4 - Panorama des
professionnels face à leur fonction de formation
Les professionnels se doivent
« d'encadrer » les étudiants, selon le terme
usité par eux-mêmes en gérant leurs propres contraintes de
travail. Il en résulte différents types d'adaptations ainsi que
certaines similitudes. Nous allons vous présenter ici le feedback qu'ils
nous ont exprimé par rapport aux observations qui leur ont
été présentées.
Pour réaliser ce panorama et rendre intelligible ce qui
a été dit, nous avons défini plusieurs cadres
différents. Quatre d'entre-eux se sont dégagés de
l'ensemble des entretiens :
· La relation aux étudiants
· Le rapport au reste de l'équipe soignante
· L'action du soignant
· Le rapport aux soins
A l'intérieur de chacun de ces cadres, nous allons vous
exposer les valeurs communes comme les différences entre les
professionnels qui se sont exprimés en sachant dès à
présent que les groupes constitués se sont tous
révélés homogènes dans ce qu'ils nous ont
livré et que les différences ne s'expriment donc que d'un groupe
à l'autre et non au sein d'un même groupe. Tout se passe donc ici
comme si nous avions choisi nous-mêmes les paires de professionnels
rencontrées de par leurs similitudes de point de vue professionnel alors
que les critères de choix ne portaient que sur le sexe et la
durée de l'expérience depuis le diplôme d'Etat. Le
paragraphe concernant le travail d'équipe devrait nous apporter une
certaine compréhension de ce phénomène.
4.1 - L'étudiant
infirmier : Etudiant modélisé ou étudiant
modèle ?
Lorsque nous parlons d'étudiants, de manière
commune nous imaginons facilement une personne jeune et, d'une certaine
façon, une matière facilement malléable et donc modelable.
Or, si l'on en croit l'étude de la DRESS de 2006, plus de la
moitié des étudiants entrant en IFSI avaient plus de 20 ans en
2004 et près du quart d'entre eux plus de 25 ans.
C'est peut-être pour cette raison que seuls deux des
quatre groupes interrogés ont pointé du doigt la
difficulté ressentie due à la jeunesse en relation avec ce qui
est demandé lors des stages. Ainsi, le deuxième collectif
d'infirmière amenuise l'erreur d'une étudiante en lui trouvant
l'excuse de cette jeunesse : « on la remet dans le contexte
de la formation, c'est des jeunes aussi ... »
(I), « ouais, ils ont 19-20 ans, y'a quelqu'un qui demande
ce qu'il a, bah voilà, dans la panique.. » (S)
alors que le trio du quatrième entretien raconte l'obstacle que
consiste cet âge immature lors d'un premier stage :
« C'est sûr que c'est un peu difficile un
premier stage, de se retrouver dans un service de.. pour un jeune avec des
personnes âgées, faire des toilettes, tout ça, c'est vrai
que c'est un peu.. » (F, E4, 220-222),
« En plus c'était vraiment le premier stage, c'est un
garçon très jeune, un peu timide, qui arrivait là en plus
confronté à des personnes âgées, faire des toilettes
à des dames âgées, enfin bon, il n'était pas
vraiment à son aise ce garçon. Il était même
plutôt mal à l'aise. » (C, E4, 207-210)
En allant un peu plus loin sur ce que nous avons dit
auparavant, nous pouvons également imaginer qu'Eric est un cas
particulier car n'est ni jeune ni modelable et ce cas peut, ainsi, expliquer en
partie le ressentiment face à une légitimité dans le stage
exprimée par l'infirmière référente :
« Elle me dit alors que ce stage allait certainement être
particulièrement difficile pour moi car un homme de mon âge, avec
tous ses préjugés, et de surcroît non issu du milieu
médical, n'avait rien à faire dans un tel service ».
Si l'étudiant en soins infirmiers n'est pas modelable selon le
modèle que peut constituer le professionnel qui l'encadre, pouvons-nous
tout de même retrouver la volonté d'une modélisation de la
part des professionnels ?
La réponse est ici partagée puisque, pour
certains, les qualités requises pour l'exercice du métier
d'étudiant en soins infirmiers doivent être présentes
dès le début comme expliqué lors du premier
entretien : « bah justement si on n'a déjà pas
une attitude professionnelle en 1ère année (...)
c'est plus à eux d'aller aussi faire la démarche,
d'aller chercher » (A). Ainsi, ces professionnels attendent
une réaction modèle aux demandes qui sont faites ne laissant que
peu d'espace à l'étudiant non conforme aux attentes :
« je lui donne des pistes, si il veut pas les prendre, je fais.
Je perds pas mon temps » (I) nous dit-on dans le deuxième
entretien. Dans ce même registre, une qualité semble être
indispensable à l'exercice de ce métier : la capacité
de remise en question de soi. Cette qualité est, elle aussi,
souhaitée comme préexistante par les mêmes professionnels
qui reprochent tour à tour à un étudiant de ne pas
avoir cette qualité :
« L'étudiant c'était jamais de sa
faute » (B, E1, 52)
« Quand j'entends ça, quelqu'un qui n'est
pas capable de se remettre en question » (A, E1, 58-59)
« C'est là qu'ils se remettent en
question, c'est pas à moi de réfléchir sur le pourquoi du
comment » (I, E2, 56-57)
« C'est la faute de tout sauf de lui
quoi » (S, E2, 65-66)
A l'inverse, d'autres professionnels, lors du troisième
entretien, même s'ils formulent un embarras face à certains
étudiants : « je ne dis pas qu'il y a un profil type
mais peut-être que cette personne, il y a quand même en terme
comportemental, même si c'est un 1er stage, des petites choses
que... » (R) , nous montrent également leur
capacité à faire la différence entre l'étudiant en
tant qu'individu et l'étudiant en tant que futur professionnel :
« Un élève c'est une personnalité, y'a des
gens qui acceptent tout et d'autres qui acceptent pas du tout et puis y'en a
entre les deux quand même, lui il est entre le deux quand même,
ça va, c'est pas un rebelle non plus » (R) .De la
même manière, en ce qui concerne la remise en question, ces
professionnels tendent à montrer que, même si la remise en
question ne se fait pas d'emblée, elle peut être acquise par
l'accompagnement lors des stages : « l'élève
il a une capacité, il se remet peu en cause puisqu'il dit qu'avant
ça va très bien, que finalement c'est pas de sa faute parce que
c'est mal rangé, bon ça c'est une défense qui, à
mon avis, ne sera pas de taille... » (R)
Encore moins dans l'attente d'un étudiant
modèle, le trio d'infirmières interrogé a
systématiquement remis en cause les professionnels observés
montrant à la fois leur propre qualité de remise en question
comme qualité essentielle et à la fois le droit qu'ont les
étudiants de ne pas la posséder initialement.
