IV) « Militer c'est d'abord s'émanciper soi
» : un rapport féminin à l'engagement ?
A) Facteurs d'entrée dans le militantisme
Certaines théories des mouvements sociaux, celles du
comportement collectif, se focaliseraient sur une frustration collective comme
cause d'émergence de ces mobilisations. Les théories des
mobilisations des ressources quant à elles accorderaient plus
d'importance a l'organisation, et aux stratégies menées par
l'organisation pour atteindre ces objectifs, mettant une certaine emphase sur
les stratégies menées a l'encontre de l'Etat et/ou des
élites. Au final le reproche que l'on peut porter a ces deux
théories est qu'elles n'accordent pas assez d'importance a l'individu,
et aux pratiques militantes. Qu'est ce qui fait qu'un individu de part ses
frustrations personnelles, de part son expérience, son parcours de vie
se décide à entrer dans le militantisme ? Qu'est ce qui fait
qu'il soit plus ou moins sensible ou attirés par certaines causes ?
C'est ce que nous allons aborder ici. Dans un second paragraphe nous essayerons
d'observer les coûts et les rétributions du militantisme
féministe radical et LBT à Istanbul. D'après Gaxie,
observer coûts et rétributions du militantisme n'est pas toujours
facile. Certaines rétributions sont en effet d'ordre «
inconscientes » alors que traditionnellement les militants seraient «
officiellement désintéressés et censuraient l'existence
d'intérêts propres distincts de l'attachement a la cause de
l'Action collective. »84 Cependant il semblerait que dans les
groupes de mobilisations de femmes, les rétributions autres que
l'attachement a la cause sont ouvertement exprimées, notamment les
dimensions psychologiques, affectives, émotionnelles, et
émancipatoires de l'activisme. Il apparaît donc plus facile au
premier abord d'étudier les coûts et les rétributions d'un
militantisme dans lequel les femmes n'hésitent pas a s'exprimer sur ce
qu'elles ressentent, et sur les efforts et les bénéfices que leur
coûte ou leur apporte cet engagement.
D'oà viennent les militantes féministes
et LGBT ?
Dans son étude sur les jeunes militantes dans les
mouvements féministes, Liane Henneron85 montre que
l'éducation des mères n'a pas forcément de
corrélation avec
84 Daniel GAXIE, «Rétributions du
militantisme et paradoxes de l'action collective», Swiss Political
Science Revue, Vol 11, N°1, (2005), p157-188
85 Liane HENNERON, « Etre jeune féministe
aujourd'hui : les rapports de génération dans le mouvement
féministe contemporain », L'Homme et la
société, n°158, (2005/4), p93-111
l'entrée dans le militantisme féministe de leurs
filles. En effet les mères peuvent être des contre-modèles
pour leur fille. Cependant la transmission familiale aurait son importance dans
l'intérêt de la jeune fille pour la politique. La « prise de
conscience )) passerait par la découverte des idées
féministes et de la construction sociale du genre au travers des
lectures personnelles, ou pendant certains cours a l'Université. En
effet les militantes féministes et LBT de Lambda et Amargi, ayant
été interrogées, ont toutes fait des études a
l'Université, ou sont en train de les faire. Deux étudient la
sociologie, une étudie l'archéologie, une autre a
étudié l'histoire, et la cinquième le graphisme.
Même si le panel est restreint nous pouvons néanmoins observer que
la majorité des militantes a fait des études en sciences
sociales, notamment en sociologie, qui peut s'avérer être un biais
privilégié pour découvrir les études de genre.
Toutes les militantes interrogées sont issues de la classe moyenne
supérieures, avec des pères journalistes, directeur, comptable...
Et des mères qui travaillent parfois aussi, ou qui sont mères au
foyer. Les militantes témoignaient sur l'effet un peu « ghetto ))
du militantisme féministe, toutes les militantes étant issues de
la classe moyenne supérieure, et dont les principales actions se
déroulaient à Taksim, lieu privilégié de la classe
aisée et occidentalisé. Le fait d'être issue de la classe
moyenne supérieure semble grandement avoir facilité
l'entrée dans le militantisme féministe et LBT de ces femmes.
Premièrement car étant issues de famille plutôt
intellectuelles et relativement aisées, elles ont pu faire des
études a l'Université et donc avoir accès a un certain
nombre de connaissances et de lectures facilitant cette « prise de
conscience )). La socialisation primaire issue d'une famille plutôt
intellectuelle peut favoriser un intérêt pour la politique.
Deuxièmement il semble que les familles de classes moyennes
supérieures, vivant pour la plupart dans des grandes villes, et dans des
quartiers occidentalisées sont moins imprégnées du poids
des traditions, et sont peut être plus ouvertes. Le fait d'habiter dans
un quartier, comme Taksim par exemple, cosmopolite et ouvert, facilite les
rencontres. Le fait de pouvoir voir d'autres manifestations ou actions
militante, peut éveiller une curiosité et faciliter une
entrée dans le militantisme. La moyenne d'âge des militantes
interrogées varie entre 20 et 35 ans, il semble qu'elle est
significative de la tranche d'âge de toutes les militantes des deux
associations, tranche d'âge que nous pouvons qualifier de jeune. Quand
les militantes sont interrogées sur leurs motivation à entrer
dans le militantisme, la plupart (qu'elles soient féministe ou LBT)
répondent que c'est leur avidité d'information, et de lectures,
qui les ont poussé à venir dans ces lieux qui sont aussi des
bibliothèques. Après s'être ensuite familiarisées
avec les lieux, elles ont eu envie de s'investir aussi « pour donner en
retour toute l'aide que j'avais reçus ici )). Dans beaucoup d'entretiens
il apparaît aussi la notion de confiance en soi, peu de militantes avant
de s'investir dans ces organisations avait confiance en elles. Souvent elles
mettent d'ailleurs un certain temps avant « d'oser venir )), un
élément déclencheur comme une rupture sentimentale, ou un
conflit familial, va faire que l'individu va enfin
oser. Et beaucoup disent retrouver confiance en elles au sein
des organisations, se sentant soutenus par les autres, ayant des liens amicaux
ou affectifs, et surtout ne se sentant pas en « danger » ou «
jugées ».
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