Le sort des droits de préemption dans les procédures collectives agricoles( Télécharger le fichier original )par Jérémy MAINGUY Université de Poitiers - Master 2 Droit de l'activité agricole et de l'espace rural 2010 |
2. La cession des actifs isolés et le droit de préemption du preneura. L'exercice du droit de préemption du preneur en cas de liquidation judiciaireLa première question est de savoir si le droit de préemption du preneur est neutralisé par la cession d'actifs de manière volontaire ou forcée. Contrairement au plan de cession il n'existe aucun texte répondant explicitement à cette question. Cependant au fil de notre réflexion, il est apparu que, sauf textes contraires, les dispositions d'ordre public du Code rural s'appliquent aux procédures collectives. Nous avons déjà évoqué les conditions d'exercice du droit de préemption du fermier. Il s'exerce en cas de toutes aliénations à titre onéreux sauf expropriation et apport en société. L'article L. 412-2 du Code rural précise qu'il s'exerce sur toutes les ventes y compris les adjudications, ce qui inclut les ventes forcées. Le Code rural ne semble donc pas prévoir une exception pour cette cession, qu'elle soit volontaire ou forcée, sauf dans le cas de l'ancien article L. 461-18 du Code rural aujourd'hui abrogé. La jurisprudence a confirmé cette position après plusieurs hésitations. En effet, la jurisprudence s'est déchiré sur le sort du droit de préemption du preneur lors de l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire. Bien que la lettre du texte soit favorable à l'exercice du droit de préemption du preneur, plusieurs arrêts de la cour d'appel de Montpellier 62 l'ont neutralisé sur le fondement du caractère non-volontaire de cette aliénation. Il est vrai que la cession des biens du débiteur, dessaisi de ces droits au profit du liquidateur, ne peut être considérée comme volontaire. L'arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 5 février 2003 63 a mis fin à cette mauvaise interprétation de la loi dans un attendu qui pose comme principe que la liquidation judiciaire ne neutralisait pas l'exercice du droit de préemption, le caractère volontaire ou forcé de la cession est indifférent. Cette solution de principe a été confirmée ultérieurement 64. 62 CA Montpellier, 6 novembre 2000 : JurisData n° 2000-136721. 63 Cass. civ. 3e, 5 février 2003 : JCP N 23 avril 2003 n° 21, p. 1339, note B. Grimonprez ; D. 2003, p. 696 ; RD rur. 2003, p. 141, obs. B. Grimonprez. 64 Cass. civ. 3e, 7 avril 2004 : RD rur. décembre 2004, n° 328, comm. 85, B. Grimonprez. b. La confrontation entre le principe du dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire et du droit de préemptionUne difficulté subsiste si c'est le preneur qui est en liquidation judiciaire. Comme nous l'avons déjà dit, le débiteur en liquidation judiciaire est de plein droit dessaisi de l'administration et de la disposition de ses biens tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Le problème est de savoir si cette mesure ne frappe pas le débiteur dans sa capacité à exercer le droit de préemption et, si c'est le cas, de déterminer les conséquences. L'étude des articles du Code de commerce relatifs au dessaisissement du débiteur conduit à envisager que le débiteur ne puisse exercer son droit. La jurisprudence considère que l'article L. 622-9 du Code de commerce devenu l'article L. 641-9 depuis la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 entraîne un dessaisissement s'étendant à toute opération ou tout acte ayant un caractère patrimoniale et atteint l'ensemble des biens du débiteur qu'ils soient affectés ou non à l'exploitation 65. Or, l'exercice du droit de préemption a pour effet d'engendrer une opération permettant l'entrée d'un bien dans le patrimoine du débiteur, ce bien est affecté à son exploitation. La lettre du texte conduit donc à dessaisir le preneur de ce droit. La Cour de cassation a adopté une position contraire dans différents arrêts 66. Elle considère que l'exercice du droit de préemption ainsi que l'action en reconnaissance du bail échappent au dessaisissement qui frappe le débiteur en faillite. Traditionnellement, le failli considère certaines prérogatives pour des droits et actions attachées à sa personne : faculté d'accepter une succession 67... L'exercice du droit de préemption n'appartient pas à cette sphère d'opération. Il y a cependant des explications à cette position. En effet, le droit de préemption est un droit attaché au bail rural. 65 T. com Caen, 25 novembre 1997 : BICC 1998, n° 608. 