Conclusion, critiques & apports
Après ce rapide aperçu des théories des
mouvements sociaux, qui ont apporté des nouveautés
significatives, mais qui ont aussi leurs failles.
Les théories comportementales collectives nous ont
apporté le concept de frustration utile pour comprendre
l'émergence des mobilisations. Les théories des mobilisations des
ressources l'analyse des organisations, le regard sur le « comment »
ces agents sociaux se mobilisent-ils. Néanmoins le trop grand
objectivisme de ces théories peut être critiquable, et la grande
distance avec le vécu des agents sociaux acteurs de l'action collective
aussi. Les NMS nous ont apporté des concepts tels que la logique
identitaire différente des rapports de classe sur lesquels se fondent
les actions
collectives, et le rapprochement avec les acteurs. Les
théories de Gaxie sont intéressante du point de vue de la prise
en compte de la subjectivité des vécus militants, et donc des
économies de coûts et de rétributions qui rentre en jeu
dans la manière d'entrer, de s'investir dans le militantisme.
Après avoir passé brièvement en revue les
théories classiques des mouvements sociaux, nous allons maintenant jeter
un coup d'oeil aux quelques auteurs introduisant la catégorie analytique
du genre dans les mouvements sociaux, afin de comprendre de quelle
manière le genre peut-il apporter quelque chose dans la
compréhension des mouvements sociaux.
B) Nouveaux apports théoriques du genre dans
l'étude des mouvements sociaux
Ce travail de recherche est basé sur un premier
constat, celui que les différentes théories des mouvements
sociaux jusqu'à aujourd'hui ne prennent pas en compte le genre dans
leurs théories.
Qu'est ce que le Genre ?
La Commission générale de terminologie et de
néologie en aurait rejeté l'usage en 2005. Pourtant de nombreux
chercheurs et académiciens continuent a l'utiliser. Qu'est ce que le
genre, et quel est son utilité dans les travaux scientifiques de
recherche en sciences sociales comme dans d'autres domaines ? Au sens le plus
général, le genre est la construction sociale de la
différence des sexes5. On distingue du genre, le sexe qui par
opposition au genre, est biologique, physiologique. Par le sexe on distingue
des hommes et des femmes dotés d'appareils génitaux masculins ou
féminins. L'emploi du terme « genre » permet de souligner le
caractère social des comportements et des significations
associées à la différence des sexes voire à cette
différence elle-même6. Le terme genre nous permet de
différencier le sexe biologique ou « naturel » et le sexe
social ou « genre ».
L'objectif des études de genre est donc de chercher a
comprendre comment le social transforme le sexe en genre, qu'est ce qui dans
le processus de construction sociale
5 Anne Revillard et Laure de Verdalle, « Les
Dynamiques du genre », ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 -
n° 10 pages 3 à 17
6 Laqueur, 1992, dans « Les dynamiques du genre
», ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 - n° 10 pages
3 à 17
fait que nous agissons de telles ou telles manières si
nous sommes nées fille ou garçon ? Quels rôles sociaux
incarnons-nous de part notre identité de genre ? Depuis la petite
enfance avec l'éducation différente que nous avons reçue
de part notre famille ou a l'école nous poussant a aller plutôt
vers tels ou tels jouets, ou à nous comporter de telles ou telles
manières selon notre sexe, jusqu'au monde du travail, oü il existe
indéniablement une division nette des tâches, des salaires, et des
places hiérarchiques, en passant par la sphère privée et
le vie conjugale où la encore une division genrée des rôles
est très souvent présente... La division de genre est
omniprésente dans toutes les sphères de nos vies.
Il convient cependant de ne pas penser le genre qu'à
partir de cette opposition binaire féminin/masculin, et d'étudier
la construction du genre tout en étant attentif à la
déconnection entre construction de la féminité et de la
masculinité qui reste dans une certaine mesure relativement
indépendante des sexes biologiques. (En particulier chez les
Transgenres, intersexes par exemple).
