C'est l'hypothèse d'un contrat que le débiteur
a conclu antérieurement au jugement déclaratif dont il modifie la
date avec la complicité de son cocontractant pour que ce contrat soit
considéré comme conclu postérieurement au jugement
déclaratif. Cette pratique se rencontre lorsque le débiteur
exerce des pouvoirs de gestion93.
En général, le débiteur commet ces actes
lorsqu'il veut faire bénéficier à cette créance, la
priorité de paiement. Cette fraude est en pratique aisée, peu
décelable et en droit, difficilement contestable. En effet, les
dispositions de l'article 1328 du code civil sur la date certaine des actes
sous seing privé ne sont d'aucun secours en la matière. Ces
dispositions légales n'ont d'effet que contre l'anti date en
matière civile et non pas à l'égard de la
postdate94.
En revanche, l'indication d'une fausse date constitue à
n'en pas douter un faux passible de peines pénales. La
caractérisation de l'infraction de faux nécessite l'existence
d'un préjudice réel causé à autrui par suite de
l'altération de la vérité au moyen de ce support
altéré. Cette condition est remplie dans les cas d'apposition de
fausses dates.
Cette altération de la vérité fait
cependant subir des préjudicies aux créanciers antérieurs
à la procédure collective car elle rompt le principe
d'égalité entre les créanciers. Elle affecte
également le sort des créanciers postérieurs qui
subissent
93 Notamment, dans le redressement judiciaire
où il accomplit seul les actes conservatoires et les actes de gestion
courante.
94 F. DERRIDA, Le financement de l'entreprise, R.T.D. Com.,
1986, n° spécial, page 64.
un préjudice dans la mesure où, le droit au
paiement, devenu frauduleusement prioritaire viendra diminuer l'assiette de
l'actif partageable et par là, conduire essentiellement à
empêcher un paiement intégral des créanciers
postérieurs95.
C - Le problème des créances reconnues
postérieurement et nées d'une cause antérieure
Deux catégories de créances sont en cause. Les
créances contractuelles et les créances délictuelles.
1 - Les créances contractuelles
Plusieurs problèmes apparaissent à ce niveau :
Le problème des contrats à exécutions
successives
Le problème de l'indemnité pour inexécution
des contrats Celui des indemnités dues pour résiliation.
a - Les contrats à exécutions successives
Lors de la continuation de l'exploitation, le syndic ou le
débiteur assisté ont la possibilité d'exiger
l'exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise
au cocontractant du débiteur. Ils peuvent notamment obtenir la
continuation des contrats à exécutions successives tels que les
contrats de fourniture ou de prestation de service. Les dettes nées
à l'occasion de ces contrats doivent-elles bénéficier de
la priorité de paiement ?
Cette question qui a fait l'objet de débats doctrinaux
96 a été résolue. Aujourd'hui, la jurisprudence
97 opte pour la solution suivante : les dettes antérieures
échues avant le jugement déclaratif sont des dettes dans la masse
et les dettes postérieures
95 C. SAINT ALARY, La situation des créanciers
postérieures à l'ouverture de la procédure, in les annales
de l'université de Toulouse, T., XXX. IV, P. 215, n° 14
96 Yves GUYON, Entreprises en difficulté, T.
2, ed., economica, Paris, 1989, n° 1249, P. 272- 273
97 Cass. , com., 22 janvier 1974, D., S., 1974, P., 514, note
DERRIDA
échues après le jugement déclaratif sont
des dettes de la masse qui bénéficient d'une priorité de
paiement.
b - L'indemnité pour inexécution du
contrat
Lorsque le créancier réclame des dommages et
intérêts pour inexécution du contrat par le débiteur
assisté ou le liquidateur, la détermination de la date de
naissance du contrat n'est pas aisée surtout, quand on est en
présence d'une obligation qui ne peut être exécutée
en nature.
Lorsque le contrat est né antérieurement au
jugement déclaratif mais que le jugement qui accorde les dommages et
intérêts est postérieur à la faillite, la date de ce
jugement importe peu car, si le droit du créancier est antérieur
à la faillite, le jugement est seulement déclaratif du
droit98. Tant que les dommages-intérêts accordés
compensent exactement le montant de l'obligation contractuelle, la
jurisprudence considère que la créance naît du contrat et
qu'elle est antérieure à la faillite99. Elle donne la
même solution lorsque la condamnation du débiteur procède
d'une faute "se rattachant indissolublement au contrat"100. Il en
est ainsi en cas d'inexécution d'une obligation dont l'objet est
déterminé par le contrat.
S'il s'agit au contraire de dommages et intérêts
destinés à compenser l'inexécution d'une obligation de
faire (par exemple la faute d'un mandataire), l'obligation est
considérée comme née postérieurement à la
faillite101).
Pour RIPERT et ROBLOT, la question est de savoir si la
créance est antérieure ou postérieure à la
déclaration de faillite ou de liquidation.102 Si les dommages
et intérêts compensent non pas l'inexécution de
l'obligation mais le dommage supplémentaire causé par cette
inexécution, la créance doit être considérée
comme résultant du jugement et non du contrat. Elle ne peut alors
être invoquée contre la masse.
98 S eine, Co ; 6 juillet 1936, Gaz. Pal. , 1937. 2. 655
99 Cass., Civ ; 6 décembre 1937, S., 1939. I., 232
100 Ch., Req., 2 Avril 1941, S., 1941, I, 120
101 Cass. civ ; 20 janv. 1932, D.H. 1932, 130
102 RIPERT et ROBLOT, Traité de droit commercial, T.
2,, 5 e ed. L.G.D.J., 1964, n° 2992, p. 414
c. L'indemnité pour résiliation du
contrat
La date de naissance du contrat est également
discutable en cas de résiliation d'un contrat. La question se pose
principalement à propos des indemnités de licenciement dues aux
salariés.
On peut estimer que si les contrats de travail ont
été maintenus puis résiliés par le syndic ou le
débiteur assisté pendant la continuation, la totalité des
indemnités de licenciement devrait être considérée
comme une dette postérieure; donc bénéficiant du paiement
prioritaire.
Cette solution serait défavorable aux créanciers
antérieurs car les indemnités de licenciement atteignent souvent
un montant considérable
La jurisprudence française 103 a
procédé à une distinction et décidé que le
droit de priorité se limite à la seule fraction de
l'indemnité de licenciement correspondant au travail accompli
après l'ouverture de la procédure collective.
2 - Les créances délictuelles
Le problème se pose dans les mêmes termes que
celui des créances délictuelles, lorsque le fait
générateur de la responsabilité et le dommage sont
antérieurs à la faillite et que le jugement de condamnation est
postérieur. Prenant le contre pied d`une position qu'elle avait
précédemment adoptée, la jurisprudence
actuelle104 juge que lorsque le fait générateur de la
faute a été accompli avant l'ouverture de la procédure, il
y a lieu d'admettre que la victime est créancière dans la
masse.
Il y a lieu d'abonder dans le même sens que la
jurisprudence française car le jugement déclaratif ne fait que
constater une situation juridique qui existait antérieurement à
sa date. Aussi pensons nous que cette distinction selon la naissance du fait
générateur de responsabilité doit être maintenue.
103 Cass., soc., 31 janv., 1980, D., 1980, note DERRIDA
104 Cass., com., 28 Avril 1966, D., 1967, 82, note HONORAT
contre une jurisprudence classique qui estime que le jugement est constitutif
et non déclaratif du droit à réparation.