2. Les conséquences de l'article 11 instaurant
une dérogation aux règles légales de
réutilisation
a) Le droit pour les établissements de fixer
eux-mêmes leur propre régime de réutilisation
La dérogation au droit commun pour les
établissements ou les services conservant des archives
La CADA n'ayant qu'un rôle de conseil et n'ayant pas
vocation à prononcer des décisions ayant force exécutoire,
aucun acte ne permettait jusqu'alors d'établir que les archives
relevaient de l' « exception culturelle ».
Le ministère de la Culture et de la Communication a
confirmé dans une note du 9 juillet 2009 les dispositions de l'article
11 de la loi de 1978, et a clairement désigné les archives au
titre des établissements faisant exception aux règles du chapitre
II. Cette circulaire se présente sous la forme d'une note qui rappelle
le régime juridique de la réutilisation tel qu'il est
envisagé dans la loi de 1978, qui présente également les
enjeux de la réutilisation pour la culture et qui dresse la liste des
obligations à la charge des différentes directions du
ministère (rédaction et mise en ligne d'un répertoire des
données publiques, nomination d'un responsable chargé de ces
questions, obligation de mettre en place des licences). Le document contient
également un modèle de contrat de licence préparé
par l'APIE, ce modèle n'étant pour autant pas valable pour les
établissements faisant dérogation au droit commun de la
réutilisation.
Les établissements d'archives ainsi visés sont
donc confortés dans l'idée qu'ils sont libre de fixer
eux-mêmes leurs propres règles, néanmoins, aucun
modèle d'acte ni aucune procédure ne leur est proposée.
Les conséquences : les établissements et
services culturels peuvent créer et utiliser eux-mêmes leurs
propres règles en matière de réutilisation.
Il est possible de retirer deux conséquences de cette
non-applicabilité des règles du chapitre II de la loi de 1978.
La conséquence première de cette reconnaissance
d'un régime dérogatoire au droit commun est qu'aucune des
règles du chapitre II n'étant obligatoirement applicable, on
pourrait très bien considérer, par exemple, que l'échange
de documents entre deux établissements culturels relevant du
régime dérogatoire soit qualifié de réutilisation,
et faire ainsi payer toute réutilisation effectuée entre
établissements dans le cadre de la préparation d'expositions ou
d'ouvrages.
De même, aucune des prescriptions protectrices
énoncées par les articles 10 à 18 n'est rendue obligatoire
ou ne fait actuellement l'objet de préconisations spécifiques
émanant du ministère. Or, dans un souci d'harmonisation des
pratiques et de déontologie culturelle, il eût été
sans doute préférable de définir un régime
spécial pour les établissements dérogeant au droit commun,
notamment une base juridique similaire, à défaut de parvenir
à un régime unique.
Enfin, il n'est pas de possibilité pour un
établissement culturel qui en ferait la demande, de se voir
rattaché au régime légal : il ne s'agit donc pas d'un
choix d'entrer ou non dans le régime dérogatoire. Ces
établissements sont donc laissés à leur propre sort, et ne
pourront dès lors que s'inspirer des règles de la loi de 1978, ou
inventer leurs propres règles, à défaut de directives
émanant du ministère.
La seconde conséquence avait, quant à elle,
d'ores et déjà été énoncée par la
CADA dans son avis du 31 juillet 2008, et s'analyse en une liberté
totale pour les établissements d'archives, de préparer leur
propre système de régulation en matière de
réutilisation des données publiques.
Néanmoins, la CADA rappelait à l'époque
que tout service visé par l'article 11 se devait de respecter
« d'une part, des dispositions législatives et
réglementaires en vigueur, notamment la loi du 6 janvier 1978 en ce qui
concerne les données à caractère personnel et le code de
la propriété intellectuelle, et, d'autre part, des principes
généraux du droit (en particulier, le principe
d'égalité devant le service public) et des règles
dégagées par le juge, notamment en matière de fixation des
redevances de réutilisation. »
b) La possible remise en cause de l'existence du régime
dérogatoire pour les établissements culturels
En 2008, le groupe américain The Generations Network
Inc., qui détient la marque Ancestry permettant aux internautes
d'effectuer des recherches généalogiques et d'accéder
à des documents d'archives moyennant le paiement d'un abonnement, a
adressé une requête à la Commission européenne afin
d'obtenir la révision de la directive de 2003.