Les relations de genre ne seraient pas seulement
présentes dans les dimensions de la construction sociale,
c'est-à-dire les comportements, les statuts, les gouts, les
rôles... Mais elles sont aussi dans les symboles, les valeurs, les
émotions rattachés au féminin et au masculin. Les cadres
symboliques rendant les oppositions féminin/masculins (( naturelles ))
ou allant de soi sont très puissants et très anciens. Ainsi
depuis (il semblerait) presque toujours et dans de nombreuses
sociétés cette dichotomie fondée sur le biologique existe
et est largement répandue. Le féminin serait associé dans
de nombreuses cultures à la (( Nature ~, a la reproduction, et soins de
l'enfant. Alors que le masculin lui est associé à la (( Culture
)) et aux tâches intellectuelles et physiques relevant de la
sphère extérieure au privé. Un des arguments les plus
fréquents est de dire que la nature détermine la culture. La
femme serait physiquement plus faible que l'homme et aurait un cerveau plus
petit, c'est pourquoi naturellement elle serait destinée à des
tâches différentes que celles des hommes. Cet argument est
scientifiquement contesté. La division des tâches relève
donc plus d'une division politique et de pouvoir que d'une division
biologique7.
En effet il existe intrinsèquement au genre un rapport
de pouvoir, que l'on peut définir selon une hiérarchie, selon
laquelle les hommes dominent les femmes, et en termes de normes selon
lesquelles le social accorde plus d'importance aux valeurs et significations
liées au masculin plutôt qu'au féminin8.
(Article (( dynamiques de
7 Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009)
Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition
Armand Colin
8 Anne REVILLARD et Laure de VERDALLE, (( Les
Dynamiques du genre » ENS Cachan | Terrains & travaux. 2006/1 -
n° 10 pages 3 à 17
genre »). Ce sont les théories féministes
qui ont les premières mis à jour cet aspect relationnel de
pouvoir lié au genre. Entre autres Christine Delphy a
conceptualisé le terme de patriarcat, et Colette Guillaumin les concepts
de (( sexages » et (( d'appropriation », en France. Aux Etats-Unis,
l'une des précurseurs Judith Butler, dont les écrits ont servis a
l'émergence de la mouvance « Queer », démontre que
chaque individu quelque soit son sexe subit une pression sociale à se
conformer à une norme de genre, et qu'en cas de transgression il y
aurait une sanction sociale. La mouvance (( Queer ~ s'emploi donc a analyser
les normes de genre et l'hétérosexualité et à
travailler à leur déconstruction et à leur remise en
question. Cette remise en question des normes de genre et de sexualité
laissent aussi une place plus grande à des mobilisations jusque
là invisible dans les travaux scientifiques de sciences sociales comme
les mobilisations LGBT (Lesbiennes Gay Bisexuel et Trans).
Les études de genre ont été d'abord plus
précoces et plus fructueuses dans les pays anglophones et notamment aux
Etats-Unis et au Canada. Elles furent, et elles continuent à être
dans ces pays fortement reliées au militantisme féministe, sans
lequel ce courant n'aurait surement jamais vu le jour. Néanmoins cette
association chercheur/militant peut être vue comme dangereuse, et serait
une des causes au refroidissement de la France et des pays d'Europe envers ce
type d'étude et d'analyse. De plus ce type d'étude reste peut
être encore trop centré sur l'étude des femmes et du
féminin, alors que l'étude du masculin est tout autant
intéressant, et le risque serait de désintéresser une
certaine partie de la population a ce type d'étude, qui par ailleurs
devrait pouvoir concerner tout le monde9. Néanmoins
l'étude du genre devient de plus en plus florissante et reconnue en
France, comme en témoigne la multiplication récente des
publications sur le sujet, et les ouvertures de chairs universitaires dans ce
domaine. Les travaux sur le genre sont diverses et variés et
transcendent toutes les domaines de recherches ; Histoire, Philosophie, Science
politique, Psychologie, Sociologie, Littérature... Et toutes les
sphères, celles du privé, de la vie conjugale, de la
sexualité, de la famille, comme celles du publique ; sphère du
travail, de l'espace publique. Et tous les champs ; politiques,
économique, et sociaux...
