PREMIÈRE PARTIE.
LE SORT DES DROITS DE PRÉEMPTION AU PREMIER
TEMPS DE LA PROCÉDURE COLLECTIVE
Le plan de ce mémoire suit les différentes
étapes de la procédure collective.
Ce choix est justifié par le fait que le droit des
procédures collectives modifie les droits et devoirs des
différents acteurs au cours des différentes procédures.
En effet le débiteur, soumis à une
procédure collective, verra ses droits restreints au début de la
procédure au profit de l'administrateur judiciaire et il en sera
totalement dessaisi au moment de la liquidation judiciaire.
Cette partie sera composée de deux temps, dans un
premier temps nous rappellerons les règles relatives à
l'ouverture dans une procédure collective car l'interaction entre le
droit de préemption et le droits des procédures collectives
commence à cet instant, ensuite nous essayerons de déterminer les
effets de l'ouverture d'une procédure collective sur les droits de
préemption en matière agricole.
A. LE SORT DES DROIT DE PRÉEMPTION AU
DÉBUT DE LA PROCÉDURE COLLECTIVE AGRICOLE
Le jugement d'ouverture marque le début de la
procédure collective, le tribunal constate que l'entreprise
connaît des difficultés de nature à amener à une
cessation de l'activité.
Ce jugement a un effet constitutif, il impose une nouvelle
organisation et de nouvelles règles à l'entreprise contre
laquelle une procédure a été ouverte.
1. Rappel des règles déterminant l'ouverture
d'une procédure collective en matière agricole et de leurs
effets
Le sujet traité se situe temporellement entre le
jugement d'ouverture de la procédure et la clôture, de ce fait il
est important de revoir les règles qui commandent l'ouverture d'une
procédure et leurs conséquences.
a. L'état de l'entreprise agricole : la notion de
difficultés avérées ou prévisibles de cessation des
paiements
L'ouverture d'une procédure collective est
subordonnée à l'état financier de l'entreprise. Par
l'état financier nous entendons le rapport entre l'actif et le passif de
l'entreprise.
On utilise le terme « procédures collectives
», ce pluriel signifie qu'il existe plusieurs procédures
collectives différentes dont le choix est principalement lié
à l'état financier de l'entreprise.
Les exploitants agricoles sont soumis aux mêmes
procédures que les entreprises commerciales, à l'exception d'une
particularité : la procédure de conciliation ne peut être
utilisée. Une autre procédure amiable est prévue en
matière agricole : le règlement amiable. Il existe une
spécificité relative à cette procédure.
En effet, l'article L. 351-1 du Code rural interdit l'ouverture
d'une procédure en redressement ou de liquidation judiciaire à
l'encontre d'un exploitant agricole suite à la
saisine du tribunal par un créancier avant l'ouverture
d'une procédure de règlement amiable.
Cette condition s'applique pour toutes les entreprises
agricoles à l'exception des entreprises agricoles exploitantes sous
forme de sociétés commerciales (SARL...).
La procédure collective qui intervient le plus en amont
est la procédure de sauvegarde. Celle-ci a été
instituée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 et
codifiée aux articles L. 620-1 et suivants du Code de commerce.
Elle est ouverte à deux conditions :
- seul le débiteur peut en demander l'ouverture ;
- l'exploitant doit faire face à des difficultés
avérées ou prévisibles.
Cette procédure a donc un caractère volontaire,
au contraire de la procédure de redressement et de liquidation
judiciaire où le débiteur en état de cessation des
paiements est obligé de demander l'ouverture en vertu de l'article L.
631-4 Code de commerce sous peine de sanctions.
Les conditions de fond relatives à l'ouverture de cette
procédure ont pour but d'intervenir le plus tôt possible dans la
prise en charge des difficultés.
En effet, la notion « des difficultés
avérées ou prévisibles » se caractérise
par sa souplesse, en effet elle permet d'intervenir sur des difficultés
à un stade où elles n'ont pas encore causé des dommages
irrémédiables.
Elle appelle une appréciation in concreto de la
situation du débiteur par les juges.
