Section II : Le déroulement de la
procédure
Le déroulement de la procédure s'ouvre
par la saisine de la Cour. La procédure de l'instruction s'achève
par une audience dans laquelle la Cour prononce provisoirement ou
définitivement un verdict.
Le déroulement de la procédure passe par
trois phases : la reddition des comptes, l'instruction et à la fin
l'audience.
1. La reddition des comptes
L'originalité de la Cour des comptes
réside dans le fait que la production des comptes est obligatoire
même en l'absence de griefs contre la gestion de justiciable.
218
La présentation des comptes n'implique pas de
soupçons sur les justiciables de la Cour des comptes, selon le
président Jacques Magnet il s'agit d'une action sans
demandeur.219
Aux seins des deux Cours des comptes, c'est le
procureur général « le censeur général »,
qui veille à la présentation des comptes dans les délais
réglementaires, il reçoit à intervalles réguliers
le relevé des comptes enregistrés au greffe central de la Cour
des comptes et peut requérir la condamnation des comptables et des
ordonnateurs retardataires à l'amende.220
L'obligation de rendre des comptes de la gestion des
affaires d'autrui est commune au droit public (déclaration des droits de
l'homme, art. 15). La Cour des comptes algérienne par le biais de
l'article 60 de l'ordonnance n° 95-20 suscitée exige du comptable
de déposer son compte de gestion au greffe central de la Cour des
comptes.
L'article 02 du décret exécutif n°
96-56 précité oblige le dépôt de compte au plus tard
le 30 juin de l'année suivant l'exercice budgétaire clos pour
les
216 Mouloud Remli, op. , cit,
p. 233.
217 Jacques Magnet, op. ,
cit, p. 116.
218 Art. L.131.1
CJF.
219 Mouloud Remli, op. , cit,
p. 235.
220 Jacques Magnet, la Cour des comptes, les institutions
associées et les chambres régionales des comptes. 4e
édition, op. , cit, p. 175.
tat et autres institutions ou organismes soumis aux
règles
En droit français, selon l'article 143 du
décret du 29 décembre 1962, les comptables de l'Etat doivent
déposer leurs comptes au greffe de la Cour des comptes avant le 31
juillet de l'année suivant celle au titre de laquelle ils sont
établis, pour les comptables des établissements publics
administratifs avant la fin du mois d'août (art. 187 du décret
précité).
Les comptes de gestion produits par les comptables
doivent être assortis de liasses221 « pièces
justificatives nécessaires à l'examen de l'ensemble des
opérations », (décret du 11 février 1985, art. 25,
premier alinéa).
A l'opposé, la Cour des comptes
algérienne, ne demande pas la production de pièces justificatives
au moment de dépôt du compte auprès du greffe,
néanmoins, elle peut sur sa demande exiger de remettre divers documents
et rapports et procès verbaux selon les articles 64 à 67 de
l'ordonnance n° 95-20 suscitée.
Pour l'exercice du contrôle sur pièces
aucun texte réglementaire retraçant la nomenclature des
pièces justificatives à transmettre à la Cour n'existe.
Chaque chambre de la Cour des comptes algérienne fixe sa propre liste et
demande les pièces qui lui semblent nécessaires au
contrôle. La plupart du temps ces listes non exhaustives et non
unifiées. Cet état de fait, rend le contrôle sur
pièces très complexe pour le magistrat rapporteur et pour le
comptable public.
En revanche, à la Cour des comptes
française, l'inventaire des pièces justificatives à
fournir est précisé par des instructions propres aux
différents services et organismes publics (établissements publics
nationaux administratifs : Inst. M 9-1, II, § 170 ; établissements
publics nationaux industriels et commerciaux : Inst. M 9-5, II, §§ 94
à 96).
Dès lors, le juge des comptes est en droit
d'exiger des comptables toutes les pièces justificatives qui sont
énoncées dans les nomenclatures. Seulement, le juge ne peut
exiger des comptables d'autres pièces justificatives que celles
prévues dans les nomenclatures.
Ainsi, la vue du juge des comptes français peut
être limitée par le contenu donné aux nomenclatures
limitées.222
Ce qui n'est pas le cas pour le magistrat
algérien qui peut réclamer à plusieurs reprises la
production de pièces comptables ou tout autres documents qui lui semble
nécessaire pour exercer son contrôle. De ce fait le magistrat
algérien est plus libre dans son contrôle que son homologue
français qui se retrouve les mains coudées par une
réglementation claire et précise.