Pourquoi inclure le genre dans l'étude des
mouvements sociaux ? Verta Taylor et les structures d'opportunités
genrées
Selon Verta Taylor, Mya Marx Ferree, Judith Taylor, Jean
Gabriel Contamin, Olivier Fillieule, Danièle Kergoat, entre autres, les
chercheurs en sciences politiques et en sociologie auraient jusqu'à
présent rarement envisager le genre en tant que catégorie
analytique dans l'émergence et développement des mouvements
sociaux. Ces chercheurs avant-gardistes dans le domaine du genre et des
mobilisations sociales
9 Christine GUIONNET et Erik NEVEU, (2009)
Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U, Edition Armand
Colin
commencent par remettre en question les théories des
mouvements. Les seuls travaux selon Verta Taylor qui auraient observé
que le mouvement social serait traverser par des dynamiques de genre sont peu
connus et peu reconnus (Fantasia 1998, Gamson1997, Mc Adam 1992, Neuhausen
1995)10. Selon elle cela contrasterait avec la croissance des
travaux fructueux sur le genre dans tous les autres domaines confondus.
Malgré tout un groupe de chercheuses féministes aux Etats-Unis
ont fait des travaux dans ce domaine, et ont pu prouver que le « genre
était un des facteurs clé explicatifs dans l'émergence, de
la nature et des résultats de tous les mouvements sociaux, ceux qui
n'évoquent pas intrinsèquement le conflit de genre comme ceux qui
revendiquent son changement ». 11 Verta Taylor fait partie de
ce groupe avec entre autres Marx Ferree, Whittier, Blee, Robnett... Elle fait
notamment de nombreuses recherches sur les groupes de soutien de femmes en
dépression post-partum (après l'accouchement d'un enfant). Selon
elle ces groupes de soutien sont de véritables groupes d'action
collectives s'incérant dans le mouvement plus large du féminisme
et tentant de lutter contre les images, les rôles, et les comportements
de la « mère idéale nurturante », c'est-à-dire
de la mère seule responsable des soins et de l'affection dont l'enfant a
besoin. Ainsi toute la pression de l'éducation et des soins affectifs de
l'enfant reposerait seulement sur les épaules de la mère, ce qui
expliquerait en grande partie les dépressions post-partum de ces
dernières. Les groupes de soutien luttent aussi pour une meilleure
connaissance de la maladie, qui est très peu reconnue notamment dans le
champ médical. En effet il y aurait une réticence culturelle
à envisager la naissance d'un enfant autrement que dans le bonheur.
Selon Verta Taylor, les champs culturels et médicaux fortement
genrés, qui diffusent et renvoie ce type d'image de la femme sont autant
de structures d'opportunités pour des mobilisations de femmes.
Fillieule, Contamin, et Judith Taylor : les
structures organisationnelles et expressives genrées
Olivier Fillieule 12 pense lui aussi que le genre
est peu pris en compte dans l'étude des mobilisations sociales.
Même si de plus en plus de travaux apparaissent sur le sujet et notamment
en France. La sociologie des rapports de genre ne serait pas aussi
naturellement considérée que celle des rapports de classe. En
France, les chercheurs s'intéresseraient surtout a la place des femmes
dans les grèves mixtes, en étudiants les rapports sociaux de
sexe. Dans ses recherches il utilise le genre pour expliquer les
10 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements:
Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
11Verta TAYLOR, Ibid
12 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
notions de frustrations, d'opportunités politiques, de
cadres dominants, mais aussi les structures organisationnelles, avec la
perspective ou non du leadership androcentré, l'éventuelle
division du travail militant, et enfin les coûts et rétributions
de l'engagement. Utiliser le genre nécessiterait une redéfinition
des frontières du militantisme et faire le rejet des découpages
habituels. Il serait intéressant d'envisager d'autres sphères que
celles de l'Etat et des élites, comme la communauté, la famille,
les réseaux, la parenté, lesquelles seraient assignées aux
femmes et donc plus particulièrement investis par ces
dernières13. Ce serait donc aussi rendre visible des
mobilisations qui sont habituellement mises de côté.
