L'absence de redevance et l'occupation du domaine public hertzienAvant d'être posé par le code, le caractère onéreux de l'occupation privative du domaine public a été précisé par la jurisprudence. Ainsi, le Conseil d'État considère-t-il, de jurisprudence constante, que le principe de gratuité du service public, déjà fortement contesté en doctrine138(*), « est inapplicable aux autorisations d'occupation privative du domaine public139(*) » et ne peut donc être utilement invoqué pour contester une redevance pour occupation privative du domaine public. Le CGPPP a repris ce principe. Ainsi, l'article L2125-1 de ce code dispose que « toute occupation ou utilisation du domaine public [...] donne lieu au paiement d'une redevance ». Cet article pose donc le principe du paiement d'une redevance pour occupation privative du domaine public. Cependant, cette obligation est loin d'être un principe absolu auquel on ne peut déroger. Ainsi le même article nous apprend que l'autorisation privative peut être gratuite lorsque l'occupation ou l'utilisation du domaine est la « condition naturelle et forcée de l'exécution de travaux ou de la présence d'un ouvrage, intéressant un service public qui bénéficie gratuitement à tous » ou lorsque l'occupation ou l'utilisation du domaine public concerné contribue directement à en assurer la conservation. Une troisième dérogation prend sa place au 1er alinéa de ce même article. Ainsi l'État est exonéré du paiement d'une redevance pour occupation privative du domaine public lorsqu'il installe des « équipements visant à améliorer la sécurité routière ou nécessaires à la liquidation et au constat des irrégularités de paiement de toute taxe perçue au titre de l'usage du domaine public routier » sur des voies ne lui appartenant pas. Cette dérogation a suivi le « psychodrame des radars » dans lequel certains Conseils Généraux, propriétaires des dépendances de certaines voiries routières (ex-routes nationales, devenues routes départementales), ont exigé de l'État qu'il paye une redevance pour occupation privative d'une dépendance domaniale lorsque celui-ci installait un radar fixe au bord de ces routes140(*). En tout état de cause, l'article L2125-1 ne prévoit pas expressément la gratuité en matière d'occupation privative du domaine public hertzien. Le juriste aura tendance à se pencher sur le texte spécial, à savoir la loi de 1986. Il n'y trouvera pas plus de renseignement. En réalité, la gratuité de l'occupation du domaine public hertzien destiné à la communication audiovisuelle n'a aucun fondement textuel solide. Seul l'article 8 d'un décret du 22 mai 1997 prévoit cette gratuité en disposant que « les dispositions du présent décret [portant sur la redevance] ne sont pas applicables aux bandes de fréquences ou aux fréquences de radiodiffusion sonore ou de télévision dont l'attribution ou l'assignation est confiée au Conseil supérieur de l'audiovisuel [...]141(*) ». Quelques fondements de cette gratuité peuvent cependant être trouvés dans la littérature parlementaire et gouvernementale. Le principal argument justifiant cette gratuité de l'occupation hertzienne en matière audiovisuelle est celle ayant trait aux obligations de service public. Pour la doctrine majoritaire, et pour le Conseil, la gratuité de l'occupation privative des dépendances du domaine public hertzien est la contrepartie logique des obligations de service public pesant sur les chaînes ou les stations142(*). Ces obligations dites « de service public » ont trait à la politique française d'exception culturelle. Sans rentrer dans les détails, de telles obligations sont relatives à l'obligation qui est faite aux services éditeurs de diffuser un certain quota d'oeuvres européennes ou d'expression originale française et de contribuer, directement ou indirectement, à la production de nouvelles oeuvres cinématographiques. L'exposé des motifs de la loi du 17 janvier 1989 retenait cette position en expliquant que la contrepartie de l'utilisation des ressources hertziennes, par essence rare, se trouvait dans les « responsabilités qui s'attachent au privilège d'utilisation » de celles-ci « et au rôle déterminant de l'audiovisuel en matière de libertés publiques et de développement culturel ». Le tabou de la gratuité était ainsi posé et personne n'a osé, jusqu'alors, le remettre en cause. C'est ainsi, par exemple, que le Sénateur Cluzel, dans son rapport général relatif au projet de loi de finance pour l'année 1998, alertait les parlementaires sur l'impossibilité d'appliquer un régime de redevance aux occupants du domaine public hertzien consacré à l'audiovisuel. Après avoir présenté le système britannique reposant sur la vénalité de l'occupation domaniale hertzienne en matière de radio, le Sénateur réservait son propos en estimant que mettre fin à la gratuité pour l'utilisation des fréquences conduirait à « substituer à l'appréciation de l'autorité de régulation la "main aveugle" du marché, en l'occurrence la prime au plus offrant ». Le Sénateur y voyait un renoncement « à toute politique radiophonique d'inspiration française ». Pour lui, les enchères telles que pratiquées dans le modèle anglais, « conduiraient nécessairement à des luttes financières que seuls les groupes les plus puissants pourraient supporter ». Le Sénateur explique en outre qu'une telle décision remettrait en cause l'héritage de 1981 en asphyxiant le tissu, très fourni, des radios associatives françaises. Néanmoins, certains ont indirectement tenté de remettre en cause la gratuité de l'occupation privative du domaine public hertzien. Par un amendement n° II-37, les Sénateurs Laffitte, Vallet, Joly et de Montesquiou voulaient insérer après l'article 53 sexies du projet de loi de finance pour 2001, un article tendant à la création d'un fonds ayant pour objet « de financer le développement des recherches industrielles dans le domaine des télécommunications, des logiciels et de l'électronique lié au développement de la société de l'information ». Or, ce fonds devait être abondé par les redevances perçues par l'État à la faveur du réaménagement de fréquences auquel devait conduire le passage à la TNT. Le Gouvernement s'est montré hostile à cet amendement en considérant que « le CSA doit [...] examiner les candidatures en privilégiant la capacité et les engagements des candidats à couvrir le territoire national, la qualité des programmes proposés ainsi que la défense du pluralisme, orientation qui nous paraît bonne et suffisante », ce qui sous-entend l'absence de prise en compte, par le Conseil, de la capacité financière propre à payer la redevance réclamée. Lors de la transposition du « paquet télécom », le Gouvernement a fait procéder à une consultation publique. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel y a répondu en rappelant son attachement à la gratuité d'usage des fréquences. Ainsi, le Conseil jugeait cette règle « inséparable de la défense du pluralisme et de la préservation de la diversité culturelle143(*) ». Trois arguments étaient alors utilisés par le Conseil pour justifier sa position. Tout d'abord, celui-ci arguait de la lourdeur des obligations pesant sur les chaînes et stations imposées en faveur de l'exception culturelle. Le paiement d'une redevance aurait, d'après le Conseil, comme conséquence de nuire à cette politique. De même, une telle financiarisation de l'occupation domaniale entrainerait, toujours d'après le Conseil, la nécessité d'assouplir les restrictions quantitatives en matière de publicité ; et ce, afin de sauvegarder l'équilibre économique des éditeurs de service mis en danger par une éventuelle redevance. Le dernier argument avait trait à la sauvegarde des radios associatives. Le Conseil maintiendra cette argumentation dans son avis portant sur le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur144(*). Le CSA note ainsi, au III A de cet avis, qu'il « se félicite [...] du choix fait par le Gouvernement d'écarter le principe d'une redevance domaniale » un temps envisagé par le gouvernement. Cette position est partagée par le Sénateur Retailleau qui, en 2007, dans un rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, considérait que « cette gratuité ne signifie pas l'absence de contrepartie. Elle a pour fondement les obligations de service public exigées des chaînes au titre de la diversité culturelle et du pluralisme des courants de pensée et d'opinion : quotas de production et quotas de diffusion d'oeuvres d'expression originale française et européenne et contribution au Compte de soutien à l'Industrie des Programmes Audiovisuels ». Il semble dès lors se dégager un relatif consensus à propos de la gratuité de l'occupation domaniale hertzienne pour ce qui concerne les éditeurs de programmes audiovisuels. Néanmoins, cette faible valorisation du spectre n'en est pas moins critiquable. * 137 Ph Yolka, « Exploitation des fréquences hertziennes : point trop n'en faut ! », JCP A n°49 p 989. * 138 Voir par exemple : R Chapus, « Droit administratif général » tome 1, 15ème édition, éd LGDJ Montchrestien, coll Précis Domat, 2001. p 620 : « D'une façon générale, la gratuité n'est certainement pas au nombre des lois du service public ». * 139 CE, 11 février 1998, Association pour la défense des droits des artistes peintres sur la place du Tertre c/ Ville de Paris, Req n° 171792 : Rec p 46 ; AJDA 1998.523 ccl G Bachelier ; G Orsoni, « Occupation de la voie publique à Paris, liberté du commerce et de l'industrie », RTD Com 1998.841 ; JB Auby et Ch Maugüé « Arrêté du maire de Paris réglementant l'utilisation du « carré aux artistes » de la place du Tertre à Montmartre », RDI 1998.224 ; F Colin, LPA 2 février 1999 n°23 p 20. * 140 Pour un divertissant mais sérieux rappel de ces questionnements voir : Ph Yolka, « La guerre des radars un épilogue bizarre », JCP A n° 6, 4 Février 2008, act. 10. * 141 Article 8 du décret n°97-520 du 22 mai 1997 relatif à la redevance due par les affectataires de fréquences radioélectriques, JORF 24 mai. * 142 Voir par exemple : Jcl Fasc. 40 : DOMAINES . - Utilisation du domaine public . - Régimes spéciaux. * 143 Cf : Réponse du CSA à la consultation publique du Gouvernement relative à l'évolution du droit français des communications électroniques (transposition du « paquet télecom ») disponible à l'adresse suivante : http://www.csa.fr/upload/dossier/rep_paq_tetecom2.pdf. * 144 CSA, Avis n° 2006-4 du 11 juillet 2006 sur le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, JORF 5 Août 2006. |
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