De la lecture des différentes sources
scientifiques abordant la question des systemes scolaires africains dont ceux
du Burkina Faso, le constat reste clair et unanime. En effet, les
difficultés qui se posent a l 'école africaine sont
générales et imputables en derniere analyse au fait que les
progres accomplis dans l'éducation bien que significatifs s'averent trop
lents face aux révolutions mondiales observables dans les domaines de la
science, de la technologie et des structures démographiques,
économiques et sociales. C'est ce qu 'approuve Philippe HUGON
(1996), lorsqu'il affirme que la profonde crise des systemes
éducatifs est reconnue par tous les observateurs et que l'Afrique
connait une carence de ses systemes de formation. L 'école est devenue
un lieu d'expression des revendications et des manifestations. Ainsi, l'auteur
en diagnostiquant la crise des systemes scolaires, dénombre pour sa part
deux types de crise. Une crise interne car les systemes éducatifs sont
souvent en faillite et largement produits par des instances internationales.
Aussi, l'école en Afrique remplit mal ses missions sans moyens
didactiques et avec des classes surchargées, elle est souvent un lieu de
gardiennage social oil sont véhiculés des savoirs
mémorisés qu 'un lieu d'acquisition de savoirs analytiques et
pratiques favorisant des progres de productivité. Quant a la crise
externe a l 'école, elle tient aux rythmes de croissance
démographique et d'explosion urbaine, rendant ainsi tres délicat
la maitrise des flux scolaires et traduisant la rupture des régulations
sociopolitiques. La conséquence est qu 'on assiste a une inflation des
diplômes qui s 'est caractérisée par une forte
dévalorisation conduisant a une stagflation scolaire (situation oil l
'on assiste a une inflation des diplômes sans connaitre pour autant le
plein- emploi).
Francois ROUBAUD (1992), n'en est pas en
reste car pour lui, il ne fait aucun mystere pour personne que l'école
en Afrique en général et a Madagascar en particulier est
actuellement en grande difficulté. Le systeme scolaire subit en effet,
la double pression d'un pouvoir d'achat des ménages, en
régression de 45% depuis l'indépendance, et d'un
déséquilibre persistant des finances publiques. Cet environnement
profondément dégradé se traduit par un recul des
résultats du systeme éducatif et qu'une politique
d'éducation volontariste et centralisée n'est a même
d'endiguer.
On retrouve cette même idée chez Joseph
Ki ZERBO ; en effet, lors d'une conférence qu'il animait sur le
theme "Education et développement " publiée dans la
revue Tam-tam, l 'auteur fait une description des caractéristiques de
l'école du sous-développement. Selon lui, dans beaucoup de pays
d'Afrique et notamment au Burkina Faso, du point de vue
quantitatif « la scolarisation universelle
se situe a un horizon trop éloigné. Il y a toujours autant
d'analphabetes aujourd'hui qu'il y'a dix ans. L'école coute chere a
l'Etat et le mauvais fonctionnement des systemes éducatifs est remis en
cause. » (1970 : 15). En ff es du
effet,
quart des effectifs, est constitué par des
redoublants et qu'au total la moitié des éleves du premier
degré ne vont pas jusqu'en fin d'études primaires, la
majorité d'entre ceux-ci quittant l'école avant d'avoir
été alphabétisée de maniere durable. Sur le plan
qualitatif la situation est plus prononcée car l'école au Burkina
Faso est une Z 'école insulaire '' qui ne parvient pas toujours a
résoudre les problemes de Z 'déracinement '' et
d'aliénation culturelle.
Ainsi, si pour ces auteurs les systemes scolaires
africains connaissent une crise généralisée, il est a
noter que les avis restent cependant partagés en ce qui le
fonctionnement de l'école en général et son
efficacité. En effet, des auteurs estiment que les facteurs scolaires
que sont les programmes scolaires, le matériel didactique, l'attitude
des enseignants, les pratiques pédagogiques ne sont pas adaptés
aux réalités socio-économiques et culturelles africaines
et représentent autant d'éléments pouvant influencer les
performances scolaires et justifier la crise qui secoue
l'école.
C 'est le cas de Georges SNYDERS (1970), qui
accuse l'école et lui reproche de créer des barrages qui
arrestent la grande majorité des enfants issus des classes populaires en
les mettant en infériorité par rapport a ceux des classes
aisées. L'école en ne prenant pas en compte les
différences contribue pour une large part a renforcer les
différences alors qu'elle possede une marge d'autonomie relative mesme
si elle reste encore dépendante des conditions socio- économiques
et politiques.
Cette pensée de SNYDERS corrobore avec celle d
'Ivan ILLICH (1971), pour qui l'école ressemble a l
'église catholique du moyen age qu'elle remplace et estime qu'en dehors
d'elle point de salut. Selon ILLICH, l'école n 'arrive pas a s'acquitter
de la mission qui lui avait été confiée, a savoir
l'attribution des aptitudes utiles, l'accroissement des connaissances et
l'autonomie intellectuelle. En revanche, elle enseigne aux individus la
dépendance a travers ses méthodes et ses programmes et
étouffe ainsi l'imagination créatrice. L'école a travers
ses sanctions et le contenu de ses programmes prépare
l'aliénation de chaque individu. C'est pourquoi il préconise sa
suppression non absolue, en ce sens qu'il ne s'agit pas d'une suppression pure
et simple mais plutôt sa transformation radicale dans la mesure ou sa
forme actuelle la rend inefficace.