Chercheuse aux Etats-Unis, Judith Taylor, elle aussi fait
partie de ce petit groupe de chercheurs qui étudie les mobilisations
sociales par le biais de la catégorie analytique du genre. Elle cherche
à mettre en évidence (notamment dans sa recherche sur les
mobilisations pour le droit a l'avortement en Irlande) 14 que les
modèles traditionnels nous limite dans la compréhension du
mouvement. Elle critique le fait que en politique, comme en sciences sociales
il est souvent utilisé des termes « neutres », voire un
vocabulaire de type « militaire », avec des notions de
stratégies, de tactiques d'antagonistes/protagonistes (ces deux derniers
concepts étant développés par Doug McAdam, David Snow, et
Gamson). Gamson et Mc Adam se focalisent très fortement sur la dynamique
entre le mouvement et le gouvernement. Dans sa recherche en Irlande, elle
compare les interventions de femmes et d'hommes qui sont féministes et
qui sont dans le mouvement pour le droit a l'avortement lors des meetings.
Durant ces interventions donc, les femmes exprimeraient plus leurs
émotions, leurs ressentis, leurs expériences personnelles. Ils
utilisent donc les meetings comme des lieux de paroles et de partages
d'expériences. Tandis que les hommes parlent de logiques d'action
collective et tentent d'organiser la prochaine action collective de
manière stratégique. Elle observe aussi l'irritation de certaines
militantes quant a la façon dont les hommes avaient d'emblée
monopoliser les discussions et leurs empressements a diriger chants et slogans
et a conduire la manifestation. Dans l'organisation aussi, elle note que les
militantes femmes préfèrent la prise de décision par
consensus, c'est-àdire prises par petits groupes de paroles, car plus
intimes. Les militants hommes en revanche préfèrent la prise de
décisions par vote car ils le considèrent comme plus
démocratiques.
13 Olivier FILLIEULE, Le Sexe du
Militantisme, Collection Sociétés en Mouvement, Edition
Science Po Les Presses, (2009)
14 Judith TAYLOR «Les tactiques féministes
confrontées aux «tirs amis» dans les mouvements des femmes en
Irlande», Politix Volume 20 n°78/2007, p65-86
Un autre chercheur français, Jean Gabriel Contamin, qui
a fait une étude sur la pétition contre la loi
Debré15, estime lui aussi que la prise en compte du genre est
indispensable dans l'étude des actions collectives, quand bien
même cette action est jugée neutre aux premiers abords. En effet,
pour la pétition contre la loi Debré, il y avait autant de
participants hommes que femmes. Il y observe des différences
genrées dans les expressions des pétitionnaires. Dans les
témoignages, les femmes feraient preuve d'empathie, elles
n'hésiteraient pas a exprimer leurs émotions, et elles se
positionneraient avant tout comme des mères de familles (pour une
majorité). Alors que les hommes (là encore des exceptions
existent) se positionnent d'abord contre une politique, et s'expriment de
manière plus « froide )). Il dénonce « une
définition restrictive du domaine politique qui le réduit aux
activités les plus institutionnelles et les moins ouvertes aux femmes,
un vocabulaire « non genré )) qui masque qui fait quoi, et qui
renforce implicitement l'impression qu'organisateurs, dirigeants, et militants
ne sont jamais des « organisatrices )), des « dirigeantes )) ou des
« militantes )) ; la tendance à présenter les modes de
participation politique des femmes comme des comportements en marge de la
politique, relevant des « pratiques morales )) plutôt que des luttes
« politiques )) )).16
Mya Marx Ferree et Joan Acker : l' «
éthique masculine de la rationalité et de la froideur
»
Joan Acker écrit un article en 1990 sur l'étude
féministe des organisations. Elle observe que les organisations
s'appuient sur une « éthique masculine de la rationalité )).
