La réutilisation des données publiques en droit des archives( Télécharger le fichier original )par Mylène THISEAU Université Paris XI, Faculté Jean Monnet - Master 2 Droit du patrimoine culturel 2009 |
I Le statut des archives au regard du régime de réutilisation des données publiques prévu par l'ordonnance du 6 juin 2005 modifiant la loi « CADA » du 17 juillet 1978La loi de 1978 pose un cadre général destiné à limiter les abus en matière de réutilisation des données publiques. Avant de s'intéresser au champ d'application de ces dispositions, et de voir comment les archives françaises4(*) se positionnent juridiquement vis-à-vis de ce nouveau régime (B.), il convient de s'intéresser à ce que recouvre cette notion de réutilisation des données publiques tant dans le régime de droit commun que dans le régime dérogatoire (A.).
Le régime proposé par la loi de 1978 est défini d'une manière relativement large : il pose un principe de liberté de réutilisation à destination des usagers du service public, mais ne définit ni ce qu'il entend par réutilisation ni le type de documents qui peuvent faire l'objet de réutilisation.
a) Les données publiques figurant dans les documents administratifs L'article 10 de la loi de 1978 dispose que « les informations figurant dans des documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l'article 1er, quel que soit le support », peuvent faire l'objet de réutilisation, et donc être soumis aux dispositions de cette même loi. Le législateur n'a donc pas donné directement de définition de l'objet de la réutilisation. La notion de document administratif L'article 1er de la loi est intégré au chapitre relatif à la liberté d'accès aux documents administratifs, et précise depuis 2005 en son 2e alinéa que « sont considérés comme documents administratifs, au sens des chapitres Ier, III et IV du présent titre [...] les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. » Le 3e alinéa a pour origine la première version de la loi de 1978. Il donne une liste non exhaustive de documents répondant à cette définition : « les dossiers, les rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, statistiques, directives, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions et décisions ». On remarquera que cet article n'entendait pas à l'origine s'appliquer aux dispositions du chapitre II relatif à la réutilisation. Faut-il y voir ici l'intention délibérée du législateur de laisser le soin à une autre loi de fixer une définition des documents administratifs qui soit applicable en matière de réutilisation ? S'il n'existe pas de réponse claire à cette question, on peut toutefois déduire de ces deux articles, que la définition des documents administratifs n'a pas été exposée pour le régime applicable à la réutilisation. Le seul renvoi qui soit fait depuis l'article 10 à l'article 1er est relatif aux types d'administrations concernées par la réutilisation, de sorte que peuvent faire l'objet de réutilisation : les informations figurant dans des documents produits ou reçus par l'Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d'une telle mission. Or cette définition est bien celle énoncée à l'article 1er pour désigner les documents administratifs. On se demande donc pourquoi le législateur n'a pas entendu étendre ses dispositions et attribuer la qualification de « documents administratifs » aux « documents produits ou reçus par les administrations mentionnées à l'article 1er ». Finalement, on constate que le seul apport de l'ordonnance de 2005 réside dans le terme d' « information figurant dans un document ». La directive de 2003 définit le document administratif de manière extrêmement large comme étant l' « ensemble des informations produites par des administrations au sens large du terme ». Cela restreint ainsi le type de documents concernés : ne seraient considérés comme document administratif que les documents produits par les administrations, et non les documents reçus. Cette définition à première vue trop large serait en fait bien plus restrictive et bien plus adaptée à la notion de document administratif que ne l'est notre définition française. En outre, l'alinéa 2 de l'article 10 de la loi de 1978 ajoute un critère supplémentaire à la qualification de document administratif : celui du caractère public de l'information contenue dans le document. La notion d'information publique Les informations figurant dans des documents administratifs sont-elles forcément publiques ? A priori, tel ne serait pas le cas, puisqu'il pourrait s'agir d'un document reçu par une personne publique dans le cadre de l'exercice de sa mission de service public, par exemple une facture de téléphone transmise par un particulier à une administration pour justifier de son domicile. Le montant de la facture du particulier est une information figurant dans un document reçu par la personne publique. Pour autant ce n'est pas une information publique. Ce qui fera la différence ici, c'est bien le caractère communicable ou non de l'information, le fait qu'il s'agisse d'une donnée personnelle relative à l'administré lui-même, et sans rapport avec l'exercice de la mission de service public. Si le document en lui-même peut être considéré comme un document administratif au sens de cette loi, puisque conservé par l'administration et perçu à l'occasion de sa mission de service public, l'information qui s'y trouve n'est pas pour autant une information publique. Le caractère public mis à part, il reste une question de vocabulaire quant