66 Cass. com., 21 janvier 1974 : Bull. civ IV, n° 4; Cass. Civ 3°, 7 avril 2004 : RD rur. décembre 2004, n° 328, comm. 85, B. Grimonprez. 67 Cass. com., 3 mai 2006 : JCP E 2006, n° 37, p. 1553, obs. M. Cabrillac. Ce bail est un droit personnel, incessible et non patrimonial. De ce fait bien que l'exercice de ce droit engendre une opération d'ordre patrimonial, ce droit n'a pas en lui même un caractère patrimonial. Cette explication est très théorique mais elle démontre que la Cour de cassation observe les prescriptions légales et le statut du fermage. Une autre explication moins théorique existe. Elle est issue de la nature du droit de préemption. Certains auteurs estiment que c'est droit « potestatif » 68, c'est à dire un droit conférant à leur titulaire le pouvoir d'agir sur une situation juridique préexistante par une manifestation unilatérale de volonté. Un tel droit apporte un avantage exceptionnel à son titulaire. En l'espèce ce droit permet de déroger au caractère absolu du droit de propriété du bailleur. Le législateur a donc identifié clairement son titulaire : le preneur en place titulaire d'un bail rural. Ce droit a pour but de permettre la maîtrise de la taille de son exploitation par le preneur. Seul lui est considéré comme seul apte à opérer cette décision. Or dans le contexte de la liquidation judiciaire, le fait de dessaisir le preneur de ce droit au profit du liquidateur entraîne un changement : ce droit n'est plus confié à un exploitant pour qu'il maîtrise le devenir de son exploitation mais à une personne dont le but est de réaliser au mieux l'actif du débiteur pour payer les créanciers. Le droit de préemption est ici détourné de son but initial dans ce cas. On peut objecter que l'exercice de ce droit par le seul preneur est aussi détourné de son but. En effet, si le preneur achète un bien immobilier, il ne pourra pas pas en conserver la maîtrise par l'effet du dessaisissement, il ne pourra donc consentir à un bail rural à ses proches lui permettant de conserver indirectement ce bien (ce qui est tout à fait normal car cela reviendrait à contourner les effets du dessaisissement). La question d'une neutralisation du droit de préemption du fermier en situation de liquidation judiciaire n'est donc pas à exclure. 68 C. Saint-Alary, Le Droit de préemption : thèse LGDJ 1979, n° 507. S'il n'est pas neutralisé, ce n'est que par souci de respecter la lettre du texte mais non son esprit. Il existe une autre interrogation relatif à ce sujet. Le but principal de la liquidation judiciaire étant de payer les créanciers, l'action en contestation par le preneur du prix et des conditions de la vente posée à l'article L. 412-7 du Code rural est-elle neutralisée ? La question est essentielle, cette action est gênante de deux manières pour le liquidateur, d'une part elle peut entraîner la réduction du prix de vente du fonds rural, et d'autre part elle peut entraîner un accroissement du temps nécessaire à la cession du fonds. Il faut se rappeler que la cession des actifs peut se faire soit par adjudication soit par cession de gré à gré avec autorisation du juge-commissaire. Le Code rural a prévu une procédure particulière en cas d'exercice du droit de préemption du preneur lors d'une vente par adjudication. Celle-ci est posée à l'article L. 412-11 du Code rural. La jurisprudence a déduit de la particularité de l'exercice du droit de préemption en cas de vente par adjudication que l'action en révision du prix ou des conditions de la vente est exclu 69. Il faut noter que l'exercice d'une telle action serait contraire au principe des enchères de l'adjudication. Cependant le Code rural ne prévoit aucune procédure particulière lors de la vente de gré à gré au cours d'une liquidation judiciaire. Mais en cas de cession de gré à gré, l'ordonnance du juge-commissaire détermine le prix et les conditions de vente. Si la jurisprudence a estimé que l'exercice du droit de préemption n'entrainait pas la nullité de l'ordonnance bien que cela conduise à modifier le nom de l'acheteur 69 Cass. soc., 17 juin 1948 : JCP G 1948, III, 4507. initialement déterminé 70, il n'est nullement dit que l'exercice de la préemption permet de modifier les autres éléments de l'ordonnance. De plus si cette action était possible, il est fort probable que les juges-commissaires ne permettraient pas la cession de gré à gré des fonds ruraux, le risque de voir le prix d'achat diminué par l'action en révision du prix est un obstacle trop important. |
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