221 Pièces justificatives de dépenses et
de recettes, classées et groupées en paquet de 3 à 5
kilos, produits à la Cour ou à une chambre régionale et
territoriale des comptes par un comptable public, à l'appui de son
compte annuel.
222 David Bordet, audit et contrôle de la gestion
des juridictions financières françaises, thèse de doctorat
soutenue en 2006 à l'université Jean Moulin - Lyon III, p.
32.
ner qu'à ce jour, la réglementation
algérienne n'a pas mis
aire du compte de gestion et du compte administratif,
ce qui a ouvert toute grande la porte à l'interprétation et aux
interrogations sur la manière de présenter ce compte. Cette
situation a engendré des comptes de gestions et des comptes
administratifs différents les uns des autres. A l'opposé, le
droit français de part le règlement général sur la
comptabilité publique (décret du 11 février 1985, art. 25,
premier alinéa), a réglementé par des instructions du
ministre des finances, le modèle du compte de gestion.
En l'absence d'une réglementation codifiant la
forme du compte de gestion et le compte administratif, la Cour des comptes
algérienne se trouve confrontée à comblé cette
insuffisance. Conséquence, le comptable et l'ordonnateur se trouvent
libres de présenter leurs comptes de la manière qu'ils veulent.
Toutefois, ils sont astreints de respecter les dispositions du décret
exécutif n° 91-313 du 7 septembre 1991 fixant les
procédures, les modalités et le contenu de la comptabilité
des ordonnateurs et des comptables publics et la loi sur la comptabilité
publique (ordonnance n° 90-21 suscitée).
En matière d'apurement comptable, la Cour des
comptes française favorise l'apurement des comptes des comptables
publics sur pièces, c'est pourquoi, elle a mis en place une batterie de
règlements régissant le modèle du compte de gestion et la
liste des pièces comptables qui doivent impérativement
accompagner les comptes de gestion.
A l'inverse, la Cour des comptes algérienne
à ce jour, n'a pas mis en place tous les textes réglementaires
nécessaires à ce genre de contrôle. Ce qui favorise
l'apurement comptable sur place.
En matière de reddition des comptes des
comptables publics, le législateur algérien dispose qu'en cas de
retard dans le dépôt des comptes de gestion ou de défaut de
transmission des pièces justificatives, la Cour peut prononcer une
amende allant de 1.000 DA à 10.000 DA.223
En deuxième lieu, la Cour peut lui adresser une
injonction d'avoir à déposer son compte dans le délai
qu'elle lui fixe, à l'expiration de ce délai elle soumet le
comptable à une astreinte pécuniaire de 100 DA par jour de
retard, pour un délai n'excédant pas soixante (60)
jours.
La troisième étape soulignée par
l'article 60 de l'ordonnance n° 95-20 suscitée, est que
passé le délai de 60 jours énoncé,
l'autorité administrative, dûment qualifiée, désigne
à la demande de la Cour des comptes, un nouveau comptable qui se charge
d'établir et de présenter les comptes dans les délais
fixés par la Cour des comptes.
En droit français, le décret du 21
août 1996 portant fixation des taux maximum des amendes infligées
aux comptables publics, l'amende à payer pour un comptable principal de
l'Etat est de 75 euros par compte et par mois de retard et à 22 euros
par mois de retard pour les autres comptables.
223 Art. 61. Ali 1 de
l'ordonnance nP 95-20, op. , cit.
érien ne fait pas de distinction entre les
comptables en
même pour toutes les catégories de
comptables. Ce qui nest pas équitable, un comptable principal n'a pas
les mêmes obligations et les mêmes attributions et les mêmes
astreintes qu'un comptable secondaire.
L'option de l'amende journalière retenue par la
Cour des comptes algérienne vise à obliger le comptable à
déposer son compte dans les plus brefs délais.