Les organisations récompenseraient en effet des comportements au travail
de type masculin comme « la capacité d'abstraction et de
planification, la mise de côté des dimensions
émotionnelles, et une forme de supériorité cognitive dans
la résolution des problèmes et la prise de décision. ))
17 En résumé, non seulement il y aurait une
hiérarchie entre ce que l'organisation pense être une «
éthique masculine )) et une « éthique féminine ~.
Mais l'organisation exercerait une pression sur l'individu femme ou homme pour
qu'il se conforme a cette éthique selon son sexe ou non. Ainsi les
hommes devraient masquer toute émotion et faire preuve de
capacités intellectuelles et rationnelles. Alors que les femmes devant
elles aussi se conformer à ce que l'organisation attend d'elles, doivent
faire preuve de capacités de soutien, d'empathie, de
négociations, et d'écoute. Dans certaines organisations, il leur
sera demandé également des « compétences
esthétiques )). Danièle Kergoat, dans son livre « Les
15 Jean Gabriel CONTAMIN, « Genre et modes
d'entrées dans l'Action collective : l'exemple du mouvement
pétitionnaire de la loi Debré )), Politix
N°78/2007, p 13-37
16 Ibid
17 Joan Acker dans Christine GUIONNET et Erik NEVEU,
(2009) Féminins/Masculins: Sociologie du Genre, Collection U,
Edition Armand Colin
Infirmières et leur Coordination»,
18dénonce aussi le fait que les infirmières sont sous
payées, parce que le corps médical et l'Etat attendent d'elles
des qualités considérées comme « naturelles ~,
d'aide, d'écoute, d'empathie, qu'ils ne considèrent pas comme des
qualifications. Se plier a l'éthique masculine ou féminine que
l'organisation attend de nous demande souvent un véritable travail sur
soi même, de self-control, pour les hommes comme pour les femmes.
Mya Marx Ferree et D.A Merril dénoncent elles
l'invisibilisation de l'émotion dans les mouvements
sociaux19. Selon elles la sociologie des mobilisations est
construite autour de l'idée que le comportement politique, tout comme
celui du chercheur doit être « rationnel », «
dénué d'émotions, de passions, et de sentiments ».
Alors que les mobilisations seraient tout sauf froides, mais au contraire
« pleines d'émotions, de passions, et de valeurs ». Là
aussi le masculin serait rattaché au « non émotionnel,
calculateur, égoïste, dominateur, et hiérarchique ~, le
passionnel et l'émotionnel seraient réservés au
féminin, mais comme ces deux aspects ne sont pas étudiés,
il y aurait bien selon elles une hiérarchie de genre au sein des
recherches en sciences sociales.
Des points qu'il reste a
soulever....
Verta Taylor souligne le danger de trop insister sur les
pratiques organisationnelles genrées, car cela renforcerait, ou
maintiendrait les inégalités de genre. Elle préconise
l'utilité aussi de travailler sur des phénomènes de
résistance aux normes de genre. Comme lorsque des mobilisations de
femmes développent des alternatives aux normes genrées,
alternative de l'image de la femme par exemple, ou sur le travail
émotionnel qui est fait au sein de l'organisation. Verta Taylor insiste
aussi sur le fait qu'analyser les mobilisations sociales par le biais du genre
c'est bien, mais il ne faut pas oublier l'impact des mobilisations sociales sur
la construction sociale du genre. En effet de part les mobilisations de femmes,
qui font un véritable travail de « développement des
consciences » sur les normes de genre, et qui de part leur croissance et
leur impact pourrait bien influer sur les normes dans le présent comme
à l'avenir.
Vers une méthodologie
personnelle...
