5. ORGANISATION SOCIALE DE LA PRODUCTION
Toute production repose pour une part, sur un ensemble
d'investissements du passé dont la compréhension des raisons
d'être est fondamentale pour la recherche et le succès de toute
innovation susceptible de les modifier (Reboul, 1989). On ne peut donc en
agriculture faire table rase du passé technique qui, s'inscrit
concrètement dans les moyens de production utilisés comme dans la
qualification des agriculteurs ; c'est pourquoi ce chapitre sera
consacré aux différentes formes d'organisations du travail dans
le milieu.
5.1. Facteurs de production
L'économie paysanne repose sur trois grands facteurs de
production. La terre, la maind'oeuvre et le capital. Toutefois, le
management est considéré comme étant le quatrième
facteur. Ces différents facteurs déterminent, chacun en ce qui le
concerne, le niveau de la production en agriculture. La production serait plus
grande dans les zones où il n'existe pas de contraintes en ressources
productives. A Dridji, la main-d'oeuvre et le capital limitent
considérablement la production agricole.
5.1.1. Capital
De nos jours, les paysans ne produisent plus pour nourrir
seulement les membres de leur ménage. De plus en plus les paysans
tentent de passer de l'agriculture de subsistance à l'agriculture de
marché. Le besoin d'épargne de capitaux amène les paysans
à produire plus. Aussi la croissance démographique galopante
oblige les paysans à produire plus pour satisfaire la demande.
Selon Quenum (1986), il existe deux formes de capital
utilisées dans les activités: le capital fixe et le capital
circulant. Le capital fixe est constitué des outils de travail du paysan
(houe, machette, panier, bassine et autres) et son moyen de déplacement
(bicyclette, mobylette, moto ou autre). Le moulin et les bâtiments du
paysan constituent également des capitaux fixes (Biaou, 1995). Le petit
bétail et les plantations d'anacardier, de palmier à huile font
également partie des capitaux fixes. Le capital circulant quant à
lui concerne les intrants (semences, pesticides, etc....), les frais en
numéraire payés à la main-d'oeuvre salariée.
5.1.2. Terre
La terre n'est pas un facteur de production créé
par l'homme, du moins pas dans son intégralité. La terre est une
donnée naturelle, qui peut constituer un bien durable, voire un bien
dont la durée d'existence est illimitée. L'homme trouve un sol
à sa disposition dont la fertilité, variable selon les cas lui
permet de produire les vivres dont il a besoin. Une population ou une
communauté a donc par suite de circonstances historiques, un territoire
sur lequel, elle peut s'adonner à l'agriculture et à
l'élevage (Badouin, 1975). La terre est un bien précieux pour les
habitants de ce village. Elle était un bien collectif. Cependant,
l'individualisme a commencé par gagner les esprits des paysans, du fait
de l'effritement de la cohésion sociale. De plus en plus, on assiste au
détachement précoce de certains jeunes mariés, ce qui fait
qu'ils ont besoin de terres pour assumer leur indépendance.
Sur les 517,5 ha de terres cultivables disponibles pour la
population enquêtée, seulement 257,99 ha sont exploitées en
grande saison et 205,66 ha en petite saison des pluies pour une moyenne de
terres cultivables de 5 ha/an et par ménage, toutes tendances
confondues. En deuxième saison, un paysan choisit en fonction de son
objectif de production les terres à exploiter. C'est ainsi qu'il peut
décider de faire ses cultures sur les terres déjà
cultivées en première saison ou de changer. Les ménages
non producteurs de coton cultivent en moyenne 3,37 ha/an, et les ménages
producteurs de coton 6,93 ha/an soit plus du double des premiers
(confère tableau n°6). Cela se justifie par le fait que le coton
occupe a lui seul 46,10% des terres cultivables en deuxième saison des
pluies.
Tableau n°6: Valeurs
questionnables de quelques caractéristiques structurelles des
ménages à Dridji
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Ménage Age moy. Taille moy Nbre moy Nbre moy.
superficie moy.
CM ménage d'actif consommateur
emblavée
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C/W
|
S/W
|
Producteur 44,22
Coton
Non produc- 42,49 teur coton
|
8,13 6,24
|
4,05 3,15
|
6,51
4,85
|
6,93 3,37
|
1,6
1,54
|
1,97
1,14
|
Source : Nos enquêtes de terrain
juillet - septembre 2005
A Dridji on remarque que le ratio S/W augmente des
ménages producteurs de coton aux ménages non producteurs de
coton. En effet, selon la théorie de Tchayanov (1990), plus le ratio C/W
est grand, plus le ratio S/W est aussi grand. Ceci est bien conforme à
nos résultats.
Cependant le mode d'accès à la terre varie
suivant que l'on soit autochtone ou allochtone. Il va de l'héritage
(55,90%) à l'achat (2,27%), en passant par le don (32,02%) et le
prêt (9,81%). Le graphique n°2 présente la répartition
des terres suivant le mode d'accès à la terre.
