En droit commun, le bailleur bénéficie d'un
privilège mobilier spécial qui garantit le paiement des
loyers.
Ce principe est énoncé par l'article 2102 du code
civil qui étend ce privilège aux meubles garnissant les lieux
loués.
Dans le cadre des procédures collectives, ce
privilège sera aménagé relativement au montant des
créances privilégiées.
En droit commun, le privilège du bailleur couvre tous
les loyers échus et à échoir pendant la durée du
bail, lorsque celui-ci est conclu par acte authentique ou à une date
certaine. Il s'agit des contrats établis par un officier public dont les
affirmations font foi jusqu'à inscription de faux et des contrats dont
la date ne peut être contestés par les tiers car, celle-ci
étant garantie par un titre juridique.
Lorsque ce contrat est résilié, le bailleur
peut voir le total de ces loyers lui être payés en
priorité; ce qui présente des inconvénients pour la
continuation. En effet, faits en général pour une longue
durée, les contrats de bail sont enregistrés et les loyers sont
souvent élevés; d'où une production
privilégiée du bailleur pour des sommes considérables. Ce
privilège porte sur tous les objets mobiliers garnissant les
lieux loués. Pour un débiteur civil, ce
mobilier ne représente qu'une partie de la fortune. Au contraire, pour
un local industriel ou commercial, il comprend le matériel et les
marchandises, c'est à dire les éléments les plus
importants du fonds de commerce79.
Aussi dans le désir d'augmenter le crédit
chirographaire des commerçants, la Loi du 12 février 1872
applicable en droit ivoirien et incorporée au code de commerce, a-t-elle
restreint ce privilège du bailleur. L'article 550 al 1er du code de
commerce et l'article 24 de la Loi du 4 mars 1889 rendant applicable à
la liquidation judiciaire les dispositions sur la faillite, disposent que "si
le bail est résilié, le propriétaire d'immeubles
affectés à l'industrie ou au commerce du débiteur aura
privilège pour les deux dernières années de location
échues avant le jugement déclaratif et pour l'année
courante, pour tout ce qui concerne l'exécution du bail" (par exemple
les accessoires de loyers, eau).
Les deux années échues
privilégiées se calculent en prenant pour point de départ
la date à laquelle a commencé le bail. Si par exemple, le bail a
commencé le 1er janvier 1980 et que le jugement d'ouverture intervient
le 1er janvier 1984, les deux années privilégiées sont
celles qui se placent entre le 1er janvier 1982 et le 1er janvier 1984.
L'année courante est le temps qui s'écoule entre le dernier
anniversaire du commencement du bail avant la résiliation et la date de
résiliation.
Si le bail n'est pas résilié, le bailleur, une
fois payé de tous les loyers échus, ne pourra pas exiger le
paiement des loyers en cours ou à échoir, si les
sûretés qui lui ont été données lors du
contrat sont maintenues, ou si celles qui lui ont été fournies
depuis la faillite ou la liquidation judiciaire sont jugées suffisantes.
Il faut comprendre que si le bail n'est pas résilié et que les
meubles garnissant les lieux loués sont enlevés, le bailleur
pourra exercer son privilège comme au cas de résiliation, et en
outre pour une année à échoir à partir de
l'expiration de l'année courante, que le bail ait ou non date certaine
selon l'article 550 du code de commerce et l'article 24 de la Loi du 4 mars
1889.
79 RIPERT et ROBLOT: Traité élémentaire de
droit commercial, T2 , 13 ed., L.G.D.J., p. 1207, N°3266
Dans le projet OHADA, ce délai est beaucoup plus
réduit qu'en droit positif. En effet dans la réforme, ce
délai est relatif aux douze derniers mois selon l'article 98 de l'acte
uniforme sur les procédures collectives qui stipule que "si le bail est
résilié, le bailleur a privilège pour les douze derniers
mois de loyers échus avant la décision d'ouverture ainsi que pour
les douze mois échus ou à échoir postérieurement
à cette décision".
SECTION II : LE CONTRAT DE TRAVAIL
En cas d'ouverture d'une procédure collective
d'apurement du passif, les salariés de l'entreprise sont les plus
touchés. Très souvent, ils perdent leur emploi et se retrouvent
au chômage, au détriment de leur famille. En raison de cet aspect
social, il est apparu nécessaire, voire urgent de les protéger,
d'autant plus qu'ils subissent les conséquences d'une situation dont ils
ne sont pas forcément responsables. Aussi, a-t-il été
institué le maintien de plein droit des contrats de travail en cas de
poursuite de l'activité d'une entreprise en faillite ou en liquidation
judiciaire.
Désormais, ces procédures collectives ne sont
pas considérées comme des cas de force majeure exonérant
l'employeur. Celui ci est tenu de maintenir les contrats de travail en cours
(Paragraphe I).
Il peut toutefois apparaître que le maintien en
fonction de tout le personnel soit difficile en raison des difficultés
économiques que connaît l'entreprise. Le syndic ou le
débiteur assisté peuvent procéder à des
licenciements. La faillite ou liquidation judiciaire sera dans ce cas un motif
économique de licenciement (Paragraphe II).