En matière agricole, cette notion permet notamment
à un exploitant agricole de demander l'ouverture une procédure
dès qu'un événement va grever son résultat, par
exemple la diminution des cours des matières premières ou une
épidémie qui frappe le bétail. La procédure doit
amener à l'élaboration d'un plan de sauvegarde à l'issue
d'une période d'observation permettant de pérenniser
l'entreprise.
La procédure de redressement judiciaire intervient plus
en aval. Elle doit être ouverte en principe dès que l'entreprise
est en état de cessation des paiements en vertu de l'article L. 631-1 du
Code de commerce.
Cette notion appelle une appréciation in abstracto
de la part des juges contrairement à la notion « de
difficultés avérées ou prévisibles ».
Elle signifie que l'entreprise ne peut faire face à son passif
exigible avec son actif disponible. C'est une situation comptable.
Par passif exigible on entend l'ensemble des dettes certaines,
liquides et exigibles. Il est à noter que l'on entend par dette exigible
une dette non seulement dont le terme est expiré mais aussi une dette
sur laquelle les créanciers n'ont consenti aucun moratoire ou
crédit.
Cette notion a été jugée insuffisante, la
connaissance de l'état de cessation des paiements était souvent
trop tardive et obligeait à ouvrir une procédure de liquidation
judiciaire 4. Cette critique a conduit a
créé la procédure de sauvegarde.
En matière agricole, la dette d'un exploitant agricole
envers un fournisseur par exemple de matériels dont le terme est
expiré est une dette exigible, sauf si ce fournisseur consent une
réserve de crédit ou un moratoire 5.
L'actif disponible désigne l'ensemble des ressources
financières disponibles immédiatement ou par conversion
immédiate, ce qui en terme comptable correspond en grande partie
à l'actif circulant dans le bilan : solde créditeur du compte
bancaire, stocks de marchandises en cours d'être vendu et argent en
caisse.
Il y a un certain nombre de règles relatives à
la fixation de la date d'état de cessation des paiements.
La date de cessation des paiements est appréciée
au jour où la juridiction statue 6. La seule
constatation qu'un exploitant agricole soit débiteur de dettes qu'il
refuse de payer ne permet à un créancier d'obtenir l'ouverture
d'une procédure collective à son encontre, ce dernier doit
établir l'incapacité du débiteur à payer sa dette
avec son actif disponible.
La procédure de redressement suit le même
cheminement que la procédure de sauvegarde (cette dernière
reprend presque toutes les règles de la procédure de sauvegarde
mais elle permet d'intervenir plus tôt). Cette procédure doit
permettre à l'issue d'une période d'observation l'adoption d'un
plan de redressement judiciaire
4 C. Saint-Alary-Houin, « L'ouverture de la
procédure de sauvegarde », Rev. proc. coll. Avril-mai-
juin 2008, p. 85.
5
C. com. art. L. 631-1, al. 1.
6
Cass. com. 7 novembre 1989 : Bull. civ.
IV, n° 273.
permettant d'assurer la pérennité de
l'entreprise par un travail de concertation entre l'administrateur judiciaire,
le débiteur et les créanciers.
Enfin la dernière procédure pouvant faire
l'objet d'un jugement d'ouverture est la procédure de liquidation
judiciaire codifiée aux articles L. 640-1 et suivants du Code de
commerce.
Cette procédure est ouverte dès lors que le
débiteur est en état de cessation des paiements et que le
redressement est impossible, la liquidation est prononcée lorsque la
situation du débiteur est irrémédiablement compromise,
c'est à dire lorsque la situation du débiteur n'est plus viable
et n'a plus de chance d'être redressée 7.
Le but de cette procédure est de tenter d'apurer le
passif avec le produit de la réalisation d'actif. Elle peut se faire
sous deux modalités depuis la loi du 26 juillet 2005 : une liquidation
pure et simple ou un plan de cession, cette dernière solution permet de
céder une partie ou la totalité de l'activité permettant
d'apurer le passif tout en contribuant au maintien de l'activité.
Si l'état financier de l'entreprise continue de se
dégrader au cours de la procédure (le débiteur est en
état de cessation de paiement au cours de la procédure de
sauvegarde), les magistrats sont tenus de modifier la procédure par un
jugement de conversion 8.
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