Section 2 : APPREHENDER LE CONTEXTE TURC PAR LE
GENRE
I) La femme et l'imaginaire collectif turc : les
représentations du « féminin » dans les mythes
nationalistes, les interprétations islamiques, et le projet
kémaliste de modernisation
A) Les mythes nationalistes de la femme en Turquie : de la
personnification de la Terre a l'objectivation des femmes
Pour comprendre l'étude des mobilisations
féministes et LGBT, en tant que mobilisations subversives aux normes de
genre, il est important d'étudier comment naissent ces ancrages culturel
de ségrégation des sexes dans la société turque
mais aussi dans l'imaginaire collectif. Selon l'UNESCO la culture est «
Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd'hui
être considérée comme l'ensemble des traits
distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels
et affectifs, qui caractérisent une sociétéou un groupe
social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie,
les
droits fondamentaux de l'être humain, les
systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. » Dans
cette partie je souhaite étudier la représentation de la femme
dans certains traits constitutifs de la culture turque, ou du moins de son
contexte culturel, le nationalisme, qui est prégnant en Turquie depuis
le projet kémaliste de 1923, l'Islam, car religion majoritaire en
Turquie, et le projet kémaliste qui est encore actuel, comme nous
pouvons le voir de part les nombreux portraits d'Atatürk qui jalonnent le
paysage. La représentation ainsi que les symboliques de la femme
diffusées par ces trois traits culturels en Turquie, traits plus ou
moins récents, ont des répercussions fondamentales sur
l'oppression quotidienne des femmes turques. L'étude de genre de ces
cadres culturels s'impose donc, car elle permet de comprendre l'oppression des
femmes et donc l'émergence des mobilisations féminines.
Qu'est ce que le nationalisme en Turquie ? Le nationalisme
débute a la fin de l'empire ottoman, puis se développe avec le
fondement de l République de Kemal en 1923. Le nationalisme permet de
souder un peuple face a l'extérieur, de créer de la
cohésion nationale. Tout le projet de modernisation de la Turquie de
Kemal se fonde sur cette idéologie. Nous n'allons pas ici nous
intéressée a l'idéologie nationaliste
développée par Kémal, mais a la symbolique de genre qu'il
y a dans les poèmes et chansons nationalistes. Nous l'avons vu, le
nationalisme est prégnant en Turquie, il faut donc comprendre les
symboliques féminines des chansons et poèmes nationalistes comme
les révélateurs de traits culturels turc, ces traits culturels
n'étant pas immuables, ni fixés et pouvant évoluer.
La Métaphore nationaliste de la Terre en
« Bien-aimée » et en mère
Dans de nombreux poèmes nationalistes turcs, mais aussi
iraniens, palestiniens... Nous pouvons retrouvons la personnification de la
Terre. Dans les poèmes iranien on parle de « Vatan »
(mère patrie), qui est donc personnifiée en tant que « bien
-aimée », ou mère22. La communauté
nationale et le sentiment nationaliste se construiraient sur une
hiérarchie de genre. En effet les symboliques nationalistes sont
centrées sur une conception masculine, et sur l'exclusion des femmes. Le
fait de présentée dans la plupart des poèmes et des
chansons traditionnelles la Terre patrie comme une bienaimée, une femme
donc, montre que cette conception est masculine. Cette personnalisation
servirait à faire naître le sentiment « d'amour patriotique
». Se dessine alors une Terre dont les frontières seraient celles
d'un corps de femme, un corps que les hommes de la communauté nationale
pourraient aimer, posséder, protéger, et pour lequel ils
pourraient tuer ou être tué, et qui pourrait être
pénétrée, violée, par l'ennemi extérieur. Si
les hommes n'arrivent pas a protéger leur Terre du viol, cela revoit
à leur faiblesse, et leur honneur, qui du coup est remis en cause. Les
hommes sont donc les gardiens de l'honneur de la communauté, qui est
attaché a l'inaccessibilité de la Terre, comme
l'inaccessibilité de la femme. La Terre est aussi symbolisée en
mère nourricière, c'est elle qui a enfanté les hommes
« les frères » de la communauté nationale.
