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La réutilisation des données publiques en droit des archives

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par Mylène THISEAU
Université Paris XI, Faculté Jean Monnet - Master 2 Droit du patrimoine culturel 2009
  

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2. Les enjeux de la diffusion du patrimoine culturel archivistique

La diffusion du patrimoine culturel archivistique est un choix éminemment politique qui a des conséquences en termes de retombées budgétaires. C'est pourquoi il va falloir déterminer des politiques générales, d'une part sur le point de savoir s'il faut prôner la réutilisation gratuite ou la réutilisation payante des données culturelles, et d'autre part sur le point de savoir s'il faut prévoir un système de tarification faible ou élevé. Ce choix est du ressort, à la fois des directeurs d'établissements d'archives qui perçoivent les documents d'archives, mais aussi, en amont, des directeurs d'établissements producteurs de données culturelles.

a) Un choix marqué par la politique culturelle et lié à la mission des établissements d'archives

Le choix de pratiquer des prix hauts ou bas est lié à l'implication politique des responsables administratifs dans la mise en place des systèmes de régulation de la réutilisation.

Dans une certaine mesure, on peut observer que la demande de réutilisation répond à la théorie de l'équilibre partiel entre l'offre et la demande, telle que développée par Alfred Marshall, et selon laquelle les courbes d'offre et de demande varient en fonction du prix, et donc de la quantité des biens échangés sur les marchés concurrentiels. En pratique, en matière de réutilisation, on peut difficilement considérer que les établissements d'archives sont sur un marché concurrentiel, du moins pour l'instant : il s'agit plutôt d'un domaine dominé par des grands monopoles des établissements de l'Etat, et l'Etat lutte justement pour conserver ce monopole et écarter les grands cabinets de généalogie ainsi que les agences de photographie.

D'autre part, la théorie de l'équilibre partiel implique qu'il existe une quantité déterminée de produits, cette quantité peut augmenter ou diminuer en fonction de l'offre et de la demande : ainsi, si l'offre est supérieure à la demande, il reste un résidu de produits qui n'ont pas été vendus au prix demandé. Inversement, si la demande est supérieure à l'offre, l'établissement va devoir augmenter sa capacité productive.

En matière de réutilisation, la question est plus complexe : il ne peut exister de quantité déterminée ou déterminable de produits disponibles, puisque ce qui va être vendu n'est pas un produit mais un droit de réutiliser le produit. Or ce produit, le document d'archives, n'est pas fourni tel quel en tant que produit. Seul son contenu est fourni et peut être reproduit et reproductible, de sorte que le produit n'est pas défini par le document administratif, qui est reproductible à l'infini à partir du support initial ou d'un support dérivé reproduisant lui-même le support initial, mais est défini par le droit de réutilisation. Un droit peut-il être un produit ? C'est en fait un service, dans le sens où le droit à réutilisation est un service procuré par l'administration d'archives aux usagers du service public qui ont un accès libre aux documents d'archives, qui peuvent avoir un droit de reproduction en payant une redevance spécifique, et qui ont dès lors un droit de réutiliser pour leur propre compte ou dans un but commercial, les données d'un document qui a été mis à leur disposition dans le cadre de l'exercice d'une mission de service public.

Dès lors vient à se poser la question de la gratuité de ce droit à réutilisation. La gratuité d'un tel droit relève de l'évidence pour le commun des usagers, dans la mesure où elle est fondée sur le principe que les usagers du service public se voient facturer chaque mois de manière indirecte au travers des diverses charges qui leur sont prélevées et sont redistribuées ensuite, et qu'il ne peut dès lors leur être demandé de contribuer par deux fois aux coûts suscités par l'accès à un tel service.

Mais la gratuité peut également avoir un coût important, et nous passerons rapidement sur le débat de la gratuité de l'accès à la culture, qui a été traité à de maintes reprises par les juristes et économistes, et qui n'est pas l'objet de ce mémoire, pour comprendre les raisons qui président à la facturation d'une redevance de réutilisation.

La reconnaissance d'un droit à réutilisation du patrimoine de l'Etat crée tout d'abord un manque à gagner pour l'administration qui n'exploite pas elle-même les données, et donc ne tire pas de bénéfices de cette exploitation18(*). L'Etat impose donc le paiement d'une redevance à l'usager au motif que l'administration d'archives n'a pas de rentrées d'argent.

A côté de ce motif à caractère économique, il faut envisager le fondement de la redevance pour service rendu. En effet, doit-on considérer qu'existe un équivalent au droit d'auteur de l'Etat sur les données publiques, qui prenne la forme d'une redevance pour service rendu ? Comme nous avons pu le voir précédemment, le coût marginal de la réutilisation pour les établissements ne semble pas établi d'un point de vue économique, sauf à tenter de répartir le coût de numérisation initial entre les demandeurs d'une même donnée ; mais l'Etat impose le paiement d'une redevance à l'usager au motif que l'administration d'archives a des « sorties » d'argent à l'occasion des demandes de réutilisation qui lui sont présentées.