au terme d' « information » publique. En effet, il faut ici observer la diffusion d'un usage parmi les professionnels, qui consiste à attribuer le vocable de « donnée publique » à ce que le législateur a entendu désigner comme « information publique ». Pourtant, le terme de « donnée publique » est apparu pour la première fois dans une circulaire du 14 février 1994 relative à la diffusion des données publiques et est défini ainsi : « Par « donnée », on pourrait entendre, au sens étroit du terme, une information formatée pour être traitée par un système informatique. Elle sera entendue ici au sens large d'information collectée ou produite sur n'importe quel support, pas seulement informatique. [...] Une distinction doit être faite entre données brutes et données élaborées : - les données brutes élémentaires, sans mise en forme originale, ne sont en principe la propriété de personne ; - en revanche, la valeur ajoutée par l'administration est susceptible d'appropriation intellectuelle. Elle peut alors en céder l'usage dans les conditions prévues par la législation sur la propriété intellectuelle. »
La notion de donnée publique a donc évolué depuis 1994 pour laisser place à celle d'information publique : les « données brutes » correspondent à la définition actuelle des données, tandis que les « données élaborées » correspondent à une définition se rapprochant de celle des informations. En effet, il est possible de considérer que la donnée est un fait brut, un matériau de base qui sert à l'élaboration d'une information, l'information étant plutôt un ensemble de données retravaillées de manière logique afin de transmettre un message ou de donner des éléments de compréhension. Si l'on se fonde sur ces définitions, l'information publique serait déjà le fruit d'une réutilisation, et le législateur n'entendrait pas régir la réutilisation des données brutes, mais seulement celle des données élaborées, c'est-à-dire des informations publiques. Ainsi, selon ces acceptions, la réutilisation des données serait libre, tandis que la réutilisation des informations serait encadrée par la loi ou par un système juridique mis en place au sein de tout établissement, en raison de la plus-value qu'elles portent. Appliqué au domaine des archives, il paraît difficile de considérer que données comme informations puissent suivre un régime différent. Par exemple, une reproduction d'une carte postale ancienne représentant un simple bâtiment pourrait être considérée comme une donnée brute, tandis que son association avec le cartouche qui l'accompagne et qui en indique le photographe, la date, les dimensions ainsi que la cote, lui donnerait alors le caractère d'information. Or il paraît aujourd'hui inconcevable d'autoriser la diffusion d'une image sans indication complémentaire de son origine ou de son objet. On peut donc difficilement appliquer cette distinction en matière d'archives. b) Les dispositions spécifiques quant au contenu des documents administratifs L'article 10 de la loi de 1978 pose des conditions complémentaires pour la validité de la réutilisation, touchant au type de contenu des informations publiques. Communicabilité du document, données sensibles et données personnelles Dans la mesure où les documents susceptibles d'être réutilisés doivent être obligatoirement communicables à tous, les critères de réutilisation intègrent ceux de communicabilité des documents prévus par l'article L.213-1 du Code du patrimoine. Ainsi, un document dont la communication a été accordée par autorisation ou par dérogation prévue à l'article L.213-3 du même code, ou encore un document considéré comme contenant des données sensibles ne permettant pas sa communication, ne peut être réutilisé, sauf si ce document a d'ores et déjà fait l'objet d'une diffusion publique. De plus, la directive énonce que les règles de réutilisation doivent respecter celles concernant l'accès et la réutilisation des données personnelles, c'est-à-dire les dispositions de notre loi CNIL, qui dispose que la personne dont le nom ou dont les données qui la concernent vont être réutilisées doit donner son accord si l'utilisation envisagée diffère de celle pour laquelle il avait donné ces informations. L'article 13 de la loi de 1978 ajoute également la possibilité de réutiliser les documents contenant des données personnelles dès lors que l'administration a pu rendre ces données anonymes ou si une disposition législative ou règlementaire le permet. Les coûts d'anonymisation des documents pourront alors être pris en compte dans le calcul de la redevance due par la personne qui sollicite la réutilisation. Droits de propriété intellectuelle En vertu des dispositions de l'article 10 alinéa 2, ne peuvent faire l'objet de réutilisation les informations contenues dans des documents sur lesquels des tiers détiennent des droits de propriété intellectuelle. Certains documents d'archives sont en effet concernés par le droit d'auteur : c'est le cas notamment des photographies, des plans d'architecture ou encore des partitions ou des textes littéraires. La propriété littéraire et artistique leur attribue le qualificatif d'oeuvre de l'esprit, c'est pourquoi elle entend protéger le fruit de l'apport intellectuel personnel de tout auteur d'une oeuvre dans le délai de 70 ans après sa mort. Aussi, pour éviter que ne soit détournée la rémunération des droits d'auteur, le législateur préfère écarter d'emblée les documents sur lesquels des tiers seraient encore susceptibles de percevoir des droits.