Dans cette section théorique, nous avons fait un rapide
« état des lieux » des théories des mouvements
sociaux, puis nous avons vu que l'apport du genre dans ces théories
18 Danièle KERGOAT, Françoise
IMBERT, Hélène Le DOARE et Danièle SENOTIER, Les
infirmières et leur Coordination, Ouvrage recensé par
Colette Gendron, Recherches Féministes, Vol 6,n°2, (1993),
p171-175
19 Mya Marx FERREE et D.A MERRIL, «Cold
Cognition: Thinking about Social Movements in Gendered Frames»,
Contemporary Sociology, Vol 29, n°3, (2000), p454-462
était nécessaire. Afin d'étudier
l'émergence des organisations féministes et LGBT (Lambda et
Amargi), et afin de rendre au mieux de leur spécificité, l'outil
analytique du genre sera donc utiliser dans cette recherche, tout en combinant
des apports non négligeables des théories « classiques
» des mouvements sociaux. Au début de ce travail de recherche,
certains traits ; l'émotion, l'expérience personnelle, la
convivialité, et l'objectif de s'émanciper soi se
démarquèrent plus particulièrement, prouvant ainsi que les
théories classiques des mouvements sociaux de pouvaient être
suffisant dans le cadre de cette étude. C'est pourquoi les travaux de
Verta Taylor et d'autres20 cherchant à inclure le genre dans
leurs recherches, ont particulièrement servi dans le cadre
théorique de ce travail.
Dans ces recherches, il sera donc étudié les
structures organisationnelles, les répertoires d'action au travers du
genre, mais aussi décrypté des témoignages des militantes
lors des entretiens, et la recherche de leurs intérêts à se
mobiliser dans cette cause. Les coûts et rétributions des
militantes ne sont pas les mêmes que ceux des militants hommes. Il est
donc intéressant d'avoir un regard analytique sur les autres
sphères de la vie des militantes, aspect souvent banni dans les
recherches « classiques » des mouvements sociaux. Cette observation
ne se basant que sur les mobilisations de femmes, l'appui sur d'autres
recherches de rapport de genre dans les groupes de mobilisations mixtes, ou
masculins, afin d'établir une comparaison mais surtout afin de
définir si il y a effectivement une logique d'action féminine,
peut être utile.
Le contexte politico-culturel sera aussi étudié
au travers du rapport social de genre, car jouant un rôle puissant dans
l'émergence des mouvements sociaux, générant des
frustrations et des donc des opportunités de mobilisation. La Turquie
est en effet un contexte politico-culturel où la hiérarchie des
normes de genre entre le « féminin » et le « masculin
» est particulièrement forte et prégnante, et dont les
cadres très puissants influent dans toutes les sphères de la vie
d'une femme. (Famille, vie conjugale, travail, vie sociale, espace
publique).
Enfin, selon ce que disait Verta Taylor21, il est
important de s'interroger aussi sur l'influence du mouvement social sur la
construction sociale du genre, et observer éventuellement des
changements à ce niveau. Amargi et Lambda sont des organisations
nationalement connues, revendiquant la prise de conscience des normes
20 Olivier FILLIEULE, Verta TAYLOR, Judith TAYLOR, Mya
Marx FERREE, Christine GUIONNET, Danièle KERGOAT, Cheryl HERCUS,
Jean-Gabriel CONTAMIN, Laure BERENI
21 Verta TAYLOR, «Gender and Social Movements:
Gender Processes in Women's Self Help Movements », Gender and
Society, Vol 13, N°1,(1999), p8-33
genrées des femmes et des hommes, et le fait de s'en
émanciper (pour les féministes d'Amargi), ou de s'en
défaire (pour les Queer et transgenres de Lambda). On peut donc
légitimement se poser la question de l'impact de ses actions dans le
champ social, bien que cela semble difficile à évaluer.
Enfin, il semble intéressant de noter aussi le paradoxe
des militantes féministes et LGBT qui revendiquent l'émancipation
des normes de genre, mais qui de manière inconsciente(ou non)
réutilisent dans leurs actions, et leurs organisations des logiques
identitaires genrées ayant à voir avec leurs identité
sexuées. Mais comment pourrait-il en être autrement ?
|
|