2,27%
9,81%
55,90%
Héritage Don Prêt Achat
32,02%
Graphique n°2: Les
différents modes d'accès à la terre à Dridji
·: · Héritage
L'héritage foncier est un transfert de
génération en génération des terres et de leurs
ressources (Biaou, 1995). L'héritage des terres suit un régime
patrilinéaire et seuls les éléments de sexe masculin
peuvent en bénéficier. Cependant, lorsqu'un mari s'absente pour
une durée relativement longue, sa femme a le droit de travailler sur ses
terres. Aussi, la femme peut elle travailler, sur les terres de ses
frères dans le cas d'un héritage collectif.
Seuls les autochtones ont le droit d'hériter selon les
habitudes. Cependant on a observé une famille à Asségon et
une famille à Tèzounkpa qui sont allochtones, mais dont les
descendants ont hérité. Un des héritiers de la famille
Djetto à Asségon nous confiait ceci : Encart n°1
Mon père était resté ici et a
travaillé la terre. A son décès, nous avions
hérité tout simplement parce que notre grand-père avait
bénéficié de la terre des mains du père fondateur.
C'était un don et comme la chose donnée ne se reprend pas mon
père a hérité.
Au fil des ans, ce mode d'accès à la terre ne
dépendra plus de l'origine de l'occupant. L'analyse du graphique
n°3 le prouve bien, car 21,74% des terres des allochtones sont acquis par
héritage pour seulement 3 à 4 générations
d'occupants. Au total, il ressort que 55,9% des terres cultivables sont acquis
par héritage à Dridji. Seulement 5,56% des terres
héritées appartiennent aux allochtones.
+ Don
Suivant que l'on soit allochtone ou autochtone le don peut
prendre plusieurs aspects. Dans un premier temps, le don de terre est du
ressort du Gohonon. Il est chargé d'allouer la terre aux
étrangers désireux de s'installer dans le hameau. Cependant,
l'octroie de terres n'est pas systématique.
43,48%
Héritage
13,04%
Don Prêt
Achat
21,74%
21,74%
Graphique n°3 : Répartition
des terres des allochtones suivant le mode d'accès à la terre
Lorsqu'un nouveau venu (surtout du village d'origine des
habitants du village) arrive dans le hameau, il travaille d'abord au
côté d'un autochtone qui assure sa subsistance pendant un certain
nombre d'années, avant de bénéficier de la terre du
Gohonon. C'est là une mesure pour s'assurer de l'effectivité de
l'installation de l'étranger, mais également d'apprécier
son comportement social. 43,48% des terres des allochtones sont acquis par ce
mode d'accès à la terre (cf. graphique n°3). Dans un second
temps, la terre est octroyée à un fils par son père ou
à une femme par son mari. Dans le premier cas, il
s'agit du "Gbadaglé"7 ou bien la terre est donnée par
un père à son fils adulte qui s'est marié, et qui a
fondé son propre ménage. Dans le second cas, lorsque c'est la
femme qui bénéficie du don, c'est dans le but de faire le champ
pour assurer certains de ses besoins tels que se vêtir, et prendre soins
de ses enfants et ainsi contribuer à accroître le revenu du
ménage.
5,97%
26,86%
Héritage Don Prêt
67,17%
Graphique n°4 : Répartition
des terres des autochtones suivant le mode d'accès à la terre
·: · Prêt
Tous les habitants de Dridji peuvent bénéficier
du prêt de terre. Il est généralement gratuit car est sans
contrepartie. Cependant, interdiction est faite à l'emprunteur de jouir
des cultures pérennes qui sont sur la parcelle. Elle correspond à
ce que Biaou (1995) appelle "rente invisible" car au lieu de permettre à
l'emprunteur d'utiliser ces cultures, il les entretient plutôt pour le
propriétaire terrien. Aussi, interdiction est faite à
l'emprunteur de planter sur la parcelle, car pour les paysans, la mise en place
des essences pérennes, confère à celui qui le fait le
droit de propriété. C'est justement pour cela, que certains
propriétaires terriens délimitent leur parcelle à l'aide
de plants de tecks et d'anacardiers ou de palmiers à huile voire de
neem.
7 Le champ destiné à certains actifs
agricoles et femmes du ménage pour des travaux après ceux
organisés sur la parcelle du chef de ménage
+ Achat
Autrefois la terre était un bien inaliénable,
elle ne se vendait pas. Mais, de nos jours certains Gohonons qui sont garants
de la tradition ont commencé à vendre d'importantes superficies
à des allochtones ou pour des étrangers. C'est ainsi que 13,04%
des terres des allochtones sont achetés. Il est à noter que ce
mode d'accès à la terre est un fait de la pauvreté qui
caractérise le village , car c'est pour des besoins financiers face
à une situation difficile, que les Gohonons décident de vendre la
terre.
A travers le graphique n°4, on remarque qu'aucun
autochtone n'a acquis des terres par ce mode d'accès à la terre.
Aujourd'hui seulement 41 ha de terres sont achetés. Un hectare
coûte environ cent cinquante milles (150.000) francs CFA. Le prix de la
parcelle varie suivant la proximité ou non de la route inter Etat et va
de 100.000 à 200.000 FCFA (Adjahossou et al., 2004). Ainsi,
plus chères sont les terres de Kindogon par rapport à celles
d'Asségon, qui à leur tour sont plus chères que celles de
Tèzounkpa.
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