L'assimilation de la femme a la Terre serait non sans conséquence pour
la représentation féminine qui serait vue comme vulnérable
sexuellement et ayant avant tout un rôle de mère23. De
plus par cette métaphore la femme est objectivée, elle devient
donc un objet « dont on dispose », qui est caractérisé
par sa passivité et son impuissance ; « on la prend, on la viole
».24
La Femme porteuse de l'identité culturelle
turque
Par ce biais la femme turque est porteuse de l'identité
culturelle, et est responsable du lien permanent de la culture traditionnelle,
qui signe « l'inscription dans le temps, l'enracinement sur la Terre
», et donc la « légitimité de la présence »
des hommes sur leur territoire. Les femmes sont donc chargées de fournir
et véhiculer une identité sur laquelle repose aussi le droit
à la Terre. Et c'est en affirmant cette culture face aux
altérités culturelles d'autres peuples, d'autres civilisations,
que le peuple se sent appartenir à la nation turque. La femme turque
doit donc être porteuse de l'identité culturelle face aux autres
cultures, et notamment face à la culture occidentale en position de
force idéologique. Ainsi selon Nilüfer Göle « Dans un
pays musulman, la
22 Afsaneh NAJMABADI, « The Erotic Vatan
(Homeland) as Beloved and mother : to love, to possess, and to protect »,
Comparatives Studies in Society and History, Vol 39, N°3, (1997),
p442-467
23 Pénélope LARZILLIERE, Etre
Jeune en Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004)
24Pénélope LARZILLIERE , Ibid
place de la femme dans la société définit
les enjeux même de l'occidentalisation et, audelà des conditions
de vie des femmes, met en cause de façon générale la
culture et la civilisation ».25 S'il y avait rupture avec la
tradition par les femmes, cela effectuerait donc à une rupture sociale,
et cela représenterait une trahison nationale. La volonté de
changement dans le comportement des femmes est donc fortement
dépréciée, même si la Turquie est tiraillée
entre modernité et traditions islamiques. Nous aborderons dans une
deuxième et troisième sous partie ces deux courants, celui de
l'occidentalisation kémaliste, et les traditions islamiques qui
traversent la Turquie et s'y affrontent tout en utilisant la femme comme
porteuse de ces projets de civilisation. Selon ces mythes nationalistes perdre
la Terre reviendrai a perdre l'honneur qui renvoie a la préservation de
l'inaccessibilité des femmes. Et perde l'honneur attaché a la
réputation des femmes renverrai a perde la terre.
L'inaccessibilité des femmes symbolise donc la garantie de l'honneur.
L'honneur de la famille, mais aussi de la communauté entière
repose sur la préservation de la réputation des femmes et
particulièrement des jeunes filles. Ainsi en Turquie des tests de
virginité sont encore effectués avec l'accord d'un juge sans le
consentement de la jeune fille. L'inaccessibilité des femmes peut
notamment être symbolisée par le port du voile et par
l'assignation des femmes a la sphère privée. Ainsi « le
contrôle des femmes est un enjeu de pouvoir a l'intérieur des
sociétés, mais aussi entre les sociétés. »
26Préserver la sphère privée de toute intrusion
extérieure, tout comme préserver les femmes des regards des
hommes, revient a préserver l'honneur de la communauté, et
garantie un « espace inviolé ~. C'est avec cette optique de
symbiose sémantique entre l'inaccessibilité de la Terre et
l'inaccessibilité des femmes que l'on peut retrouver dans beaucoup de
pays et de cultures, que nous pouvons aussi tenter d'expliquer certains crimes
de guerre, notamment les viols massifs de femmes en Bosnie.
Synthèse
Comme nous l'avons vu ici l'ordre du genre structure
profondément la société turque, puisqu'il se retrouve dans
les puissants cadres culturels de cette société, cadres culturels
qui sont souhaités comme « immuables », puisque symbolisant la
légitimité d'un peuple sur une terre. C'est cette construction
idéologique et culturelle qui fait que l'homme sera valorisé
comme étant actif, et devant s'exposer et agir dans l'espace public,
alors que pour la femme il sera préférable d'être passive,
et de « se cacher » dans la sphère du privé.
25 Nilüfer GOLE, Musulmanes et modernes
: Voiles et civilisations en Turquie, Editions La découverte,
réédité en 2003
26 Pénélope LARZILLIERE, Etre Jeune
en Palestine, Voix et regards, Balland, Paris, (2004)
Nous avons brièvement abordé dans cette sous
première sous-partie, le fait que la Turquie depuis sa création
en 1923 fut traversée par deux courants l'occidentalisation
kémaliste et le courant islamiste, tous deux utilisant la femme comme
symbole de projet de civilisation. Nous allons dans un premier temps
étudier la représentation de la femme dans l'Islam, ce qui n'est
pas chose facile, l'Islam étant constitué de divers courant,
divers interprétations.
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