I. UN CADRE EDUCATIF AU SERVICE DE LA SOCIALISATION
I. UN CADRE EDUCATIF AU SERVICE DE LA
SOCIALISATION
La construction du cadre éducatif par le maître,
c'est avant tout ce qui va permettre de maintenir l'ordre nécessaire au
bon déroulement de l'enseignement. Pour cela, il doit instaurer des
règles de vie au sein de sa classe, adopter une attitude
particulière et prendre certaines mesures qui serviront de
repères et de référence aux enfants.
1. Instaurer des règles de vie
Des dispositifs incontournables...
Que ce soit en stage filé ou groupé, je n'ai pas
eu l'occasion de participer à l'élaboration de ces règles
de vie, les titulaires s'en étant toujours chargé en amont.
Néanmoins, je reste persuadé de l'importance de fixer un tel
dispositif, et ce dès le début d'année, pour plusieurs
raisons.
Ce système, en fixant à la fois les droits et
devoirs de l'élève et du maître, met en évidence le
fait que tous deux sont soumis à un contrat. Même si le
maître n'obéit pas tout à fait aux mêmes
règles que les enfants, il ne peut pas faire n'importe quoi. De plus, ce
dispositif de règles de vie permet de rendre les enfants «
décideurs » s'ils ont participé à
l'élaboration de celles-ci . Il contribue au développement de
leur socialisation, et à plus long terme de leur citoyenneté, en
les encourageant à assumer leurs choix collectifs. C'est un
système qui responsabilise les élèves. Par ailleurs, ce
système n'implique plus de sanctions arbitraires, mais renvoie les
élèves au règlement qu'ils ont eux-même
élaboré. Ainsi, les enfants prennent davantage conscience de
l'erreur qu'ils ont commise et la sanction prend tout son sens.
Il semble donc pertinent d'expliquer aux élèves
que l'on élabore ces règles de vie pour pouvoir organiser les
libertés individuelles, dans un cadre de respect mutuel et de
solidarité, mais également afin de se donner les outils pour
vivre et travailler ensemble à l'école. Il est également
important de formuler ces règles sous la forme de droits et
d'engagements personnels à se soumettre à des règles
plutôt que d'interdits, sauf dans le cas d'actes de violence. Par
exemple, l'enseignant pourra introduire ce fonctionnement avec le postulat
suivant : « Pour vivre ensemble en nous respectant, nous allons lever la
main pour prendre la parole, écouter un camarade lorsqu'il parle, ne pas
nous déplacer dans la classe lorsque nous n'y sommes pas autorisé
».
Il semble toutefois délicat de vouloir assigner une
sanction par infraction à la règle. Ce système pourrait
à court terme induire la hiérarchisation des fautes commises et
faire apparaître certaines comme moins graves que d'autres aux yeux des
élèves. Peut-être faudrait-il plus simplement distinguer
les comportements d'incivilité et ceux qui relèvent d'actes de
violence.
D'où la nécessité pour le maître
d'expliquer aux élèves le pourquoi de ces règles de vie.
Il doit, pour ce faire, prendre en compte les idées des enfants, les
accepter ou non et donner les raisons de son choix. Ainsi, les
élèves pourront mieux intérioriser la
nécessité d'un tel règlement, en éprouver la
justesse et donc petit à petit se l'approprier.
... à nuancer selon les âges
Lors de mon stage filé en petite section, j'ai pu
constater la présence d'un tel règlement, à savoir une
règle surmontée de son illustration : « quand je veux
prendre la parole, je lève le doigt », « pour me
déplacer dans la classe, je ne cours pas », etc. Celui-ci m'a
cependant semblé inutile, ou du moins pas assez impactant. En effet,
bien qu'il fût affiché au-dessus du tableau de la classe et les
règles illustrées, les élèves ne s'y
référaient jamais de leur propre chef. Sans l'insistance de
l'enseignant sur cet affichage, le plus souvent suite à l'infraction
d'une des règles, les élèves ne semblaient pas donner de
sens à ce qui était écrit.