L'amende journalière n'est pas retenue par le
droit français qui a adopté une autre solution. Quand le retard
persiste, l'administration commet d'office des agents pour rendre les comptes
au nom, aux frais et sous la responsabilité des comptables retardataires
(décret du 29 décembre 1962, art. 57, troisième
alinéa). Cette disposition est identique à celle imposée
par le droit algérien qui, néanmoins, reste muet sur les frais
engendrés par le rétablissement des comptes.
Le droit algérien édicte qu'en cas de
refus de présenter ou de transmettre des comptes ou de pièces et
documents expose son auteur à l'amende. Toute entrave persistante est
assimilée à une entrave au fonctionnement de la justice, son
auteur est passible des peines prévues à l'article 43
alinéa 3 du code des procédures
pénale.224
2. L'instruction
L'instruction d'un dossier ou le jugement d'un compte
au niveau de la Cour des comptes débute par la vérification des
opérations effectuées durant l'exercice (du 1er
janvier et se clôt le 31 décembre), ont été
correctement retracées et justifiées par des pièces
comptables (liasses) produites à l'appui du compte et ont
été convenablement effectuées par le comptable
régulièrement nommé.
La procédure commence par la désignation
du rapporteur par ordonnance du président de chambre. L'ordonnance
précise la nature des contrôles à effectuer leur
étendue et leur objectif. Les exercices concernés et les
délais impartis pour le dépôt du rapport de
contrôle.225
Le rapporteur est responsable de la conduite de la
mission de contrôle qui lui est confiée.226
En premier lieu, le magistrat rapporteur
désigné par le président de chambre procède
à la vérification de la bonne présentation des comptes que
ce soit lors d'un contrôle sur place ou sur pièces.
En Algérie ou en France, la procédure de
l'instruction est de même type, mais il y a une différence de
taille, la procédure d'instruction en Algérie vise aussi bien les
comptes des comptables publics ainsi que les comptes des ordonnateurs. Elle
aboutira dans ces cas à un jugement.
224 Art. 68 de l'ordonnance nO 95.20, op. ,
cit.
225 Art. 42 du D.P nO 95-377, op. , cit.
226 Art. 43 du D.P nO 95-377, op. , cit.
g de l'instruction, le magistrat rapporteur suit les
étapes s comptes, les rapports et les contre rapports, les
enquêtes, la communication au ministère public (censeur
général) et à la fin l'audience.
En droit algérien, au début, le
rapporteur désigné retire le compte de gestion du greffe.
S'agissant d'un contrôle sur pièces, il réclame les
pièces justificatives au comptable qui doit les transmettre dans un
délai imparti227, contrairement à ce qui se passe en
droit français ou le comptable lors du dépôt de son compte,
dépose les liasses de pièces demandées conformément
à la réglementation en vigueur, ce qui facilite la tâche au
magistrat rapporteur.
Quand il s'agit d'une mission sur place le magistrat
rapporteur se déplace sur les lieux de la mission et effectue son
contrôle sur place et procède à toute investigation qui
peut s'enclencher d'une manière inopinée ou après
notification.
Les observations sont consignées dans un rapport
qui proposant les décisions suites à réserver aux faits
relevés. 228
En droit algérien, le rapport de l'apurement du
compte de gestion du comptable est présenté par le rapporteur au
président de section concernée qui peut ordonner tout
complément de vérification ou autres travaux de nature à
améliorer la qualité du rapport. 229
La phase d'instruction est clôturée par
l'adoption d'un rapport définitif à la lumière des
réponses du justiciable et la communication du dossier au censeur
général qui mis fin à l'instruction.
Le président de chambre adresse par ordonnance
de soit communiqué, l'ensemble du dossier au censeur
général pour lui permettre de présenter ses conclusions
écrites, et le cas échéant des observations orales lors de
la formation délibérante230, le censeur
général ou le procureur général en France assistent
obligatoirement à la dite formation
délibérante.
Après communication au ministère public,
s'il y a lieu, l'ensemble du dossier, ainsi que les conclusions sont transmis
par le greffier, à un conseiller maître en qualité de
contre rapporteur. En droit algérien, les contre rapporteurs sont
désignés parmi les conseillers ou à défaut parmi
les auditeurs principaux. 231
Au sein des deux Cours, la procédure
d'apurement des comptes des comptables n'est pas publique. Cette règle a
en effet été modifiée par le droit français par le
décret du 18 avril 1996 qui a institué la publicité des
audiences au cours des quelles le juge des comptes prononce des amendes contre
les comptables. Une loi du 21
227 Art. 60 de l'ordonnance nO 95-20, op. ,
cit.
