B- L'exigence de la compatibilité de la
déclaration interprétative avec l'objet et le but du
traité
Comme dans le cas des réserves, la compatibilité
d'un acte unilatéral relatif à l'interprétation d'une
convention avec l'objet et le but du traité, est l'une des exigences
fondamentales (c'est le moins que l'on puisse dire) en ce qui concerne la
question de l'admissibilité des déclarations
interprétatives. Toutefois, l'utilisation du critère de
compatibilité diffère selon qu'il s'agit de son
appréciation par le juge ou par les parties.
1) Appréciation de la compatibilité des
déclarations par le juge international
La question est assez
délicate. Pour peu que l'on se pose la question de savoir si une
éventuelle intervention du juge international aux fins de
l'appréciation du critère de compatibilité peut permettre
d'éviter toute incertitude en ce qui concerne le statut des Etats et
celui de la convention. Par exemple, si parmi les Etats dont la ratification
permettrait l'entrée en vigueur du traité, l'un d'eux fait une
déclaration interprétative dont la validité est
contestée, l'entrée en vigueur est-elle suspendue jusqu'au moment
ou le juge rendra sa décision ? Dans la négative, et la
déclaration interprétative est finalement déclarée
incompatible, le traité cesse t-il d'être en vigueur ? ou
alors est-il considéré ab initio comme n'ayant jamais
été en vigueur ?
Si au contraire, la déclaration interprétative
est déclarée compatible, quelle est la portée de cette
décision à l'égard de l'Etat objectant ? Nous pensons
que ce dernier devra reconnaître à l'Etat auteur de la
déclaration interprétative la qualité de partie à
la convention. Sans que cela implique qu'il doive retirer son objection et
accepter d'être lié à cet Etat. Une telle
interprétation serait en effet, en contradiction avec le principe
fondamental du consentement selon lequel un acte ne peut être opposable
à un Etat tant qu'il n'a pas donné son assentiment. Elle
aboutirait aussi à priver le Etats du droit de formuler des objections
pour des motifs autres que l'incompatibilité avec l'objet et le but du
traité, alors que chaque Etat doit pouvoir apprécier la
portée d'une
déclaration interprétative en fonction de ses
propres intérêts. Même parfaitement valable, une
déclaration interprétative peut avoir pour un Etat donné,
des conséquences préjudiciables contre lesquelles il doit pouvoir
se prémunir.
Ainsi, le recours au juge ne supprimerait pas le chassé
croisé entre les Etats parties, ceux qui ont fait les
déclarations interprétatives, ceux qui les acceptent et ceux qui
les refusent. A moins que l'on accepte (ce qui serait fort dangereux...) dans
l'hypothèse des déclarations interprétatives, le principe
de l'unanimité qui a été abandonné depuis l'avis
consultatif de 1951 relatif aux réserves à la convention sur la
prévention des crimes de génocide, il n'est pas possible nous
semble-t-il de trouver un système qui évite ces complications
dans les relations conventionnelles.
Bien qu'elle apparaisse comme le meilleur moyen
d'apprécier de façon objective la validité d'une
déclaration interprétative, la solution judiciaire ne permettra
pas nous semble-t-il de surmonter tous les obstacles. La raison principale
réside dans le fait qu'il n'est pas possible d'isoler la question de la
validité des déclarations interprétatives et de la traiter
uniquement en tant que telle, comme si la décision prise à ce
sujet ne déterminait pas la participation de l'Etat auteur de la
déclaration interprétative. Or, si l'admissibilité d'une
déclaration interprétative ne relève en elle-même
que du domaine juridique, il n'en est pas de même de l'acceptation d'un
Etat parmi les parties au traité (ou de son rejet). De nombreuses
considérations politiques interviennent. A plus forte raison si cet Etat
se propose de faire une déclaration interprétative. C'est cette
politisation inéluctable du débat qui complique l'intervention de
la cour.
Dans son opinion dissidente de l'arrêt de la Cour
internationale de justice du 2 juin 1999 relative à la
licéité de l'emploi de la force, le juge KRECA fait valoir que
les premières et deuxième « déclarations
interprétatives » formulées par les Etats Unis à
l'égard de l'article II, sont en réalité des
réserves incompatibles avec l'objet et le but de la convention sur le
génocide. Plus précisément, les articles II, III, IV de la
convention sur le génocide à tout le moins appartiennent au
jus cogens. Les normes du jus cogens sont
prééminentes ; elles ont donc pour effet de frapper de
nullité toute acte, qu'il soit unilatéral ou bilatéral qui
n'est pas en conformité avec elles.
Cette conclusion logique, fondée sur la nature
impérative ou absolument obligatoire des normes du jus cogens
qui expriment dans le domaine normatif les valeurs fondamentales de l'ensemble
de la communauté internationale, a notamment été
confirmée dans les affaires du plateau continental de la mer du nord. La
seule façon d'écarter la sanction de la nullité en ce qui
concerne la déclaration interprétative des Etats Unis à
l'égard de certaines dispositions de la convention sur le
génocide est peut être l'interprétation selon laquelle la
nullité ne frappe que les déclarations interprétatives et
qu'elle n'a pas d'incidence juridique sur la réserve elle-même.
Cependant, une telle interprétation serait contraire au
principe fondamental d'indivisibilité des actes en contradiction avec la
norme du jus cogens qui est énoncée au paragraphe 5 de
l'article 44 de la convention de Vienne sur le droit des traités.
3) Appréciation de la compatibilité des
déclarations interprétatives par les Etats
intéressés
La procédure du recours au juge est elle la plus
profitable quant à l'obtention d'une éventuelle
appréciation objective de la validité des
déclarations interprétatives ? Nous sommes bien
tentés, sans grand risque de nous tromper, d'affirmer que le
consentement des Etats est un moyen certain de donner un contenu réel et
pratique au critère de la compatibilité, à condition peut
être que ce consentement soit unanime ou majoritaire. Toutefois, il est
important de souligner que cette conception ne correspond pas du tout à
la réalité. Dans la mesure ou l'acceptation d'une
déclaration interprétative ne signifie en aucun cas qu'elle est
compatible avec l'objet et le but du traité. Elle lui permet tout
simplement d'avoir des effets juridiques. Car, et d'une façon
générale, - il faut bien le signaler ici - l'assentiment d'un
Etat ne tient toujours pas compte de la validité de la
déclaration interprétative, mais très souvent des
conséquences que peut avoir pour ses intérêts l'acceptation
de la déclaration interprétative proposée. Dans la
pratique, un Etat partie n'accepte pas une déclaration
interprétative mais l'Etat qui l'émet.
Cette dissociation entre l'acceptation et la
validité effective de la déclaration interprétative, met
en relief les questions d'unanimité et de majorité, et
apparaît aussi bien lorsque le consentement a été unanime
ou simplement majoritaire. Mais cela peut sécréter de graves
inconvénients car, en établissant que sont compatibles les
déclarations interprétatives qui soulèvent les
protestations des deux tiers des Etats parties, on affirme à contrario
que tout les autres sont compatibles. A notre sens, un tel raisonnement risque
de masquer la réalité.
En définitive, l'intervention du juge international ou
des Etats intéressés n'étant ni opportune, ni probante,
les différentes modalités d'acceptation revêtent une grande
importance puisque, suivant le degré de consentement exigé,
elles peuvent permettre de conserver au critère de compatibilité
une certaine réalité en empêchant la formulation des
déclarations interprétatives abusives ou au contraire le
réduire à une fiction.
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