On peut donc s'interroger sur la pertinence d'un tel affichage
en classe de petite section, où les élèves ne sont pas
encore physiologiquement aptes à se reporter à ce type de
document par euxmêmes. J'ai pu vérifier cependant que les
règles étaient assimilées par le plus grand nombre, mais
de manière orale. Un nouveau bémol cependant sur ce point
langagier, où j'ai personnellement ressenti que les élèves
de cet âge savent emmagasiner et répéter des consignes, le
plus souvent pour faire plaisir au maître mais sans toujours mettre du
sens derrière leur propos.
Lors de mon stage de pratique accompagnée dans une
classe de moyenne et grande section, j'ai pu observer un système de
réglementation similaire. Cette classe était assez remuante et
l'enseignant avait mis en place un dispositif qui permettait, chaque jour,
d'attribuer une évaluation de leur comportement aux élèves
en fonction du respect ou non des règles de vie.
Le professeur avait commencé par élaborer avec
sa classe le règlement que j'ai évoqué plus haut. Ensuite,
il avait mis en place un système de « bouches » : lorsque
l'élève recevait une « bouche qui rit », cela
signifiait qu'il avait su respecter les règles au cours de la
journée.
Lorsque le maître lui attribuait une « bouche
droite » cela voulait dire qu'il avait enfreint certaines règles et
qu'il avait perturbé les apprentissages. Enfin, une « bouche qui
pleure » signifiait que l'élève avait transgressé des
règles importantes, voire qu'il avait eu un comportement violent envers
ses camarades.
L'enseignant s'appuyait sur ce système de points pour
attribuer des droits aux élèves : une « bouche qui rit
» offrait à son détenteur la possibilité de tenir le
rôle de « facteur » dans l'école, c'est-à-dire
qu'il pouvait aller et venir, une fois son travail terminé, entre sa
classe et la classe voisine pour accéder aux ordinateurs. Il
était également en charge d'aller s'enquérir de la
composition de la collation auprès de l'ATSEM et de revenir l'annoncer
à ses camarades, ou encore qu'il pouvait aller aux toilettes sans
être accompagné. La « bouche droite » quant à
elle n'était pas punitive mais restrictive, imposant par exemple
à son malheureux possesseur l'obligation de demander à être
accompagné par une « bouche droite » aux toilettes.
Ce dispositif semble pertinent dans la mesure où, dans
une classe, on ne remarque souvent que les élèves perturbateurs.
On ne parle que d'eux et cela contribue finalement à leur donner de
l'importance. Ici, ce système permet de récompenser aussi les
élèves qui respectent les règles et que l'on ne valorise
peut-être pas assez. Si cette méthode semble bien pensée,
il importe néanmoins d'en faire ressortir une limite, notamment
concernant les élèves les plus difficiles qui, au bout d'un
certain temps, ne se laissent plus du tout impressionner par une « bouche
qui pleure » ni même par les remontrances de l'enseignant.
C'est pourquoi ce dispositif est complété chaque
fin de semaine par une « réunion des bouches ». Les
élèves sont réunis au coin regroupement et font, sous le
guidage de l'adulte, un point sur les évènements de la semaine et
sur les comportements qu'ils ont adopté durant ce laps de temps. C'est
l'occasion, notamment pour les « bouches droites » et les «
bouches qui pleurent », de se racheter une conduite. Ces derniers, au
moment de leur tour de parole, sont invités à effectuer un
travail introspectif et à décider s'ils sont prêts ou non
à s'engager à nouveau à respecter les règles de la
classe. Si l'élève concerné annonce à la classe
qu'il s'estime suffisamment responsable, la décision de lui accorder une
« bouche qui rit » est soumise à l'approbation ou non de ses
camarades.
