Section II : Un principe par conséquent
assoupli
Le champ d'application du principe - qui initialement couvrait
la totalité de l'exécution de la loi de finances - tend
aujourd'hui à se restreindre. Il est en effet des pans entiers de cette
exécution qui échappent à son emprise. Le principe est
ainsi assoupli aussi bien en matière de dépenses
(I) qu'en matière de dépenses
(II).
§ 1 . En matière de
dépenses78
Les assouplissements du principe en matière de
dépenses varient suivant qu'on s'intéresse aux finances de
l'Administration centrale (A) ou aux finances des
Collectivités locales (B).
77 Luc SAÏDJ, « Réflexion sur le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables »,
RFFP n°41, 1994, p. 69
78 Par assouplissements du principe, nous entendons
les situations dans lesquelles le principe ne s'applique pas ; par
conséquent, la réquisition ne sera pas considérée
comme une limite au principe dans la mesure où même si
l'ordonnateur use de ce droit, la séparation demeure
respectée.
A - Dans les finances de l'Etat
Le principe a subi des aménagements dans certains
domaines au sein de l'Etat. Nous pouvons en répertorier cinq : les
crédits spéciaux du Chef de l'Etat, les crédits de
fonctionnement de l'Assemblée nationale, les dépenses payables
avant liquidation, les dépenses payables sans ordonnancement et les
régies d'avances.
S'agissant d'abord des crédits spéciaux du Chef
de l'Etat79 qui se subdivisent en fonds secrets et fonds politiques,
ils sont librement administrés par le Président de la
République qui n'a de compte à rendre à aucune
autorité politique ou juridictionnelle. « Lors du retrait de
ces fonds au Trésor, le comptable n'exerce aucun contrôle et ne
recueille aucune pièce justificative concernant l'emploi de ces
fonds »80.
Les crédits de fonctionnement de l'Assemblée
nationale sont des fonds versés par le trésorier
général au trésorier de ladite Assemblée. Ces fonds
ne sont soumis qu'au contrôle des ses membres.
Les dépenses payables avant liquidation quant à
elles, concernent les avances et les acomptes. Les avances sont des versements
effectués avant l'exécution du marché, donc en
méconnaissance de la règle du service fait. Pour ce qui est des
acomptes, si l'exécution d'un contrat excède trois mois, et que
l'entrepreneur justifie le commencement de l'exécution du contrat,
l'Etat peut consentir à lui avancer une somme (acompte) qui ne peut dans
tous les cas outrepasser la valeur des prestations exécutées. Les
dépenses payables sans ordonnancement : en raison de leur
caractère répétitif (rémunération des agents
de l'Etat), ou de l'absence de marge de manoeuvre laissée à
l'Administration81 (pensions civiles ou militaires), certaines
dépenses sont payables sur simple présentation des titres de
créances. L'ordonnancement peut intervenir ultérieurement
à titre de régularisation.
En ce qui concerne les régies d'avances, c'est le
même procédé que pour les Collectivités locales (cf.
B - Dans les finances locales).
Il peut être fait abstraction à l'application du
principe dans plusieurs dépenses au sein de l'Etat, ce qui est
cependant tout à fait légal contrairement aux violations. Mais
cette
79 En France, c'est l'équivalent des fonds
spéciaux qui sont l'apanage du Premier ministre qui les utilise et les
répartit entre les différents ministères sans
l'intervention d'un comptable. Cette pratique est justifiée par la
destination de ces sommes (contre-espionnage par exemple), ce qui
n'empêche pas aux ministres destinataires d'informer le Chef du
Gouvernement qui à son tour informe le Parlement.
80 René CELIMENE, Droit budgétaire et
comptabilité publique au Sénégal, NEA, 1985, p. 53
81 Ces types de dépenses peuvent être
qualifiées d'obligatoires ; leur paiement n'est pas assujetti à
l'appréciation de l'opportunité des dépenses auquel se
livre l'ordonnateur
faculté de pouvoir méconnaître le principe
n'est pas spécifique à l'Etat. Les Collectivités locales
peuvent aussi obtenir une dérogation à la règle de la
séparation des ordonnateurs et des comptables.
B - Dans les finances locales
Dans les Collectivités locales, les assouplissements au
principe sont réductibles à la régie d'avances. Les
régies sont des caisses rattachées à un service public.
Elles sont dirigées par des agents - les régisseurs qui sont
nommés par le ministre chargé des Finances ou par le Gouverneur
de région - qui sous l'autorité d'un ordonnateur et d'un
comptable, monopolisent toutes les phases de l'exécution du budget. Dans
le cas des régies d'avances, le régisseur est chargé de
régler les dépenses récurrentes et de faible montant.