Face à ces différentes postures, tout
naturellement, les deux premiers groupes interrogés ne donnent pas leur
confiance immédiatement celle-ci devant se gagner notamment face
à un étudiant qui remet lui-même en cause le service et le
fonctionnement des soins dans ce service. Une des infirmières, lors du
premier entretien nous livre ainsi ses doutes face à la réaction
de l'étudiant qui commet des erreurs lors de la réalisation des
boîtes à médicaments : « moi c'est le
type d'étudiant auquel je n'ai pas confiance (...) même les actes
de base je vais être obligée de les réévaluer avec
lui » (B). Dans une continuité d'esprit une
infirmière du deuxième groupe contourne une partie de ses doutes
face à la capacité des étudiants en nous disant
qu'à chaque début de prise en charge de sa part :
« je lui remontre à ma façon comme cela elle ne
pourra pas dire, je savais pas, je machin... » (I) Cette
même infirmière a une réaction similaire vis-à-vis
de l'étudiant qui remet l'environnement en cause plutôt que
lui-même : « c'est quelqu'un en qui j'ai pas confiance
et ... y'a du travail ! » (I)
Sur un autre point de vue, les infirmiers voient plutôt
cette attitude comme une technique de défense face à l'aveu de
leur ignorance et de l'étendue des savoirs à
acquérir : « C'est vrai que beaucoup
d'élèves dans les formations, quand on leur fait des reproches,
sont sur la défensive » (R). Ces infirmiers laissent
alors l'espace possible à l'apprentissage de cette qualité,
montrant eux-mêmes par cette réaction qu'ils la possèdent.
Ils permettent ainsi à l'étudiant de s'identifier à
travers cette qualité reconnue comme indispensable pour avancer, et ce,
même si cette reconnaissance oblige un travail sur soi qui peut
être difficile. L'imitation du modèle comme mode d'apprentissage,
c'est probablement ce qui permet au dernier groupe interrogé d'aussi
facilement chercher l'erreur du côté des professionnels
plutôt que du côté des étudiants qu'ils
considèrent comme ayant droit justement à cette erreur puisqu'en
formation, a contrario des professionnels censés être
aguerris et experts. Ainsi, s'il y a mauvaise annonce d'un diagnostic, elles
nous disent : « Nan, mais en fait, là, en y
réfléchissant, on se dit qu'elle était toute seule et
qu'on lui a pas fait de transmission en lui disant voilà, ce patient a
ça, il n'est pas au courant heuu, il faut attendre que le médecin
passe pour le préparer, lui annoncé... »
(F) et « bon en ça, l'infirmière est
peut-être en tord, elle aurait mieux fait en parler avant, pour moi en
parler à l'étudiante, lui informer de ce qu'elle doit
dire » (C). Et s'il y a erreur dans la préparation des
médicaments :
« De toute façon, à la
préparation des boîtes, il ya toujours le risque d'erreur
puisqu'il y a toujours un contrôle derrière quand on le donne,
donc à la limite, bon faut pas le faire mais c'est pas catastrophique
non plus c'est vrai que le.. pour ça ! Surtout qu'il y avait 17
boîtes, voilà, moi c'est surtout ça, c'est beaucoup, c'est
beaucoup, c'est pas le but d'un étudiant... » (V, E4,
72-76)
Nous pouvons donc nous permettre de dire que les deux derniers
groupes interrogés semblent plus sûrs de leurs propres actes, ce
qui leur permet de demander sereinement à l'étudiant :
« aller montre-moi ce que tu fais » (R) puisqu'ils
savent détecter les moments vecteurs d'action les plus opportuns pour
éviter que le soin ne dérape.
Ainsi les étudiants infirmiers ne sont pas des
étudiants modèles, ils ont des qualités et des
défauts comme tout un chacun qui peuvent leur permettre d'accéder
avec plus ou moins de facilité à leur statut de professionnel.
Mais passer du modèle de formation au modèle professionnel semble
prendre du temps et certains infirmiers souhaiteraient que les étudiants
qui s'offrent à eux soient par avance déjà sur un
modèle faisant consensus, notamment en termes de qualité de
remise en question de soi, pour que leur travail de formation soit
facilité. Il est difficile de déterminer ici quelles sont les
caractéristiques qui permettent de définir qui sont ces types de
professionnels mais la question du concours d'entrée dans les IFSI se
pose, même auprès de ceux qui servent eux-mêmes de
modèle comme le montre la question posée par un des infirmiers du
troisième groupe : « Bon après, on peut se
poser des questions sur le recrutement, les critères d'entrée
dans les écoles (...) les critères, ils sont jamais
comportementaux donc c'est difficile... » (R)
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