Section 1 : LE GENRE DANS LA RECHERCHE EN SCIENCE
SOCIALE
I) Pourquoi utiliser l'analyse par le genre dans
l'étude des mobilisations sociales ?
A) Théories traditionnelles des mobilisations
sociales et critiques
Qu'est ce qu'un mouvement social ?
On définit traditionnellement un mouvement social comme
une action collective en faveur d'une cause matérielle ou
immatérielle et visant a transformer l'ordre social existant. Le
mouvement des femmes en Turquie, peut être considéré comme
rejoignant plus globalement le mouvement féministe international
même si le contexte et les revendications sont parfois différents.
Les mouvements des femmes et/ ou féministes en Turquie ont un double
objectifs améliorer le droit des femmes, notamment l'accès au
travail, et réduire l'impunité des violences faites aux femmes
notamment domestiques. Mais aussi dans le changement des mentalités et
dans la modification des rapports entre les deux sexes, en vue d'atteindre
l'égalité totale entre les hommes et les femmes, sans domination
des uns sur les autres. Le projet est donc bien une transformation en
profondeur de la société, les mouvements féministes, et/ou
de femmes sont donc bien des mouvements sociaux. Il apparaît donc logique
d'étudier des mouvements féministes avec l'appui des
études théoriques des mouvements sociaux.
Mais « Un mouvement social c'est aussi d'abord, une
mobilisations de femmes et d'hommes, autour d'espoirs, d'émotions, et
d'intérêts. C'est aussi une occasion privilégiée de
mettre en discussion des enjeux sociaux » selon Eric Neveu4.
Dans cette définition donnée par Eric Neveu, le plus important
est dit. Un mouvement social c'est aussi «des espoirs, des
émotions, des intérêts » semble t-il souligner en
rapport avec les théories classiques du mouvement social qui semblaient
oublier cette dimension.
Il est utile de reprendre ici brièvement les
théories du mouvement social, leurs points forts, leurs faiblesses,
et ensuite en quoi le genre peut être une catégorie
analytique indispensable dans la compréhension des émergences,
des développements des
4 Erik NEVEU, Sociologie des Mouvements
sociaux, Collection Repères, La Découverte
mouvements sociaux, de leurs structures organisationnelles mais
aussi du point de vue des vécus et des expériences des militants
et militantes.
Les théories du comportement collectif &
l'apport du concept de « frustration »
Les premières théories sont les théories
du comportement collectif. Elles émergent pendant l'entre deux guerres,
avec l'Ecole de Chicago et Park et Blumer, et donnent particulièrement
d'importance au comportement collectif. Des chercheurs comme Smelser,
fonctionnaliste, et d'autres plus proches des psychosociologies comme Gurr,
contribuent à ces travaux. La psychologie des foules de LeBon est
remplacée par une logique de convergence, la naissance des comportements
collectifs vient de la synchronisation entre les croyances et les frustrations
des individus. Gurr invente la notion de « frustration relative »,
les individus espèrent quelque chose en fonction de leur perception de
leur statut social, qu'ils considèrent en dessous de ce qu'ils estiment
être en droit d'attendre. Cette théorie peut être
critiquée car si les mobilisations émergent la plupart du temps
à cause de frustrations, il est difficile d'évaluer une
frustration, et il serait dangereux de prouver qu'il y a frustration parce
qu'il y a mobilisation.
Dans les années 1970, surgit le Paradoxe d'Olson. Olson
donc souligne le fait que si plusieurs membres souhaitent la même
finalité, selon les rationalités individuelles de chacun, il peut
y avoir action collective ou non. Il va donc apporter les approches de la
rationalité individuelles, qui seront reprises plus tard dans les
années 80 avec les théories de l'Action rationnelle, oü la
tendance est d'appliquer le modèle de l'Homo Oeconmicus à tous
les faits sociaux. C'est-à-dire que tout individu serait rationnel et
serait pousser dans toute action par un calcul coûts/avantages. Le risque
de ces théories est qu'il y est un écart entre théories
« objectives » et les motivations subjectives des agents sociaux.
Les théories des mobilisations des
ressources & la focale sur les structures
organisationnelles
Dans les années 70, émergent les théories
des mobilisations ressources, gagnant ensuite leurs essors dans les
années 80. Les auteurs sont Obershall, Gamson, Tilly, McCarthy et Zald.
Au lieu de se demander pourquoi les groupes se mobilisent ils se demandent
comment les mobilisations émergent, se développent et
s'organisent. Ils s'intéressent donc surtout aux organisations, et
notamment a leur rapport avec le politique et l'Etat. Mac Carthy et Zald
analysent les organisations de mobilisations comme des entreprises, « des
structures d'offre répondant a des préférences diffuses
sur le marché ». Au sein des membres actifs ils distingueraient les
« bénéficiaires potentiels ~ censés tirés un
bénéfice personnel de l'action collective et les « militants
moraux ~ qui agirait dans l'action collectif sans espérer en tirer
parti. Mais les théories
ne disent pas pourquoi les « militants moraux ~
s'engageraient si ce n'est pas par bénéfice personnel. Oberschall
insiste sur les notions de structurations sociales, et sur les réseaux
de sociabilité dans l'émergence des actions collectives.
Les théories des NMS, et les
théories identitaires ou le rapprochement avec les
militants
Les théories les plus récentes sont les
théories des nouveaux mouvements sociaux (NMS) qui sont assez
controversées. Elles éclairent le fait que dans les années
60-70, de nouveaux types de mouvements sociaux auraient émergés
et qu'ils témoigneraient d'un changement de la société
devenue postindustrielle. Les besoins économiques et vitaux des
individus seraient comblés, de nouveaux types de revendications
apparaitraient. Les NMS seraient identifiables aux formes d'organisations et
aux répertoires d'actions. Les structures y seraient
décentralisées, de type autonome, Les types d'action seraient
nouveaux, peu institutionnels voire ludiques. Les revendications aussi ne
seraient les mêmes, elles mettraient l'accent sur la résistance au
contrôle social, et sur l'affirmation de styles de vie ou
d'identités. Le rapport au politique change lui aussi, il s'agit de
construire des espaces d'autonomies contre lui. Et enfin les identités
des acteurs n'est plus seulement fondés sur les rapports de classe, mais
sur d'autres principes identitaires. Les NMS seraient critiqués car
certains traits seraient déjà dans les « anciens »
mouvements entre autres. Ils ont néanmoins le mérite de prendre
ses distances avec l'objectivisme des théories plus anciennes, et de
réhabiliter les valeurs, les identités et les émotions des
militants.
Enfin Gaxie, dans les années 80, est l'un des premiers
a esquisser une théorie des pratiques militantes, qui étudie les
coûts et rétributions de l'engagement des militants. Il parle
notamment de dimension d'intégration sociale, d'émotions et de
convivialité qui sont des aspects attractifs de l'engagement militant.
Il développe aussi le concept de « l'effet
surrégénérateur », repris par Hirschman « le
bénéfice individuel de l'action collective n'est pas la
différence entre le résultat qu'espère le militant et
l'effort fourni, mais la somme de ces deux grandeurs ».
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