228 Art. 44 du D.P nO 95-377, op. , cit.
229 Art. 50 du D.P nO 95-377, op. , cit.
230 Art. 51 du D.P nO 95-377, op. , cit.
231 Art. 18 du D.P nO 95-377, op. , cit.
me règle lorsque le juge des comptes statue en
matière de
Il y a lieu aussi de citer la nouveauté
apportée par le décret du 14 avril 2000 qui a introduit une
disposition excluant le rapporteur du délibéré lorsque le
juge des comptes statue à titre définitif sur une amende. En
droit algérien, le magistrat rapporteur assiste à la formation ou
il peut présenter des éclaircissements, mais sans voix
délibérative.
3. L'audition et la prononciation de
l'arrêt
Le contre rapporteur ou le rapporteur expose leurs
observations, en audience après avoir rédigé un projet
d'arrêt provisoire ou définitif, à la lumière des
conclusions du censeur général et des observations du
président de la chambre et des membres de la formation
concernée.
Finalement, la décision de la Cour des comptes
à une particularité par rapport à celle des autres
juridictions. La Cour statue à titre provisoire ou à titre
définitif, le respect de la règle du double arrêt, dont
l'origine remonte à l'arrêté des consuls du 29 Frimaire an
IX est de rigueur.
A. L'arrêt provisoire
L'arrêt provisoire en droit algérien ou
en droit français n'est qu'une simple décision
préparatoire, que le juge peut librement modifier ou retirer. Les
arrêts provisoires n'ont pas la force exécutoire qui n'est
attachée qu'aux arrêts définitifs. En conséquence,
les arrêts provisoires ne sont pas passibles des pourvois en
révision, et en cassation.233
Néanmoins, cette décision à
caractère juridictionnelle est prise sous la forme d'injonctions
notifiées au justiciable en lui imposant de répondre et /ou de
fournir des explications complémentaires dans un délai d'un mois
à compter de la date de notification de l'arrêt. Un délai
supplémentaire peut être demandé par le justiciable (un
mois supplémentaire) au président de la chambre
concernée.
Passé ce délai, le justiciable sera
exposé à une condamnation par un arrêt définitif
prononcé par la Cour des comptes. le respect du délai
réglementaire est d'ordre public.
En droit français, le comptable
défaillant ou retardataire est passible d'amende pour retard dans
l'envoi des réponses. Le droit algérien par contre n'a pas
prévu d'amende. Passé le délai réglementaire
imparti, la Cour statue.
232 Michel Bouvier, Marie-Christine Esclassan,
Jean-Pierre Lassale, manuel finances publiques, p. 433 et 435.
233 Jacques Magnet, op. , cit, p. 137.
ypothèse ou le justiciable est
dégagé de sa responsabilité lier contre le comptable, la
règle de double arrêt n'est pas appliquée. Il sera
statué directement par voie d'arrêt définitif de
décharge.234
Enfin, en droit français, si les
réponses révèlent des faits nouveaux qui laissent engager
la responsabilité du comptable, les injonctions peuvent être
converties en injonctions nouvelles, seront nécessairement provisoires,
et un deuxième arrêt provisoire peut être prononcé.
Le droit algérien reste muet et la jurisprudence ne donne aucune
indication sur ce sujet.
B. L'arrêt définitif
Quand le justiciable a donné suite aux
injonctions prononcées dans l'arrêt provisoire et que la Cour se
trouve suffisamment éclairée et les réserves totalement
levées, elle statue à titre définitif « statuant
définitivement » soit en levant l'injonction en déchargeant
le comptable, soit en le mettant en débet.
L'arrêt définitif que ce soit en droit
algérien ou français à l'autorité de la chose
jugée, il est donc exécutoire.
Objectivement, il n'a d'effets qu'en ce qui concerne
la gestion jugée, non en ce qui concerne d'autres gestions non
contrôlées ; la levée d'une injonction relative aux
diligences à faire pour le recouvrement d'une recette, n'empêche
pas d'émettre une nouvelle injonction relative aux diligences à
faire pour le recouvrement de la même recette l'année
suivante.235
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