L'article 10 de la loi de 1978 autorise toute personne à réutiliser des données dans les limites fixées par la loi aux articles suivants, sous le contrôle de la CADA qui traitera les litiges afférents à la réutilisation. a) Le principe de la « libre utilisation encadrée » des données publiques Avant d'étudier ce principe de libre utilisation soumise au respect des règles établies à la fois par les dispositions de la loi de 1978 et par les administrations elles-mêmes, il faut encore pouvoir définir précisément ce qu'on désigne comme étant de la réutilisation. Définition de la réutilisation Ni la loi de 1978 ni les ordonnances de 2005 ou de 2009 n'ont donné de définition claire de ce que recouvre la notion de « réutilisation ». Néanmoins, quelques pistes nous permettent de déterminer les conditions qui caractérisent la réutilisation. Ainsi, l'article 10 de la loi de 1978 vise l'utilisation faite « à d'autres fins que celles de la mission de service public pour les besoins de laquelle les documents ont été produits ou reçus », tandis que la circulaire de 1994 établissait que « la diffusion des données publiques doit s'entendre, au sens large, comme la communication au public de données publiques, quel qu'en soit le support, résultant de l'activité d'une personne publique (administration, service, organisme ou établissement public) ». La réutilisation s'entendrait donc comme l'utilisation faite sur tout support par un usager du service public des données dont il a obtenu communication, et ce, dans un cadre public ou privé, mais qui ne corresponde pas à l'exacte mission du service producteur ou conservateur des données. N'est donc pas considérée comme de la réutilisation la demande d'une copie d'un acte de naturalisation pour faire valoir un droit devant une administration, dès lors que cette prestation de l'administration répond à sa mission de service public. Et n'est pas non plus considéré comme un acte de réutilisation l'échange d'information entre administrations dans le cadre de leur mission de service public. Par ailleurs, la CADA a précisé qu'il fallait établir une distinction entre réutilisation et diffusion. En effet, l'insertion, sans commentaire ni ajout, en accès libre et gratuit, constitue une diffusion et non une réutilisation.5(*) Cette distinction serait également fondée sur celle entre donnée brute et donnée élaborée (que nous appelons aujourd'hui information). Aussi, la réaction des établissements d'archives n'est pas de faire officiellement une distinction entre diffusion et réutilisation, même si cette distinction apparaît clairement dans leur volonté d'autoriser systématiquement la reprise par les chercheurs de données dans le cadre de leur thèse par exemple à des fins d'illustration de leurs propos, et de refuser la « diffusion » commerciale par des groupements privés. Principe de la liberté de réutilisation L'article 10 dans sa rédaction entre 1978 et 2005 disposait que : « [...] L'exercice du droit à la communication institué par le présent titre exclut, pour ses bénéficiaires ou pour les tiers, la possibilité de reproduire, de diffuser ou d'utiliser à des fins commerciales les documents communiqués ». Il s'agissait donc d'une interdiction globale de réutiliser les données publiques obtenues par communication. Mais les services pouvaient toutefois autoriser la diffusion des données s'ils le désiraient, tout en sortant du champ d'application de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ce qui leur permettait de conserver un monopole et donc un contrôle sur la circulation des données. Or, ce principe restrictif allait contre l'idée, héritée de la logique du droit d'auteur, selon laquelle lorsqu'une oeuvre tombe dans le domaine public, les droits patrimoniaux s'éteignent, et la numérisation d'une oeuvre ne faisant naître aucune nouvelle oeuvre et aucun droit d'auteur, il paraît difficilement concevable que quiconque puisse continuer à percevoir des droits sur cette oeuvre sur quelque fondement que ce soit. Aujourd'hui, le premier alinéa du nouvel article 10, par l'emploi du verbe « pouvoir », pose un principe de liberté de réutilisation, contrairement à ce que prévoyaient les dispositions de la circulaire de 1994. Le principe a donc été inversé et passe