La combinaison de ces deux motifs nous permet donc de conclure que c'est en raison d'une sortie d'argent non compensée par des rentrées d'argent que l'administration doit faire payer l'usager.

Enfin, on pourrait envisager un troisième motif pour justifier l'existence d'une redevance de réutilisation : tenter de dissuader une réutilisation massive des données. Et cela va certainement faire appel à des concepts philosophiques divers selon lesquels un excès de liberté peut conduire à inciter les citoyens à en abuser et à ne plus faire la part des choses entre ce qui est bon pour l'intérêt général et ce qui ne l'est pas. Mais le principe selon lequel trop de règles peuvent également nuire à la société n'est pas forcément applicable en matière de réutilisation, puisqu'on peut imaginer qu'une procédure quelque peu complexe va dissuader les utilisateurs de demander à réutiliser. Dans la pratique, il est fort probable que cette dissuasion ne va sans doute être efficace que pour les particuliers et les petites structures, les personnes qui ont besoin de la donnée, notamment dans le cadre d'une exposition ou pour tourner un film, auquel cas la présence des données va constituer une valeur ajoutée à la production envisagée. La dissuasion ne sera pas effective pour les entreprises de taille supérieure, qui seront particulièrement coriaces et déterminées à se procurer les données pour en faire leur activité exclusive.

Une fois le parti pris de faire peser sur le contribuable qui en fait la demande les coûts induits par la perspective de la réutilisation, quelle politique faut-il adopter en terme de tarification ? La question se pose en ces termes : faut-il inciter ou contenir la réutilisation ? Cette question trouve son fondement dans les jeux de pouvoir politique comme nous l'avons vu précédemment, mais elle a également des répercussions en termes de rentabilité économique.

En vertu du concept de l'équilibre de l'offre et de la demande, si l'administration fixe un tarif de réutilisation relativement bas, elle s'expose à ce que beaucoup d'usagers sollicitent un droit à redevance. A contrario, si elle pratique des tarifs hauts, peu d'usagers poursuivront la procédure de réutilisation au-delà de la réception du devis. Mais cette politique n'aurait d'intérêt que si cela pouvait dissuader les grosses entreprises commerciales dont le but est de tirer profit du commerce des données d'archives. Or l'effet premier qu'aurait une politique serait celui de la dissuasion des particuliers ou des petites entreprises, et pas forcément des grosses entreprises commerciales comme nous l'avons vu précédemment.

D'un point de vue purement économique, et non politique ou culturel, on peut d'ailleurs imaginer que si la demande est telle, quantitativement, qu'elle va permettre de générer des recettes plus importantes que si les tarifs étaient plus élevés, alors il y aurait plus intérêt pour l'administration à pratiquer des tarifs très intéressants pour les usagers, et donc à encourager la réutilisation. Tout est ensuite question de politique culturelle : faut-il (et peut-on) « vendre » le patrimoine culturel archivistique de l'Etat comme on vendrait n'importe quel bien sur le marché ?

b) Une réutilisation inévitable ?

Quels que soient les prix fixés initialement pour la redevance de réutilisation des données publiques dans les établissements d'archives, groupements privés comme administrations vont aller peu à peu vers la réutilisation généralisée du patrimoine culturel archivistique. Ce mouvement ne saurait aller dans un autre sens, dans la mesure où les moyens de communication qui existent actuellement permettent la mise en ligne très simplement et très rapidement de milliers d'images et de documents textes, sans qu'il soit d'ailleurs toujours possible d'identifier le propriétaire du site hébergeant les données.

De plus, comme nous l'avons vu plus haut, il est toujours préférable que la réutilisation soit encouragée dans le domaine de la science et de l'éducation, afin de faire avancer les recherches dans quelque domaine que ce soit.

Parallèlement à ce but d'intérêt général, il faut également considérer que, à une époque à laquelle la société de l'information est omniprésente, il ne saurait être envisageable d'espérer contenir éternellement les demandes de toutes les sociétés privées, qu'il s'agisse de généalogistes bien intentionnés ou de grosses sociétés américaines dont le principal objectif est la mise en ligne de la totalité de l'état civil. Sans doute faudrait-il penser à un partenariat entre les établissements d'archives et les sociétés privées souhaitant commercialiser les données. Mais cet idéal souffrirait quelques problèmes : la gratuité de l'accès. L'accès étant gratuit dans les établissements d'archives depuis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, on imagine mal comment l'Etat pourrait envisager d'en faire quelque chose de payant, totalement soumis à la gestion et au contrôle de sociétés privées. Allons-nous vers une privatisation des établissements d'archives ? Que deviendra le rôle des administrations d'archives : un rôle unique de conservation des documents originaux, dont la numérisation circulera désormais librement sur la toile, afin d'éviter à chacun de se déplacer jusque dans les salles de lecture pour consulter les documents originaux et en solliciter une copie ?