En effet, le groupe estime que les sociétés de
généalogie subissent un véritable préjudice en
France du fait de l'interprétation qui a été faite de la
directive dans l'ordonnance de transposition de 2005, à savoir le choix
de restreindre l'applicabilité de la directive et de faire entrer les
données publiques conservées par les établissements
d'archives dans le champ du régime dérogatoire.
Le problème se pose essentiellement pour les registres
d'Etat civil et les registres paroissiaux, qui constituent la source
nécessaire à l'exercice de l'activité d'Ancestry. La
France estime en effet que les données relatives à la
généalogie, dont font partie ces registres, sont des
données culturelles et sont ainsi exclues du champ d'application des
textes relatifs à la réutilisation des données, de sorte
que les établissements d'archives sont fondés à choisir
d'autoriser ou non leur réutilisation commerciale par les cabinets de
généalogie. Or la directive dispose que « les documents
détenus par des établissements culturels, et notamment par [...]
des archives [...], sont exclus du champ d'application de la
directive ». Les autorités françaises « ne
semblent pas vouloir opérer de distinction entre la notion de seule
« détention » (qui induit une notion de garde) de
documents administratifs par des établissements dits culturels et la
notion de « protection » nécessaire de biens
culturels bénéficiant d'une protection au titre de la
propriété intellectuelle. » La société
rappelle que ces données sont conservées par les services
d'archives, qu'elles ne sont pas produites par eux mais par d'autres
administration, et notamment par des officiers de l'Etat civil, et qu'elles
n'ont dès lors aucun caractère culturel, sinon un
caractère purement administratif. Or les données administratives
sont librement réutilisables au sens de la directive, et les cabinets de
généalogie devraient être libres de pouvoir
réutiliser ces données, comme elles y sont autorisées dans
les autres états de l'Union Européenne.
En outre, la société considère que les
établissements d'archives ne devraient pas recevoir l'appellation
d'établissements culturels, dans la mesure où, même s'ils
sont d'un point de vue hiérarchique reliés au ministère de
la Culture et de la Communication, et si le personnel qui les gère est
nommé par ce ministère, il n'en reste pas moins qu'ils sont
financés par les collectivités territoriales, d'après
l'article L.212-8 du Code du patrimoine.
La société a donc demandé à la
Commission européenne de revoir les dispositions de la directive, et
propose que « les exceptions à l'application de la directive
ne soient fondées que sur le contenu », afin de faire rentrer
dans le champ de la réutilisation telle qu'elle est régie par la
directive de 2003 les données détenues par les
établissements culturels, et notamment les services d'archives, ce qui
équivaut à la suppression de l' « exception
culturelle ».
Mais dans une communication au Parlement européen, au
Conseil, au Comité économique et social européen et au
Comité des régions du 7 mai 2009, la Commission a
décidé de ne pas suivre les propositions de la
société américaine et de ne pas réviser la
directive de 2003 comme elle était censée le faire trois ans
après son entrée en vigueur, repoussant ainsi
l'échéance à 2012, afin d'avoir une meilleure
visibilité des résultats de la mise en oeuvre des politiques en
matière de réutilisation au niveau de l'ensemble des
états.
L'absence de réaction de la part de la Commission quant
aux arguments de fond soulevés par la société
américaine de généalogie risque d'être
problématique à terme pour les services d'archives qui auront mis
en oeuvre, d'ici 2012, des systèmes visant à réguler la
réutilisation des données publiques culturelles. Si la Commission
décide d'étendre le champ d'application de la directive à
ces données, il faudra alors revoir à la fois la politique de ces
établissements, mais également les procédures et les
documents accordant une licence de réutilisation. D'un point de vue
purement juridique, on ne peut donc que recommander de suivre
précisément les formalités prescrites par l'ordonnance de
2005 et son décret d'application de la même année pour le
régime général, tout en se réservant la
possibilité d'accéder ou non aux demandes de réutilisation
en provenance des cabinets de généalogie, pour des raisons
touchant non pas à la qualité du demandeur, mais à la
qualité de la demande et à celle des données
considérées, ainsi qu'à la nature de la mission
exercée par les établissements d'archives, par comparaison avec
celle proposée par les sociétés privées de
généalogie.
Une fois posé le principe d'applicabilité du
régime dérogatoire à la loi de 1978, les
établissements d'archives doivent en tirer les conséquences,
à savoir élaborer des systèmes politico juridiques qui
leur garantissent très rapidement une optimisation dans la gestion de
leur patrimoine matériel comme immatériel.
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