de l'interdiction générale avec possibilité de diffuser sur décision des services, à la liberté générale avec possibilité d'encadrer les usages faits par les demandeurs dans des documents préalablement publiés et mis à la disposition de tous. Ces modalités de réutilisation ont été précisées par l'ordonnance de 2005 et ont vocation à s'appliquer à toutes les administrations, sauf celles mentionnées à l'article 11, qui peuvent établir leurs propres règles de réutilisation et les imposer aux administrés. b) Le rôle de la CADA en matière de réutilisation La CADA est une autorité administrative indépendante qui exerce un rôle consultatif obligatoire dans tous les litiges relatifs à la réutilisation des informations publiques, préalablement à un recours contentieux devant le tribunal administratif. De manière générale, l'article 20 du chapitre III de la loi de 1978 confère à la CADA une compétence pour veiller à l'application des règles du chapitre II. Les articles 18 et 22 viennent compléter cette disposition en donnant compétence à la CADA pour infliger à l'auteur d'une infraction aux prescriptions du chapitre II les sanctions prévues par l'article 18. Un rôle d'interprétation La CADA exerce un rôle d'interprétation et de conseil auprès des collectivités territoriales la plupart du temps, sur le point de savoir si une information peut être réutilisable ou non en vertu des dispositions du chapitre II. Elle vérifie donc si les informations sont communicables ou si elles ont fait l'objet d'une diffusion publique, si elles ont été élaborées dans l'exercice d'une mission de service public à caractère industriel et commercial, ou si elles sont grevées de droits de propriété intellectuelle. Un rôle de sanction La CADA est compétente pour prononcer les sanctions prévues à l'article 18 de la loi de 1978 en matière de réutilisation frauduleuse. Ces sanctions s'appliquent donc aux utilisateurs, personnes morales ou personnes publiques, qui ne respecteraient pas les conditions de réutilisation fixées par les dispositions du chapitre II ou par les dispositions règlementaires mises en place directement par les administrations. Mais peut-on imaginer qu'un établissement soit sanctionné pour n'avoir pas mis en place de système d'encadrement de la réutilisation ? Dans la pratique, le cas ne semble pas se poser, dans la mesure où les administrations centrales, en collaboration avec l'APIE, ont mis en place depuis peu des licences-types ainsi que des répertoires des informations publiques réutilisables. La question ne se pose donc que pour les administrations qui ont un statut particulier en vertu des dispositions de l'article 11 de la loi de 1978 : les établissements scientifiques et les établissements culturels. Pour ce qui concerne les établissements culturels, le mouvement est en cours. Le Ministère vient de demander aux services sous sa tutelle de lui faire part de l'état d'avancement des modes de régulation ou d'encouragement de la réutilisation, mais aucune sanction ne semble prévue pour un établissement qui refuserait de se plier aux exigences du Ministère, dans la mesure où cela reste difficilement concevable d'un point de vue purement politique. La seule sanction qui atteint actuellement les établissements d'archives notamment, serait celle qui découle du défaut d'encadrement de la réutilisation, ce qui équivaut à l'ouverture totale des informations publiques à toute personne qui souhaiterait diffuser des données sans pour autant avoir à le déclarer, dès lors qu'aucune procédure n'est prévue pour ce faire. La sanction serait donc un manque à gagner certain pour les établissements, qui n'ont dès lors aucun intérêt à refuser de prendre des mesures. Or, la CADA n'étant compétente que pour appliquer les dispositions de la loi de 1978 et l'article 10 prévoyant un principe de « libre réutilisation encadrée », si aucun cadre n'est prévu, elle ne pourra trouver de fondement juridique qui ferait cesser la réutilisation, sauf à démontrer que l'objet de la réutilisation n'est pas considéré comme une information publique et ne peut donc être librement réutilisable6(*). Enfin, la CADA, qui n'a compétence que pour interpréter et faire appliquer les dispositions du chapitre II, devient incompétente en