Ce mode de fonctionnement me semble particulièrement
pertinent dans le sens où le maître a ici un rôle de
régulation et d'application de l'exécutif sur la décision
finale de la bouche à accorder, mais que les
délibérations sont menées entre élèves. Cet
acte démocratique, où chacun est libre de
présenter ses arguments, est porteur de sens pour ces
derniers puisqu'ici il n'est plus question d'être soumis à
l'autorité d'un adulte mais bel et bien au regard de ses pairs. Ce
dispositif fonctionne en classe de grande section et j'en arrive à
croire aujourd'hui qu'un fonctionnement équivalent, sous une forme
simplifiée, pourrait également porter ses fruits en petite
section à la condition pour le professeur d'être le plus tôt
possible crédible auprès de ses élèves.
La crédibilité incombant aux
adultes
Le maître de par son statut ne peut pas être
soumis aux mêmes lois que les élèves. Contrairement
à eux, il a le droit de se déplacer dans la classe et de parler
quand bon lui semble. Cependant certaines règles s'appliquent à
la fois aux élèves, au maître et par prolongement direct
à l'équipe éducative. En effet, si l'enseignant
n'obéit pas à ces lois communes, celles-ci n'auront plus aucune
valeur pour les élèves qui finiront par ne plus les prendre en
considération. De plus, cette attitude du maître entraînera
un sentiment d'injustice chez les élèves.
Pour illustrer cette idée, je vais m'appuyer sur une
remarque que m'ont faite les élèves de petite et moyenne sections
au cours de mon stage groupé. Un matin au coin regroupement, à
l'issue d'une activité mouvementée de graphisme, ils se sont
plaints de l'ATSEM qui les avait encadrée. Cette dernière leur
avait reproché de faire trop de bruit et leur avait donc imposé
le silence. Ce qui dérangeait les élèves, c'est que cette
ATSEM avait fait exactement ce qu'elle leur avait interdit de faire. Elle avait
discuté pendant tout le temps d'endormissement de la sieste de
l'après-midi avec une collègue de la classe voisine. A la fin de
la journée, j'ai donc pris un moment avec ces dernières pour
évoquer ce point, non dans l'intention de les brimer, mais en me
remettant le premier en question quant à l'attitude que nous adoptons en
présence des élèves.
Cette anecdote permet de montrer à quel point les
enfants sont sensibles à la justice. Ils sont très attentifs au
fait que les adultes en général, et l'enseignant en particulier,
respectent eux aussi certaines règles de la classe. Dans le cas
contraire, ils le discréditent très rapidement et décident
de ne plus se soumettre au contrat. Il ne s'agit pas là de rejeter la
responsabilité sur l'un ou l'autre acteur de l'équipe
éducative, mais bien de rester vigilant quant à l'image que nous
dégageons lors de notre pratique de professionnels. S'il est un
élément auquel j'ai été particulièrement
sensibilisé au cours de cette année de formation, c'est le
caractère humain et collectif du métier de professeur des
écoles particulièrement en maternelle, où s'imposent les
nécessités de collaborer, diriger et travailler en
équipe.
Il me paraît en effet aujourd'hui inconcevable
d'espérer gagner en crédibilité et en efficacité
pédagogique si un travail de fond sur le relationnel entre tous les
acteurs n'est pas entretenu. J'entends par là s'intégrer à
l'équipe pédagogique de l'école et cultiver des liens de
cordialité avec elle, afin de ne pas succomber à la
morosité d'une mauvaise journée de classe, mais de jouir de
l'expérience ou du recul de collègues plus
expérimentés. Je songe ensuite aux personnels de service qui
gravitent autour de l'école, particulièrement aux ATSEM, que
j'envisage dorénavant comme de véritables partenaires au sein de
la classe, aux parents et bien entendu aux élèves.
J'espère garder à l'esprit dans les
années futures que l'école n'est pas un lieu de productivisme,
mais bien une des dernières retraites des valeurs de la
République où chacun est considéré pour ses
qualités morales et humaines. D'où la nécessité de
ne pas soumettre les élèves à des sollicitations
cognitives trop lourdes. Ils subiront bien assez tôt dans leur vie les
impératifs de compétition mortifère liés au monde
des études et du travail.
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