Le droit des propriétés publiques à l'épreuve de la valorisation du domaine public hertzien par le CSA( Télécharger le fichier original )par Morgan Reynaud Université du Maine - Master 2 Juriste de droit Public 2011 |
b) Critique de la non-valorisation économique du spectre audiovisuelMalgré la force des arguments développés consécutivement par le Gouvernement, le Conseil supérieur de l'audiovisuel et les parlementaires, la non-valorisation directe de la partie du spectre destinée à la communication audiovisuelle n'est pas dénuée de toute critique. Le fondement juridique de cette gratuité est, tout d'abord, fort douteux. En effet, le décret du 22 mai 1997 ne semble pas être une base solide à cette exception ; et ce, pour de multiples raisons. Le principe de gratuité, dont la seule origine textuelle vient d'un décret, n'est, premièrement pas compatible avec la loi. En effet, comme dit précédemment, la combinaison des articles L2111-17, L2124-26 et L2125-1 du CGPPP impose, en principe, le paiement d'une redevance pour occupation privative du domaine public hertzien. Seul un texte de nature législative peut donc, en principe, déroger à cette règle selon les canons de la hiérarchie des normes et du principe du parallélisme des formes. Selon ce principe, en effet, seul un acte de nature au moins équivalente peut déroger à un autre texte ou l'abroger. Or, le texte organisant une gratuité pour occupation du domaine public hertzien n'est qu'un acte réglementaire. La pérennité de l'article 8 du décret du 22 mai 1997 ne serait donc pas nécessairement assurée en cas de recours contentieux. Ce fondement est d'autant plus fragile que le décret est antérieur à la création du code général des propriétés des personnes publiques. En conséquence, non seulement le texte fondateur de cette gratuité méconnaît la hiérarchie des normes, mais en plus, il contrevient au principe de la postériorité qui conduit à ce que les dispositions antérieures contraires aux dispositions nouvelles sont, de fait, implicitement abrogées. La faiblesse du seul texte relatif à cette question est donc évidente ; ce qui peut conduire à s'interroger sur le maintien d'un tel principe. Le second argument allant à l'encontre de cette gratuité tient à ce que les obligations de service public ne sont pas incompatibles avec le paiement d'une redevance domaniale. Ainsi, tout contrat emportant une occupation domaniale (autorisation d'occupation temporaire, bail emphytéotique administratif, convention d'occupation temporaire etc.) contient nécessairement des clauses imposant au bénéficiaire du titre d'occupation de pourvoir à certaines missions d'intérêt général. Il en va notamment ainsi des obligations pesant sur le bénéficiaire de l'autorisation visant à conserver l'affectation du domaine public. Or, la conservation de ce domaine est l'expression même d'un impératif d'intérêt général. De même, les opérateurs de télécommunications sont, au sens de l'article L42-1 du CPCE, soumis au paiement d'une redevance alors même qu'ils ont la charge de missions de service public et/ou d'intérêt général forts coûteuses, définies par l'article L32 du CPCE comme des « exigences essentielles145(*) ». Le code prévoit, tout au long de ses dispositions, des exemples d'exigences essentielles. Sans parler des exigences de service public ayant trait au « service universel des télécommunications 146(*)», en partie compensées par un « fonds de service universel des communications électroniques », les obligations pesant sur les opérateurs téléphoniques sont également lourdes. Cela n'empêche pas ces derniers d'être assujettis à la redevance sus-évoquée. Les prestataires de services de télécommunications subissent donc la « double peine » en ce qu'ils sont assujettis au paiement d'une redevance tout en étant astreints à des obligations d'intérêt général. La dérogation à cette possibilité offerte aux bénéficiaires d'une autorisation de diffusion audiovisuelle ne tient donc pas dès lors que deux régimes différents sont appliqués à des entreprises agissant sur la même dépendance du domaine public (seuls les fréquences utilisées diffèrent). La question de la rupture d'égalité peut également être soulevée dès lors que l'on ne voit pas bien ce qui, au vu des éléments sus-décrits, fonde la gratuité d'occupation des fréquences audiovisuelles alors même que les opérateurs de téléphonie mobile, dépendants de l'ARCEP, se voient imposer les deux contraintes. Dans la continuité, ils est assez