matière de réutilisation des informations publiques lorsqu'il s'agit de se prononcer sur la réutilisation des informations publiques des établissements visés à l'article 11. B. L'application du régime dérogatoire de l'ordonnance du 6 juin 2005 aux établissements et services d'archivesLe régime de la réutilisation des données publiques est défini au chapitre II de la loi du 17 juillet 1978 dite « loi CADA », telle que modifiée par l'ordonnance du 6 juin 2005 transposant en droit français la directive communautaire du 17 novembre 2003. Certaines dispositions de cette directive formulent l'expression de la volonté française d'instaurer un régime dérogatoire au principe de liberté de réutilisation au bénéfice de certains établissements. L'objet de ces développements sera de définir les fondements juridiques ainsi que les règles principales présidant à la reconnaissance du statut dérogatoire des établissements d'archives. 1. Les fondements juridiques présidant à la reconnaissance d'une « exception culturelle » pour les établissements et services d'archivesL'ordonnance du 6 juin 2005 insérant l'article 10 aux dispositions de la loi de 1978 pose pour principe que toute personne peut utiliser les données publiques sans avoir à solliciter l'autorisation de l'administration. La réutilisation est donc libre tant que l'administration ne met pas en place de système juridique pour la limiter. L'article 10 indique ensuite que les modalités de la réutilisation sont prévues par les dispositions du chapitre II de cette même loi, tandis que l'article suivant vient préciser que ce régime légal ne s'applique pas à tous les établissements. a) Les fondements du régime dérogatoire appelé à tort « exception culturelle » Les origines communautaires du régime dérogatoire La directive communautaire du 17 novembre 2003 a soulevé de nombreux débats, non pas dans son interprétation, mais dans sa transposition, puisqu'il apparaissait clairement qu'il serait proposé aux états membres deux régimes : l'un étant le régime commun, s'appliquant à tous les domaines du droit de la réutilisation, l'autre étant réduit à un article faisant sortir du régime commun certains types d'établissements listés. L'article 1er 2. e) et f) de la directive dispose ainsi que la directive ne s'applique pas « aux documents détenus par des établissements d'enseignement et de recherche, et notamment par des écoles, des universités, des archives, des bibliothèques, des instituts de recherche [...] », ni « aux documents détenus par des établissements culturels, et notamment par des musées, des bibliothèques, des archives, des orchestres, des opéras, des ballets et des théâtres ». Or, les Etats membres n'ont pas tous fait le choix de transposer l'intégralité du texte. En France, au terme de nombreux débats, il fut décidé la rédaction d'un article7(*) disposant que certaines administrations peuvent prévoir elles-mêmes les modalités de réutilisation des informations et des documents qu'elles produisent ou reçoivent, c'est le cas des établissements et institutions d'enseignement et de recherche et des établissements, organismes ou services culturels. Les grandes « exceptions » prévues par la directive ont donc été reprises dans leur principe, mais de manière très générale, sans qu'il soit donné de liste ou de définition renvoyant aux établissements concernés par les a) et b) de l'article 11 de la loi de 1978. Une telle restriction dans les termes utilisés est difficilement compréhensible, dans la mesure où cette « exception culturelle » dont parlent les auteurs et commentateurs a pourtant été voulue par la France, afin d'obtenir un renforcement de la protection du patrimoine culturel français en permettant aux administrations de statuer elles-mêmes sur leur régime. La notion d' « exception culturelle » Avant d'aller plus loin dans les développements concernant les fondements juridiques du régime français de réutilisation, il nous faut apporter quelques précisions quant à la notion d' « exception culturelle » largement utilisée dans la pratique. Dans le contexte de la réutilisation, c'est le fait pour un établissement, un organisme ou un service culturel ayant pour mission de conserver, de diffuser, de produire ou de transmettre des informations