Une poussée émanant des groupements privés

Les premiers à avoir sollicité un droit à réutilisation sont les groupements privés, et notamment les généalogistes, dont l'activité principale consiste à effectuer des recherches de généalogique pour le compte des particuliers ou encore à mettre à disposition de ceux-ci les éléments leur permettant de rechercher eux-mêmes les traces de leurs ancêtres. Pour cela, les cabinets de généalogie pratiquent des tarifs de consultation ou d'accès aux bases qu'ils mettent à disposition sur leurs sites Internet, sans pour autant reverser de redevance aux services publics d'archives qui ont une mission semblable, bien que moins poussée. Les Archives départementales sont donc largement sollicitées, notamment depuis les récentes déclarations de hauts fonctionnaires incitant les généalogistes à réutiliser les données de l'Etat civil et depuis l'annonce qui leur a été faite de la prochaine mise en place de règles visant à encadrer la réutilisation. Certains cabinets dépêchent chaque jour dans les salles de lecture leurs employés afin de photographier par eux-mêmes les données de l'Etat civil, avant que cela ne soit soumis à autorisation, au grand désarroi des archivistes départementaux et communaux.

D'autre part, une grande entreprise fait beaucoup parler d'elle depuis quelques mois dans le milieu de l'édition de manière générale, et dans le milieu archivistique en particulier. Il s'agit de Google Books, qui insiste pour mettre en ligne les inventaires, notamment ceux des Archives nationales. L'affaire est la suivante : en 2005, un recours collectif a été formé par des auteurs et éditeurs américains à l'encontre de Google pour violation des droits d'auteur. Ce recours s'est soldé en octobre 2008 par la signature d'un accord amiable. La validation de cet accord par le juge devait avoir lieu en juin dernier, mais a été repoussée au mois d'octobre 2009 : il s'agit pour ces sociétés d'auteurs d'obtenir 125 millions de dollars contre leur autorisation tacite (« opt-out ») de laisser leurs oeuvres accessibles en ligne sur le site Internet, libre aux titulaires de droits qui le souhaitent, de manifester explicitement leur sortie du règlement et de s'enregistrer avant septembre 2009 pour toucher une indemnité forfaitaire de 60 dollars par ouvrage. Cet accord traverse les frontières parce qu'il a vocation à s'appliquer par le jeu des conventions internationales : il s'applique donc aux oeuvres françaises qui sont accessibles sur la toile depuis les ordinateurs présents sur le sol américain. L'enjeu est le suivant : en l'absence de refus explicite des établissements d'archives d'adhérer au règlement, les inventaires numérisés des archives réalisés par le personnel dans le cadre de la mission de conservation et de valorisation des fonds resteront en ligne, mais seuls des extraits seront affichés. Pour ceux qui confirmeront explicitement leur adhésion au règlement, Google propose de commercialiser les versions numériques des ouvrages qui deviennent alors des e-books, et de reverser aux titulaires des droits 63% des recettes.

La position de la DAF sur la question semble être d'inciter les administrations sous sa tutelle à rester sous le régime du règlement sans pour autant se manifester.

En tout état de cause, à moins que les administrations françaises d'archives ne se dotent rapidement de cadres juridiques opposables à tous les organismes qui sollicitent une réutilisation commerciale, il semble impossible de parvenir à interdire la diffusion des contenus culturels autrement que sur le fondement des droits patrimoniaux d'auteur, ce qui ne sera pas simple s'agissant des oeuvres collectives réalisées dans le cadre de l'exécution de la mission de service public.

Un mouvement émanant des administrations

Parallèlement à cette «  poussée » des intérêts privés, on constate à la fois un découragement de certaines administrations face au phénomène de réutilisation et un désir d'autres administrations de favoriser la réutilisation commerciale en patrimonialisant la donnée d'archives.

Au titre des administrations qui encouragent la réutilisation et souhaitent en tirer profit, on compte les Archives départementales, qui n'ont reçu jusqu'alors aucune recommandation générale de la part de la DAF. Certaines d'entre elles, comme les Archives départementales de la Haute-Garonne, font le choix de vendre des CD et des DVD de l'Etat civil français, chaque support contenant des archives ordonnées par commune. Toute personne peut donc librement accéder à la totalité des informations et la réutiliser à sa guise, sans qu'aucune information relative à l'usage qu'elle souhaite en faire ne lui soit demandée.

Autre exemple d'organe parapublic : l'APIE, créée spécifiquement en 2007 pour promouvoir la réutilisation et « favoriser la valorisation des actifs immatériels de l'Etat et de ses établissements publics ». Cette valorisation passe ainsi par l'optimisation de la gestion du patrimoine immatériel de l'Etat, d'une part pour les personnes publiques qui souhaitent créer des cadres pour la réutilisation des données publiques, et d'autre part pour les usagers du service public qui auront accès à partir de fin 2010 à un portail unique d'accès aux informations publiques réutilisables.

* 18 Cela relève de la mission des établissements d'archives, qui sont essentiellement, comme exposé en introduction, des collectivités territoriales ou bien des services à compétence nationale relevant de directions du ministère de la Culture et de la Communication, et n'ont donc pas vocation à faire de profits à partir de leur activité.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon