TROISIEME PARTIE
DECLARATIONS INTERPRETATIVES, PIS-ALLER ET VUES
PROSPECTIVES
CHAPITRE PREMIER : PREFACE
Pour rechercher à la question des déclarations
interprétatives une solution qui soit en accord avec le sens de
l'évolution générale du droit international et les
principes qui s'en dégagent, il faudrait avant tout évoquer
brièvement cette évolution avec les réflexions qu'elle a
inspirées aux juristes. Ensuite, il faudra tirer les leçons qui
s'en dégagent pour nous, et particulièrement les
considérations qui s'imposent désormais pour la question des
déclarations interprétatives. Tout cela sera le but de cette
introduction qui constitue nécessairement un tour d'horizon
dépassant les cadres strict de notre sujet.
SECTION I- APERCU DE L'EVOLUTION RECENTE DU DROIT
INTERNATIONAL PUBLIC
A- Point de départ : le droit classique
1) Les sources
Toutes les règles qui régissent aujourd'hui les
relations internationales ont leurs bases historiques dans le droit
international classique qui fut à son apogée à la fin du
XVIIIème siècle. Il s'est formé peu à peu entre des
nations faisant partie de ce que le moyen âge connaît sous le nom
de chrétienté. Ces mêmes pays ont participé au
grand remous d'idées de la renaissance et ce sont inspirés des
doctrines du XVIIIe siècle. Dans ce monde, connu aussi sous le nom de
cercle culturel occidental, était alors appliqué un ensemble de
règles basées sur une morale chrétienne commune,
règles dont la validité n'était nullement remise en
question par leurs sujets, même si leur
portée et leur fondement philosophique faisaient
l'objet d'âpres discussions entre l'école positiviste et celle du
droit naturel. Les règles du droit classique se distinguaient par leur
homogénéité dérivant de leur base
idéologique et morale commune. Grâce à cela, elles
étaient appliquées avec une certaine régularité,
même si elles contrecarraient quelques fois des intérêts
particuliers. Elles avaient, aux yeux de ceux qui les invoquaient, un
caractère d'universalité facile à comprendre quand on se
représente qu'à ce moment la domination du monde non
européen par les nations européennes atteignit une ampleur sans
précédent. Grâce au colonialisme et la puissance
supérieure des nations européenne, le droit classique semblait
régir le monde entier.
1) L'élargissement du champ d'application
Cependant, cette domination était quelque peu illusoire
dans la mesure où c'étaient les puissances colonisatrices qui
traitaient entre elles pour se partages des colonies ou qui imposaient leur
façon de voir aux pays non colonisés. C'est seulement au
siècle dernier que le droit classique, ou plutôt ce qui en issu,
fut appliqué par les nations européennes. Sur le continent
américain, des pays nouveaux prirent naissance qui, en tant qu'anciennes
colonies étaient peuplés d'une majorité d'émigrants
d'origine européenne. Un pays asiatique comme le Japon, semi-asiatique
comme la Turquie ou même, dans une certaine mesure, la Russie tsariste
avec ses vastes territoires asiatiques et ses intérêts puissants
du côté occidental, traitaient désormais sur un pied
d'égalité avec les nations européennes. Tous ces pays ont
adopté naturellement le droit classique comme étant celui qui
était universellement appliqué.
De pair avec l'agrandissement de son champ d'application
territorial, va la naissance d'un nombre insoupçonné de sujets
nouveaux soumis dorénavant au droit international. La révolution
des communications internationales, dans toute l'acception du terme,
créa une quantité extraordinaire de questions à liquider.
Il fallait s'occuper de la circulation internationale des biens et des
idées par des moyens
toujours nouveaux que mettaient au point une technique en
progression constante. Mais c'est notre siècle qui a certainement
apporté les plus grands changements à l'ancien état de
choses. Ils concernent avant tout les efforts d'organisation internationale, la
naissance d'idéologies nouvelles et une profonde transformation de la
politique internationale. Les deux guerres mondiales ont provoqué
l'éclatement total ou partiel d'anciens empires qui étaient soit
des associations d'Etats européens, soit des empires coloniaux. De ce
fait, le nombre de pays nouveaux admis à traiter sur un pied
d'égalité avec les Etats européens n'a cessé de
croître. En même temps, pour couper court aux innombrables conflits
qui risquaient de faire naître ce morcellement du monde en petites
nations, on créa des organisations internationales comme foyers de
discussions en vue de régler toute dissension.
B - L'apparition des règles nouvelles
et du principe de nationalité
1) La formation des Etats
La création de ces pays nouveaux se faisait selon le
principe de nationalités qui exigeait la réunion de toute
population formant un groupement ethnique, culturel et historique dans un
même Etat. Il est évident que cela favorisait le sens de la
communauté, d'autant plus que cette reconnaissance d'être un Etat
national était souvent acquise à la suite d'une longue lutte et
de sacrifices communs. Tout cela ne manquait pas d'avoir des
répercussions profondes sur les relations internationales et, par
là, sur le développement du droit des gens qui se voyait de plus
en plus en plus confronté aux problèmes entièrement
nouveaux.
Une dernière évolution très importante
vient de se dessiner ces dernières années seulement. En effet,
jusqu'ici, la société internationale avait une structure atomique
à base de différents Etats qui s'alliaient tantôt avec les
uns, tantôt avec les autres, afin de réaliser des objectifs
essentiellement nationaux. A présent, on assiste à la formation
d'une société moléculaire qui divise le monde en quelques
petits groupes de puissances concentrées généralement
autour d'un pays important.
Ces groupes sont plus ou moins homogènes et visent la
réalisation d'intérêts et d'objectifs communs à
leurs adhérents. En outre, les liens entre les membres de ces groupes
sont souvent renforcés par une idéologie commune ou le fait
d'appartenir à un monde culturel identique. Ce développement
compromet fortement le principe de l'égalité de tous les sujets
de droit qui est un des fondements du droit international classique.
2) L'inflation des règles nouvelles et la modification
des règles anciennes.
Les profondes transformations de la vie internationale ont eu
un double effet sur le développement du droit classique. D'une part, on
assiste à la création d'un nombre impressionnant de règles
nouvelles à caractère administratif ou technique qui s'occupent
de problèmes neufs, inconnus du droit classique. D'autre part, on
constate une importante modification de l'interprétation et de
l'application de celles qui ont subsisté. Les règles nouvelles
concernent tout d'abord les problèmes posés par le
développement des communications internationales. C'est dans ce domaine
qu'on trouve le plus grand nombre de règlements. Leur élaboration
correspond en général à un besoin universel et ne touche
que de peu aux intérêts jugés vitaux par les
différents Etats. On y trouve très peu de conflits et le
développement du droit international se fait d'habitude d'une
façon saine et utile. En outre, les problèmes nouveaux ne
pouvaient être prévus lors de la naissance du droit classique, de
sorte que ce développement peut largement se faire en marge des
principes. Un second groupe de règles nouvelles est formé par les
tentatives de s'organiser sur le plan international. Ce sont des statuts de
différents organisme et leurs efforts en vue d'acquérir une
influence quelconque dans le déroulement des relations internationales.
Ici, l'oeuvre est beaucoup plus douteuse. Une tendance à
considérer certains désirs plus ou moins utopiques comme des
faits actuels a provoqué la création d'un nombre impressionnant
de règlement qui restent partiellement ou complètement en marge
de l'actualité internationale. Nous avons ainsi en apparence, une
imposante législation internationale qui consiste largement dans un
camouflage des conflits et problèmes
réels. Cet état de choses n'a guère
favorisé le respect du droit international à une époque
où les dures réalités font plus que jamais la loi.
Beaucoup de personnes sont ainsi amenés à voir dans le droit
international, une survivance désuète du passé qui n'a
plus aucune utilité réelle dans l'évolution des relations
internationales.
Un troisième groupe de règles est plus ou moins
lié au second. Il s'occupe de réglementer les conflits
internationaux qui n'ont pu être évités. Un pareil
règlement s'est imposé le jour ou les progrès techniques
ont complètement bouleversés la notion de guerre.
Malheureusement, les règles élaborées, pour indispensables
qu'elles soient, ont subi l'esprit utopique qui règne trop souvent dans
les organisations internationales. Pour être bien faites, elles sont
généralement restées inappliquées, sans oublier le
fait que l'absence d'un pouvoir supérieur coercitif sur le plan
international rend difficile de les imposer aux parties
belligérantes.
Si l'élaboration des règles nouvelles se solde
par un échec au moins partiel, le sort des règles formant le
droit classique n'a guère été meilleur. Tout ordre
juridique, pour être efficace, a besoin d'un fondement moral et
même, jusqu'à un certain point, d'une base idéologique qui
le justifie aux yeux de ses sujets et renforce ainsi son application. Un tel
fondement est plus indispensable encore au droit international qui ne
connaît pas la possibilité de renforcer une réglementation
par la puissance d'un pouvoir superposé aux sujets de droit. Or, ce qui
précède montre justement que nous assistons à
l'effondrement complet de bases morales et idéologiques du droit
international classique. Non seulement il est appliqué par les Etats qui
n'ont jamais fait parti du cercle des culturel occidental chrétien, mais
les nations même qui en font partie se détachent plus ou moins de
son idéologie commune pour s'adonner à des principes
nationalistes.
Par conséquent, les Etats ne reconnaissent, pour la
plupart aux règles du droit international d'autre raison d'être
que leur application pendant un temps assez long. Alors, il ne faut
guère s'étonner de leur façon cavalière de les
interpréter et de les appliquer. C'est une conséquence tout
à fait logique du développement d'idées en ce début
de siècle que chaque Etat, se croit non seulement justifié, mais
surtout obligé de les interpréter certaines dispositions
normatives selon ses principes nationalistes
et, s'il en a une, selon son idéologie
particulière. Il n y a pas, dès lors, de quoi s'étonner si
nous constatons une inflation considérable de la pratique des
déclarations interprétatives unilatérales dans le champ
conventionnel. La tendance à ne pas respecter le droit international a
en même temps pour effet de renforcer le retour des relations
internationales vers le principe de la politique de force, retour qui est
surtout causé par la formation de blocs très puissants. Si dans
une société internationale atomique, il est souvent beaucoup plus
difficile de prévoir toutes les répercussions d'un acte de force,
il devient plus simple de mesurer l'importance des facteurs en concurrence
lorsque les éléments à considérer sont en nombre
restreint. En même temps, l'accumulation de puissance à un niveau
jusqu'ici inconnu, donne à ces blocs une conscience accrue de leur
capacité et les incite à ne pas tenir compte des règles de
droit qui forment un obstacle à leurs ambitions.
C- Les perspectives d'avenir
1) Risques de désagrégation
Si l'on veut rendre compte des possibilités de
développement futur du droit international, droit qui nous
apparaît comme étant en pleine déliquescence, il faut se
rappeler les caractéristiques particulières du droit des gens. La
société internationale est caractérisée par une
égalité théorique plus ou moins réelle de ses
membres auxquels ne s'oppose aucun pouvoir supérieur. Dès lors,
toute règle de droit doit renoncer à vouloir s'imposer par
coercition et ne peux espérer être appliquée qu'en raison
de son utilité ou de son acceptation par les sujets de droit
international. Toute évolution du droit international ne peut donc
être efficace si elle ne se base pas sur l'acceptation implicite ou
explicite de ses sujets. Les déclarations interprétatives
n'auront plus alors leur raison d'être- ce qui veut dire qu'elle doit
correspondre à une morale internationale qui, vu l'opposition
irréductible entre les morales nationales et les aspirations d'une
société internationale, devra se former en marge de celle
là. A notre sens, les hypothèses suivantes se dessinent alors
pour un développement futur.
a) Faute d'une base nouvelle, le droit des gens se dissout
complètement et nous retournons à un état plus ou moins
anarchique des relations internationales. Cette possibilité suppose le
renforcement de la tendance actuelle vers la formation d'un tout petit nombre
de superpuissances, soit par intégration des nations qui les composent,
soit par la naissance de fédérations supranationales
localisées - le Conseil de l'Europe par exemple. Avec aussi peu de
sujets, les relations internationales n'auront plus un besoin absolu de
règles, et leur détermination par les seuls facteurs de puissance
réciproque semble possible.
b) L'importance croissante des communications internationales
et l'interdépendance de plus en plus forte fini par aboutir à une
nouvelle morale internationale, peut être très rudimentaire, mais
suffisante pour servir de base à de nouveaux principes régissant
les relations internationales. Ce pourrait être le cas si une
épreuve de force entre les blocs de puissance en compétition
amenait à leur éclatement et rétablissait, sous forme
différente peut être une structure plus atomique de la
société internationale.
2) L'élargissement du champ d'application
Une compétition entre puissances pourrait
également se solder par la victoire totale de l'un d'eux, surtout si,
grâce à une idéologie commune de ses membres, il
présente une telle cohésion qu'il ne s'intègre pas devant
l'absence d'un adversaire sérieux. Dans ce cas, une morale
internationale en accord avec cette idéologie victorieuse pourrait
imposer les règles d'un droit nouveau. En dépit de toutes
les apparences défavorables à un tel développement, il se
pourrait qu'un organisme supranational universel autre ou en remplacement de
l'O.N.U vît le jour qui, fort de son pouvoir législatif,
imposerait des règles selon lesquelles devraient se dérouler
désormais les relations internationales. Ce serait la fin du droit des
gens qui deviendrait le droit public d'un Etat universel.
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