A l'instar de ces deux auteurs, Eric PLAISANCE
(1972) prend également position contre l'attitude de toujours
traduire et interpréter les phénomenes d'échecs scolaires
en termes d'inadaptation inhérente a l'enfant ou de dysfonctionnement
individuel. Il dénonce l'assimilation entre de prétendus"
handicaps sociaux" et des cas pathologiques de l'ordre de la
motricité ou de l'organisation sensorielle. Pour PLAISANCE, les
échecs scolaires sont dus a l 'inattention de l'école aux
différences tout en faisant comme si tous les enfants étaient
égaux.
De mesme, Pierre BOURDIEU et Jean- Claude
PASSERON (1964), estiment que la société est
fondamentalement inégalitaire. La sélection scolaire
résulte du fait que l 'école impose un arbitraire culturel (type
de langage, de comportement...) qui est conforme a l 'habitus des
catégories privilégiées. Les enfants des catégories
les plus défavorisées du point de vue du capital culturel
subissent une violence symbolique et sont éliminés sur la base de
criteres scolaires (notes, résultats aux examens). L 'école joue
donc un rôle de légitimation et de « naturalisation »
des inégalités sociales en
véhiculant les normes de la culture
légitime.
De son côté, Joseph Ki ZERBO
(1990), tout en reconnaissant la nécessité de
l'éducation pour toute société humaine, releve
l'inadéquation de la scolarisation comme la forme d'éducation
appropriée aux sociétés africaines. Pour lui,
l'éducation pour tous ne doit pas estre, pour les africains, synonyme de
scolarisation pour tous. Par ailleurs, il estime que pour résoudre le
probleme de la crise actuelle de l'école, il faut éviter de
mettre en place et dans la mesme société, deux systemes
différents, l'un pour les élites et qui est l'école
classique et l'autre pour tenter de récupérer ceux qui ont
été rejetés, les abandonnés, les ignorants du
premier systeme.
Malgré cette inadéquation souvent
soulignée entre les systemes scolaires et les réalités
socio-économiques et culturelles et qui font dire a ces auteurs que l
'école est inefficace, des critiques ont néanmoins
été formulées a leur encontre. Il faut reconnaitre que
dans une certaine mesure, l 'école peut avoir une influence positive sur
les comportements et les performances des éleves. De telles valeurs sont
d'ailleurs soutenues par les environnementalistes a travers la théorie
du "self fulfilling prophecy" ou "prop hétie de
l'autoréalisation". En effet, cette théorie estime que les
ambitions, le dynamisme et l'attente d'un enseignant peuvent motiver et
déterminer les performances de ses éleves. Car ces derniers
voulant s'identifier a leur maitre.
Dans cette même logique, Michel KOMI
(2002) pense que l'école doit etre vue comme une source de
développement intégral de la personne. Aujourd'hui plus que par
le passé, l'école doit etre acceptée ainsi afin de
préparer toute personne a réussir toute situation de la vie. Dans
cette perspective, l'école doit etre vue comme aidant a mieux fabriquer
des beignets si dans la vie on doit fabriquer des beignets a mieux cultiver si
on doit cultiver, a mieux enseigner si l'on doit enseigner. En somme
l'école n'est donc pas comme on a longtemps cru,
c 'est a dire le lieu oil on entre pour sortir
seulement et seulement fonctionnaire. Le but de l'école est surtout de
développer le capital humain que recéle chaque individu afin de
le préparer a remplir correctement toute fonction sociale qui lui sera
confiée.
L 'école chez Jean Jacques ROUSSEAU est
également proche de la vision de KOMI car pour l 'auteur,
4' qu'on destine mon éléve a l'épée,
a l'église, au barreau, peu importe. Avant la vocation des parents, la
nature l'appelle a la vie humaine. Vivre est le métier auquel je lui
veux préparer. En sortant de mes mains, il ne sera ni soldat, ni pretre,
ni magistrat. Il sera premiérement homme. Tout ce qu'un homme doit etre,
il sera l'être besoin tout aussi bien que qui que ce soit, et la fortune
aura beau le faire changer de place, il sera toujours a la sienne". (1996 :
42)
Sur ce fond théorique, il en ressort que la
crise du systeme éducatif n 'est pas seulement un probléme d
'ordre quantitatif affectant les taux d 'inscription, mais aussi un
probléme
d 'ordre qualitatif touchant durement la
qualité de l'enseignement dispensé. Des réformes et
politiques en matiére d 'éducation ont été alors
entreprises par de nombreux Etats dont le Burkina Faso dans le but de donner un
dynamisme aux systemes scolaires dans leur ensemble. Des efforts ont
été consentis dans ce sens mais n'empêche que la mise en
pratique de ces réformes et politiques n 'a été le champ
de plusieurs critiques nécessitant le plus souvent leur
relecture.