publiques à caractère culturel, de faire exception au principe posé par l'article 10 de la loi de 1978 et dans tout le chapitre II de cette même loi, et de déroger à ce régime général de réutilisation des informations publiques. La notion d' « exception culturelle » n'est donc pas appropriée en droit pour désigner ce régime dérogatoire, notamment au vu de la définition d' « exception » en droit français8(*) ; mais elle connaît beaucoup de succès en raison de l'importance du concept auquel elle renvoie. En effet, souvent rattachée à cette spécificité française de s'opposer à des idées communautaires ou internationales en brandissant ses héritages culturels, ses valeurs, qui font toute la richesse de la France, l' « exception culturelle » est considérée par certains comme étant « une politique qui consiste à tenir la production culturelle à l'abri des seules lois du marché et à affirmer le droit des États d'établir des mécanismes d'aide pour que leur culture trouve sa place sur la planète, même si ces mécanismes doivent entraver la libre concurrence »9(*), la France défendant ainsi « la possibilité de sortir la culture du champ des négociations commerciales ». b) La consécration jurisprudentielle du régime dérogatoire dans les établissements d'archives S'il est certain depuis 2005 que les établissements culturels peuvent bénéficier du régime dérogatoire en vertu des dispositions communautaires et françaises, il faut encore savoir si les établissements d'archives entrent dans cette « exception culturelle », puisqu'ils ne sont pas directement visés par les textes français comme tels. La réutilisation dans les SDAF Dans un avis n°20082643 « Président du Conseil Général de la Loire » du 31/07/2008, la CADA s'est prononcée sur le point de savoir si un SDAF pouvait rentrer dans le cadre de l'article 11. Elle a donc visé l'article 11 de la loi du 17 juillet 1978 modifiée par l'ordonnance du 6 juin 2005 ainsi que l'article 1er 2. e) et f) de la directive européenne 2003/98/CE du 17 novembre 2003, dont elle a déduit que les établissements, organismes ou services culturels comprennent les archives. Et elle en a conclu que les réglementations en matière de réutilisation sont fixées par l'administration elle-même, si c'est un service d'archives créé dans un but pédagogique, culturel ou de recherche ou exerçant à titre principal une telle mission ; mais qu'elles relèvent du droit commun et ne peuvent être fixées par l'administration elle-même, si c'est un service dit d'archives créé pour les besoins opérationnels d'une administration et qui conserve en particulier des « archives courantes ». Après avoir établi cette distinction, la CADA a utilisé un faisceau d'indices afin d'apprécier le caractère dérogatoire du SDAF, et a entendu le faire entrer dans la catégorie des organismes créés « en vue de la mise en valeur du patrimoine archivistique » qu'ils détiennent, lequel comprend en particulier les « archives définitives » définies par l'article 14 du décret du 3 décembre 1979 relatif à la compétence des services d'archives publics et à la coopération entre les administrations pour la collecte, la conservation et la communication des archives publiques10(*). Il est donc clair que les SDAF, « de même que les services d'archives des autres collectivités territoriales et de leurs groupements » peuvent déterminer eux-mêmes leurs propres règles en matière de réutilisation. Mais qu'en est-il du reste du réseau des archives ? La définition de la notion d'établissement culturel
Nous nous concentrerons ici sur les établissements d'archives relevant directement du ministère de la Culture et de la Communication et de la DAF. En mai dernier, les Archives nationales ont développé un raisonnement largement inspiré de l'avis de la CADA de juillet 2008. Ainsi, en vertu de l'article 2 de l'arrêté du 24 décembre 2006 érigeant le service Archives nationales en service à compétence nationale, « les Archives nationales ont une mission de mise en valeur du patrimoine archivistique qu'elles détiennent, et n'ont pas été conçues pour les besoins opérationnels spécifiques d'une administration, mais dans le but de rassembler et de conserver des archives définitives. Les Archives nationales sont exclues du champ d'application