étrange que l'exception culturelle passe, en droit français, avant la sécurité des personnes. Dans sa tribune, le Professeur Yolka147(*) déplorait, suite à la parution du décret du 24 octobre 2007148(*), la hausse vertigineuse du montant des redevances dues par les associations de « radio sécurité » pour occuper une fréquence. Or, ces utilisations, comme le remarque Philippe Yolka, ont pour but de « sauver des vies humaines ». L'universitaire concluait en insistant sur le fait que « Valoriser le patrimoine immatériel de l'État ne doit pas conduire à sacrifier le service public et la sécurité des personnes sur l'autel d'une rentabilité d'autant plus douteuse que les montants en cause, excessifs pour les gestionnaires de réseaux associatifs, s'avèrent dérisoires pour les finances publiques ». Or, par un raisonnement a contrario, deux arguments peuvent plaider à l'encontre de la gratuité des autorisations des fréquences audiovisuelles. Premièrement, les impératifs de santé et de sécurité publique sont, a priori, plus significatifs et parfois plus coûteux, que de simples impératifs politiques résidant dans l'exception culturelle. Il apparaîtrait donc plus logique d'inverser la proposition... De même, on a vu que le principe de gratuité en matière audiovisuelle n'avait pas de fondement juridique solide. Or, à l'inverse, en matière de « radio sécurité », lors de la publication du décret de 2007, le CGPPP disposait, en son article L2125-1 que « l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut également être délivrée gratuitement lorsque cette occupation ou cette utilisation ne présente pas un objet commercial pour le bénéficiaire de l'autorisation ». Aujourd'hui, cet alinéa a été modifié comme suit « l'autorisation d'occupation ou d'utilisation du domaine public peut être délivrée gratuitement aux associations à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d'un intérêt général ». Cette modification ne change rien sur le fond dès lors que les services de « radio sécurité » sont, soit administrés directement par le Gouvernement, et ne sont donc pas soumis au décret de 2007 relatif aux autorisations conférées par l'ARCEP, soit administrés par des associations à but non lucratif. Or, alors même que le code prévoit textuellement, par une disposition législative, la possibilité d'exonérer le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation domaniale dans des conditions remplies en l'espèce, le décret de 2007 a eu l'effet inverse en augmentant significativement le montant des redevances dues. Il y a donc une certaine contradiction à soutenir la légitimité d'une exonération juridiquement fragile alors que, dans le même temps, la valorisation à outrance du domaine public, niant certaines possibilités d'exonérations légales, remet en cause la sécurité des personnes. Dès lors, la logique même de la rentabilisation du domaine devrait, si elle va dans ce sens, imposer aux éditeurs de services audiovisuels le paiement d'une redevance. L'autre argument utilisé par les tenants de la gratuité est relatif à l'asphyxie des radios et chaînes de télévision par l'imposition d'une redevance. L'offre audiovisuelle s'en trouverait ainsi appauvrie, créant ainsi des oligopoles en faveur de quelques grands groupes de médias. Pour fonder en fait cet argument, certains prennent exemple sur la téléphonie mobile. Le marché français des télécoms se partage entre trois opérateurs149(*) (bientôt quatre150(*)). Les opposants à la redevance y voient le risque à taxer l'occupation domaniale. Il apparaît que si la création de l'oligopole en matière de téléphonie est indéniable, l'argument doit être nuancé. Premièrement, le marché des télécoms n'est pas tant asphyxié que cela. En effet, l'émergence des MVNO151(*) (opérateur de réseau mobile virtuel) donne un second souffle à un marché qui s'était stabilisé aux détriment des consommateurs. Certains de ces opérateurs virtuels, qui « louent » les réseaux d'opérateurs équipés, connaissent une véritable croissance et l'intérêt du public pour ces « nouveaux opérateurs » est indéniable152(*). Peuvent ainsi être cités Virgin mobile, NRJ Mobile, La Poste Mobile ou M6 Mobile pour les plus connus. Cela prouve donc bien que le verrouillage oligopolistique tant redouté n'est pas si évident ; et le sera certainement encore moins avec la prochaine arrivé du quatrième opérateur. De même, se fonder sur l'expérience des télécommunications pour craindre les mêmes travers, dont on a vu qu'ils