Paragraphe I - La faillite et la liquidation
judiciaire ne sont pas un cas de force majeure
Pour justifier les licenciements qu'ils effectuaient, les
employeurs assimilaient la faillite ou la liquidation judiciaire à un
cas de force majeure. Ce motif a été rejeté par le code du
travail ivoirien (en son article L-1615) qui stipule que les contrats de
travail ne peuvent être "rompus" pour cause de faillite ou liquidation
judiciaire (A) mais qu'au contraire, ils sont maintenus de
plein droit (B).
A - Absence de rupture du contrat de travail pour
cause de faillite ou liquidation judiciaire.
Un débiteur en faillite ou liquidation judiciaire ne
peut se prévaloir de ce fait pour licencier son personnel ipso facto,
car l'ouverture d'une procédure collective n'est pas un cas de force
majeure.
La notion de force majeure s'entend des faits et
événements provenant d'une cause étrangère non
imputable au débiteur qui ont mis un obstacle à l'accomplissement
complet et régulier de ses obligations. Une telle notion qui s'applique
en général aux contrats, ne saurait en aucun cas s'adapter
à la faillite ou liquidation, dans la mesure où celles-ci
proviennent du fait personnel du débiteur et souvent de sa faute. C'est
pourquoi le code du travail ivoirien en son article L-16-5 dispose que "la
cessation de l'entreprise, sauf en cas de force majeure, ne dispense pas
l'employeur de respecter les règles établies. La faillite et la
liquidation judiciaire ne sont pas considérées comme des cas de
force majeure".
Le code du travail ivoirien a codifié la position de la
doctrine et la jurisprudence française dominantes. En effet, la cour
d'appel de Rouen 80a jugé que "la faillite ne délie
pas le débiteur de ses engagements, qu'elle ne constitue pas un cas de
force majeure mais qu'elle résulte dans l'espèce jugée, de
l'inconduite et de la vie de désordre du débiteur; que même
dans le cas où elle a pour cause le malheur, on ne saurait dire qu'avec
une plus grande prudence, une prévoyance plus pénétrante
qu'on ne l'aurait pas évitée".
La faillite ne présente pas les caractères d'une
force supérieure à laquelle la volonté humaine est
absolument impuissante à résister. Ainsi, la mise en liquidation
judiciaire ne rompt pas le contrat de travail en cours81.
Dans le projet OHADA, ce principe ressort indirectement de
l'article 110 de l'acte uniforme sur les procédures collectives
d'apurement du passif qui ne prévoit les licenciements que lorsqu'ils
ont urgents et indispensables.
80 C. A., Rouen, 27 août 1873, D. 1876. II. p.
62-63
81 Ch . req. 27 avril 1937, D., 1937, P. 330
On peut dire que le principe est le maintien des contrats de
travail et l'exception, le licenciement lorsqu'il est urgent et
indispensable.
Le jugement de déclaratif de faillite ou de
liquidation judiciaire n'éteint pas d'office le contrat de travail.
Lorsque la continuation de l'exploitation est décidée, ces
contrats subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise.
Ce principe ressort de l'article L -11-8 du code de travail qui stipule que
"s'il survient un changement d'employeur, personne physique ou morale, tous les
contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le
nouvel entrepreneur et le personnel de l'entreprise".
Dans le projet OHADA, ce maintien des contrats n'est pas
expressément prévu. Toutefois par l'interprétation
à contrario de l'article 110 de ce projet- qui prévoit les
licenciements dans des cas particuliers-, nous pouvons déduire que le
principe en la matière est le maintien des contrats de travail.
La cour de cassation française 82 a
affirmé ce principe en décidant que "dès lors qu'une
entreprise continue à fonctionner sous une direction nouvelle, les
salariés de cette entreprise sont liés automatiquement à
leur nouvel employeur sans aucune solution de continuité, quelque soit
la modification survenue dans la situation de l'employeur.
Selon cette juridiction, l'admission de l'employeur au
règlement judiciaire (liquidation judiciaire en droit positif ivoirien)
suivie de l'autorisation de continuation de l'exploitation donnée par le
juge commissaire, a placé la masse dans une situation identique à
celle de tout nouvel employeur reprenant la direction d'une entreprise dont
l'activité est restée la même. La masse est donc
légalement tenue de reprendre à sa charge les contrats de
travail.
S'il est vrai que le syndic ou le débiteur
assisté est tenu de maintenir les
82 Cass., Soc., 7 Juillet 1961, J. C. P., 1961, II,
12287 bis
contrats de travail, il faut préciser qu'en raison des
difficultés que rencontre l'entreprise, le syndic ou le débiteur
peut être autorisé à procéder à certains
licenciements.
Paragraphe Il - Admission de la faillite ou de la
liquidation comme motif économique de licenciement
Le législateur, conscient des réalités
économiques des entreprises en difficulté a admis que des
licenciements soient effectués. Il s'agit des licenciements pour motif
économique tirés de la cessation des paiements.