de la directive du 17 novembre 2003 et de celui du chapitre II du Titre Ier de la loi du 17 juillet 1978. De plus, comme il l'a été relevé dans la décision de la CADA du 31/07/2008, la directive européenne vise directement les archives au titre des établissements culturels ; et dans la mesure où il a été reconnu que le SDAF rentre dans cette catégorie, il en découle que les Archives nationales rentrent également dans cette catégorie, qu'elles dérogent bien au régime de réutilisation prévu au chapitre II de la loi de 1978, et qu'elles peuvent dès lors définir elles-mêmes les règles régissant la réutilisation des informations publiques. » Nous avons vu que les SDAF ainsi que les Archives nationales, qu'il s'agisse des Archives nationales de Paris et Fontainebleau, de celles de Roubaix ou de celles d'Aix-en-Provence, peuvent se voir appliquer un régime spécifique de réutilisation, dès lors que ces services contribuent à la mise en valeur du patrimoine archivistique national. Et si l'on applique cette distinction que pose la CADA entre les établissements créés dans un but pédagogique, culturel ou de recherche, ou exerçant à titre principal une telle mission, et ceux créés pour les besoins opérationnels d'une administration et qui conserve en particulier des « archives courantes », on constate qu'il ressort de l'observation des missions des grandes directions du ministère que la DAF ne conserve que des archives courantes, et qu'elle est donc soumise au régime légal de réutilisation, alors même qu'elle est un établissement culturel. Cela nous amène donc à redéfinir la notion d'établissement, d'organisme et de service culturel, et à supposer ainsi que c'est bien le contenu des documents qui doit être culturel, et non l'objet de la mission de l'établissement ou du service de conservation ou de production de l'archive. De fait, cette distinction a pour conséquence d'ouvrir une première distinction entre les établissements qui conservent des données culturelles, et ceux qui ne conservent que des données relatives au fonctionnement interne, comme par exemple des pièces de marchés publics, des contrats de travail ; et une seconde distinction entre les documents produits et les documents reçus par l'établissement d'archives. En effet, une ordonnance du 29 avril 2009 introduit la notion de document « produit ou reçu » par une administration. Or on imagine mal un établissement ayant pour mission la conservation des archives produire de véritables documents culturels, sauf à considérer que les expositions organisées par les Archives départementales puissent entrer dans cette catégorie, mais dans ce cas il s'agira de documents produits de manière ponctuelle. On peut donc supposer que ce régime dérogatoire ne soit destiné qu'aux établissements conservant du contenu culturel produit par d'autres établissements (ou par eux-mêmes à titre exceptionnel).
* 4 Entendre ici les établissements et les services d'archives. * 5 Avis CADA n°20082716 du 31 juillet 2008 « Maire de Chelles » * 6 Avis CADA n°20091074 du 2 avril 2009 « Maire de Saint-Rémy-sur-Durolle » sur l'affaire « COUTOT-ROEHRIG » * 7 Article 11 de la loi de 1978 modifié par les ordonnances des 6 juin 2005 et 29 avril 2009 : « Par dérogation au présent chapitre, les conditions dans lesquelles les informations peuvent être réutilisées sont fixées, le cas échéant, par les administrations mentionnées aux a et b du présent article lorsqu'elles figurent dans des documents produits ou reçus par : a) des établissements et institutions d'enseignement et de recherche ; b) des établissements, organismes ou services culturels. » * 8 En droit français, une exception est un moyen par lequel le défendeur dénonce l'irrecevabilité de la demande et remet en cause une partie de la procédure afin d'en obtenir la suspension temporaire. * 9 Interview de Catherine TASCA, ministre de la Culture et de la Communication, pour le Figaro Magazine le 15 janvier 2001 * 10 Les archives publiques sont définies à l'article L.211-4 du Code du patrimoine comme étant « les documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ». Ce sont également « les minutes et répertoires des officiers publics ou ministériels ». |
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