n'étaient pas totalement fondés, n'est pas une comparaison valable. En effet, le principal problème de l'offre de télécommunication vient du fait que la création d'un réseau et des infrastructures nécessaires est économiquement très coûteuse. En outre, le risque juridique, lié notamment à l'implantation des antennes-relais, renforce les coûts d'une telle création. La constitution d'un oligopole de fait en matière de télécommunication vient donc principalement de cette notion, et non pas de la fixation d'une quelconque redevance d'occupation domaniale. La question, en ce qui concerne la licence 4G se posera peut-être différemment, celle-ci étant évaluée, par le Gouvernement, à 2,5 milliards d'euros (nous y reviendrons). Enfin, n'y a-t-il pas une certaine hypocrisie à prôner la gratuité au profit d'une diversité qui, au moins d'un point de vue national, n'existe pas. En effet, malgré les dispositifs anti-concentrations évoqués ci-dessus, seuls quelques grands groupes tiennent la majorité des fréquences disponibles. Ainsi, en matière de télévision, sur le plan national, le groupe TF1 détient trois stations153(*), le groupe Bolloré deux154(*). Le groupe M6 n'est pas non plus en reste155(*). Cette énumération, qui ne prétend pas à l'exhaustivité ne comprend pas les chaînes du service public et peut aussi se constater en radio. La société NRJ Group, par exemple, comptabilise, à elle seule, de très nombreuses fréquences tant nationales que locales156(*). D'autres grands groupes comme Lagardère Active157(*) ou RTL Group158(*), pour les plus connus, ne sont pas non plus en reste. Ces listes prouvent bien que le monde de l'audiovisuel n'a pas attendu l'imposition d'une redevance d'occupation pour se constituer en oligopole. Quant aux radios et chaînes associatives, une redevance plus faible en matière de services locaux (on pense notamment aux chaînes et stations associatives qui diffusent principalement sur le plan local), ainsi qu'une fixation modérée de la redevance, calculée en fonction du nombre d'auditeurs potentiels, n'empêchera pas la création de ces « radios alternatives » ; surtout si le CSA, dans le cadre de ses pouvoirs, fait réellement jouer les critères de représentativité des différents opérateurs lorsqu'il lance ses appels à candidatures. Une partie du spectre hertzien est donc, pour de mauvaises raisons, non directement valorisé. Ceci étant, les développements technologiques récents permettent une valorisation indirecte des dépendances domaniales considérées. * 145 « On entend par exigences essentielles les exigences nécessaires pour garantir dans l'intérêt général la santé et la sécurité des personnes, la compatibilité électromagnétique entre les équipements et installations de communications électroniques et, le cas échéant, une bonne utilisation du spectre des fréquences radioélectriques en évitant des interférences dommageables pour les tiers. Les exigences essentielles comportent également, dans les cas justifiés, la protection des réseaux et notamment des échanges d'informations de commande et de gestion qui y sont associés, l'interopérabilité des services et celle des équipements terminaux, la protection des données, la compatibilité des équipements terminaux et des équipements radioélectriques avec des dispositifs empêchant la fraude, assurant l'accès aux services d'urgence et facilitant leur utilisation par les personnes handicapées ». * 146 Articles 35-1 et suivants du CPCE. * 147 Ph Yolka, « Exploitation des fréquences hertziennes : point trop n'en faut ! » précité. * 148 Décret n°2007-1532 du 24 octobre 2007 relatif aux redevances d'utilisation des fréquences radioélectriques dues par les titulaires d'autorisations d'utilisation de fréquences délivrées par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, JORF 27 octobre 2007. * 149 Orange, SFR, Bouygues Télécom. * 150 L'opérateur Free mobile, filiale du groupe Iliad, devrait faire son entrée sur le marché national des télécoms dans le courant de l'année 2011. * 151 Mobile Virtual Network Operator. * 152 Voir par exemple : Les opérateurs mobiles virtuels émergent grâce aux ratés sur la TVA, Les Echos, 12 mai 2011 ; Voir également annexe : la progression des MVNOs. * 153 TF1, NT1 et TMC. * 154 Direct Star et Direct 8. * 155 M6, W9, Paris Première, Téva, TF6 etc. * 156 NRJ, Chérie FM, Rire et Chansons, Nostalgie. * 157 Europe 1, Virgin Radio, RFM. * 158 RTL, RTL2, Fun Radio. |
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