1.3/ L'alternance intégrative comme méthode
pédagogique
« Le référentiel de formation est
construit par alternance entre des temps de formation
théorique réalisés dans les instituts de formation et des
temps de formation clinique réalisés sur les lieux où sont
réalisées des activités de soins »
(arrêté du 31/07/2009, annexe 3, p. 71).
L'alternance ne doit pas être considérée
dans ces mots comme la juxtaposition de deux lieux d'apprentissage que
l'étudiant doit séparer. Pourtant, lors des entretiens, les
interviewés me faisaient remarquer un décalage du formateur avec
« la réalité du terrain ». L'IDE 1
cite : « Bah oui, il y a des fois, il y a un décalage
et puis ce qui est tout à fait normal quoi ». Je retiens
ici un mot : « normal ». En quoi ce
décalage pourrait être normal ?
Si l'institut est associé à la théorie,
le stage est associé à la pratique. « Trop souvent
on sépare absolument pratique et théorie en fonction des lieux de
formation : d'un côté le centre, l'Institut de formation, et,
d'un autre côté, le terrain, lieu de stage considéré
comme le miroir du futur poste professionnel » (B. Donnadieu, M.
Genthon, M. Vial, 1998, p. 31). Ce n'est donc pas forcément que le
point de vue des interrogés est la réalité mais c'est une
représentation construite par le système. «La logique de
production du système travail et la logique de formation du
système école sont contradictoires [...] Il y aura donc toujours
tension et conflit entre les deux finalités dans un système
alterné [...] C'est que ce conflit de logiques structure les
représentations de chaque lieu et se traduit par une opposition
théorie / pratique.» (A. Geay, 1998, p. 36). Ainsi, si, comme
l'a fait transparaitre l'analyse des entretiens, le formateur représente
la théorie et le stage la pratique, je me permets d'extrapoler cette
opposition théorie / pratique vers une opposition entre
formateur et soignant.
Qu'en est-il de l'étudiant dans cette vision
dichotomique ? Ces deux logiques confrontées, « il
devient évident que l'étudiant rencontre très rapidement
d'énormes difficultés » (A. Goudeaux, 1998, p.
37). Donc cela viendrait confirmer que si l'opposition théorie
/ pratique ou encore formateur / soignant est abolie, l'étudiant
trouverait sa place plus facilement.
Mon constat reposait en partie sur ce point. Les
représentations étant en amont de cette opposition, le fait de
travailler les représentations soignant / formateur contribuerait
à rendre plus facile l'apprentissage de l'étudiant au sens
large.
Si le travail sur les représentations a permis de
mettre en exergue les conditions de leur changement par des circonstances
externes nouvelles, il s'avère que l'alternance comme principe
pédagogique de cette formation infirmière ne change pas par
rapport au référentiel précédent. Donc comment
considérer l'alternance si l'on souhaite faciliter les
relations ?
Nombre d'auteurs (Geay 1998, Schneider 1999, Clenet 1998)
argumentent la notion par le même constat et donnent trois façons
de classifier l'alternance.
Tout d'abord l'alternance dite juxtapositive qui font se
succéder période de stage et période de cours sans liens.
Ensuite l'alternance dite associative, qui rapproche les deux milieux sans pour
autant considérer l'étudiant comme acteur. Enfin il existe
l'alternance dite intégrative, « la forme
la plus efficace sur le plan de l'apprentissage » (A. Goudeaux,
1998, p. 36), qui permet à l'étudiant de confronter les deux
univers pour les lier.
C'est dans cette dernière définition que
s'inscrit le référentiel de formation infirmier. La
volonté de ce référentiel est de permettre à
l'étudiant une véritable confrontation de ses apprentissages tant
sur les lieux de stage qu'en IFSI. Ces deux « mondes » vont
devoir opérer un réel échange. Il est écrit :
« des liens forts sont établis entre le terrain et
l'institut de formation, aussi les dispositifs pédagogiques et les
projets d'encadrement en stage sont-ils construits entre des
représentants des IFSI et des lieux de soins et sont largement
partagés » (arrêté du 31/07/2009, annexe 3).
Plus que des échanges sur les étudiants présents en stage
à un moment donné, les soignants et formateurs devront
« construire » la démarche d'encadrement. Ils
entrent ainsi dans une collaboration pour une ingénierie de la
formation. C'est écrit, mais comme nous l'avons vu dans la partie sur
les représentations, les relations sont parfois irrationnelles et
écrire ne suffit pas à rendre effectif. Dans l'alternance,
« il faut l'engagement des deux institutions dans un projet
commun où les rôles et les responsabilités de chacun sont
clairement définis » (A. Geay, 1998, p. 58) au risque que
les représentations ne prennent le dessus sur l'efficacité de la
relation.
Le partenariat institut - formation doit donc être un
engagement des deux parties, éclairé, un partage, et
co-construit. « Le travail de co-construction initié entre
formateurs et partenaires du terrain se révèle aujourd'hui
nécessaire et incontournable » (N. Akara, V.
Cabaret, S. Lougez, C. Tournant, 2009, p. S10).
Nous avons vu l'importance du partenariat institut - stage
dans l'alternance. Mais à ce stade, je m'interroge sur la place
laissée à l'étudiant. « L'étudiant
est amené à devenir un praticien autonome, responsable et
réflexif, c'est-à-dire un professionnel capable d'analyser toute
situation de santé, de prendre des décisions dans les limites de
son rôle et de mener des interventions seul et en équipe pluri
professionnelle. » L'enjeu est là mais la question du
comment reste. Il ne s'agit pas de lui dire « tu deviendras un
praticien autonome, ... » mais de l'amener à. Pour en arriver
à ce résultat, il lui faut l'aide des professionnels mais il faut
aussi son implication. Pour mesurer ses acquisitions, encore faut-il qu'il
parvienne à les conscientiser. Or seul lui peut y arriver. C'est en cela
qu'on peut le qualifier d' « acteur » de sa formation.
C'est également pour cela que institut et stage ne peuvent concevoir le
partenariat qu'en y incluant l'étudiant. « Ainsi,
l'alternance, au niveau des acteurs de terrains, se joue à
trois. » Point commun entre les professionnels de
proximité et les formateurs, l'étudiant est placé au
centre de leurs réflexions, et « cela nécessite
d'associer les jeunes : à la définition des objectifs de
leur formation ; au processus d'évaluation, en développant
l'auto-évaluation. » (J. Schneider, 1999, p. 151).
Par conséquent, par alternance, on doit comprendre
projet commun, partenariat, c'est-à-dire moyens devant assurer la
formation de l'étudiant. Si les conditions du partenariat sont
posées à savoir la nécessité de définir
clairement le rôle des trois acteurs dans l'alternance
intégrative, le projet commun reste à éclaircir. Si le
projet est la projection d'une démarche, si l'étudiant est au
centre de la formation, c'est dans la finalité de la formation pour
l'étudiant que l'on va éclairer ce point. Cette finalité,
une fois définie pourra constituer l'objet de la représentation
commune des soignants et des formateurs en vue de créer ou
recréer le lien social les unissant pour la formation de
l'étudiant.
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