CONCLUSION
Nous avons étudié le sort des droits de
préemption ruraux tout au long de la procédure collective.
Il nous a permis de faire ressortir une problématique
qui traverse le droit rural : le droit agricole n'est pas le droit de
l'entreprise agricole mais celui de l'exploitation agricole.
L'esprit du droit commercial et du droit rural sont en partie
opposés. Il suffit de lire certains titres d'articles au titre explicite
: « Le droit commercial frappé de ruralité »..., ces
deux droits sont perçus comme antagonistes et leur interaction comme un
empiètement de l'un sur l'autre.
En effet, si ces deux droits encadrent une activité dont
le but est de générer un profit, les formes souhaitées de
l'activité sont radicalement différentes.
Le statut du fermage vise à protéger
l'exploitation familiale des bailleurs et de phénomènes
spéculatifs tels le prix du loyer ou la vente de fonds agricole. La
volonté de les encadrer résulte d'un but protéger les
exploitations moyennes d'une disparition.
Si l'intention est louable, nous avons constaté tout au
long du mémoire que le droit des procédures collectives se
prête parfois très mal aux problèmes des exploitations
agricoles.
Le statut des baux ruraux d'ordre public rend le bail rural
rigide 78, cette rigidité s'accorde mal du
droit des procédures collectives agricoles dont le but est de
libérer le débiteur d'un certain nombre de contraintes afin de se
redresser.
Ce statut souffre dans une certaine mesure d'un
vieillissement, son esprit ne correspond plus à l'époque actuel.
L'esprit qui a motivé l'introduction du droit de préemption du
preneur en est l'exemple.
Introduit afin d'accroître le faire-valoir direct des
exploitations moyennes, il est souvent peu utilisé. Les agriculteurs
concentrent majoritairement leur investissement sur l'achat de matériel
agricole. De plus, le faire-valoir direct pose des problèmes
successorales que le salaire différé ne peut résoudre.
Les résultats de ces difficultés sont
édifiantes.
78 S. Crevel, La rigidité des
contrats, RD rur., 2010, n° 384, p. 13.
Les différents acteurs (juge, avocat...) sont
obligés de contourner le statut du fermage afin de sauver les
exploitations agricoles, la pratique de versements de pas de porte de
manière détournée est un triste exemple.
La Cour de cassation face aux multiples points de frictions
entre le droit rural et le le droit des procédures collectives
interprète littéralement les textes avec comme critère
pour écarter le droit rural une disposition expresse du Code de
commerce, le principe est donc : « Un ordre public chasse l'autre
».
Elle conduit à poser des principes dont les
conséquences sont incertaines telle la conservation de la maîtrise
par le preneur en situation de liquidation judiciaire de son droit de
préemption.
La plupart des tentatives tendant à faire
évoluer les pratiques telle la validation des pas de porte des baux en
cas de plan de cession ont échoué, pourtant elles n'auraient que
légaliser des pratiques.
Les juges sont certes tenus par un droit, cependant la
jurisprudence a parfois provoqué le législateur pour changer la
loi.
L'arrêt Desmares 79 est un
exemple. La jurisprudence voulait une intervention du législateur sur la
question de la responsabilité des conducteurs d'engins terrestres
à moteur. Cet arrêt avait eu pour but de provoquer le
législateur, la Cour de cassation avait en l'espèce adopté
une position extrêmement sévère vis à vis des
conducteurs d'engins à moteur.
La loi du 5 juillet 1985 a institué un droit à
indemnisation des victimes d'accident de la circulation routière.
L'élan de la réforme est venue de la jurisprudence.
C'est donc le droit qu'il faut modifier. Il existe plusieurs
options :
- écarter purement et simplement la plupart des
dispositions du Code rural en cas de procédures collectives ;
- créer un droit des procédures collectives
agricoles autonomes ;
- modifier le statut du fermage pour glisser progressivement vers
l'entreprise agricole.
79 Cass. civ. 2e, 21 juilllet 1982 : D.
1982, p. 449, concl. Charbonnier.
Les deux premières options sont irréalistes et
contraires à l'évolution actuelle du monde agricole, la
troisième est plus cohérente et permettrait une adaptation lente
de la législation agricole au monde actuel.
La loi d'orientation agricole n° 2006-11 du 5 janvier 2006 a
apporté un début d'évolution par la création du
bail cessible et du fonds agricole.
La dernière loi d'orientation agricole n° 2010-874
en date du 27 juillet 2010 n'aborde pas ce domaine alors que suite aux
difficultés économiques rencontrées par les agriculteurs
ces deux dernières années le nombre d'exploitations agricoles en
difficultés a explosé.
Il est vrai qu'elle aborde d'autres sujets inexplorés
ou presque : règles applicables aux contrats écrits entre
producteurs et acheteurs de certains produits agricoles, assurances
agricoles...
Peut être est-ce pour la prochaine fois.
|