L'article 10 du décret 2003-657 du 14 août 2003 relatifs aux
régies de recettes et aux régies d'avances dispose : «
Il est mis à la disposition de chaque régisseur une avance
dont le montant, fixé par l'arrêté ayant institué la
régie et, le cas échéant, révisé dans la
même forme, est au maximum égal, sauf dérogation
accordée par le ministre chargé des Finances, au quart du montant
prévisible des dépenses annuelles à payer par le
régisseur. ». En plus de la modicité et de la
fréquence qui caractérisent les dépenses payées par
le régisseur, ce dernier ne peut payer des dépenses autres que
celles dont il a expressément obtenu l'autorisation (voir article 9 du
décret précité). Une fois par mois, le régisseur
est tenu de fournir au comptable les pièces justificatives des
dépenses effectuées. Si les pièces sont
régulières, un ordonnancement interviendra ultérieurement
pour régulariser les dépenses. Dans le cas contraire, les
régisseurs sont soumis aux mêmes responsabilités que les
comptables publics : c'est ainsi qu'il peuvent constituer un cautionnement
(comme ils peuvent en être dispensés suivant les dispositions de
l'article 4 du décret 2003-657). Ils peuvent aussi, en cas de mise en
débet, bénéficier de la part du ministre chargé des
Finances des mêmes atténuations que les comptables publics. Enfin
ils disposent d'une indemnité de responsabilité82.
En dehors des contrôles effectués par
l'ordonnateur et le comptable, les régisseurs « sont
également soumis aux vérifications de l'Inspection
générale des Finances et à celles des autres structures de
contrôle de l'Etat. » (article 15 décret 2003-657).
L'Inspection générale des Finances qui exerce le pouvoir de
contrôle du ministre chargé des Finances
82 Décret n° 75-1110 du 11 novembre 1975
fixant l'indemnité de responsabilité des régisseurs
(qui nomme ses membres), effectue, suivant l'article 3
alinéa 3 du décret n° 74-1262 du 17 décembre 1974
créant les fonctions d'opérations financières
auprès des départements ministériels83, le
contrôle périodique des opérations des régisseurs.
Parallèlement à ce contrôle, il y a les autres structures
de contrôle de l'Etat parmi lesquelles on peut compter l'Inspection
générale d'Etat qui est chargée de vérifier, de
façon inopinée si nécessaire, l'utilisation des
crédits publics et la régularité des opérations des
régisseurs84.
Le régisseur de manière générale -
le régisseur d'avances en particulier - déroge donc par ses
attributions au principe puisqu'il cumule toutes les tâches. C'est ce qui
fait dire à monsieur FOURRIER qu'il a la qualité «
d'ordonnateur-comptable »85, c'est-à-dire un ordonnateur
de crédits habilité à manier les fonds comme s'il
était un véritable comptable.
Les dépenses publiques échappent pour une partie
non négligeable de leur exécution à l'application du
principe. Qu'en est-il de l'exécution des recettes ?
§ 2 . En matière de recettes
Nous étudierons dans ce paragraphe les assouplissements du
principe à partir de la dichotomie traditionnelle ressources fiscales
(A) et ressources non fiscales (B).
A - Concernant les ressources fiscales
L'application de la séparation aux procédures de
recouvrement des recettes fiscales n'est pas remise en cause pour les
impôts directs. Par contre pour les impôts indirects, c'est la
même administration qui est responsable de toute la procédure de
recouvrement des recettes. Ainsi, la perception de la taxe sur le chiffre
d'affaire, des droits d'enregistrement, des droits indirects et des droits de
douane ne fait pas intervenir un ordonnateur et un comptable en même
temps, mais se fait au comptant ; c'est-à-dire que c'est le contribuable
lui-même qui procède à la constatation et à la
liquidation des droits en reconnaissant immédiatement l'existence et le
montant de l'impôt. Il s'acquitte aussitôt de la somme due
auprès du comptable des services de la direction générale
des
83 JORS, du 4 janvier 1975, p. 5
84 Article 2 du décret n° 80-9 14 du 5
septembre 1980 organisant l'Inspection Générale d'Etat
85 Ce qu'il faut préciser ici, c'est que le
régisseur est un ordonnateur-comptable, car remplit les deux fonctions
à la fois, mais n'est ni un ordonnateur, ni un comptable (n'en a pas
légalement le titre).
impôts (pour les taxes sur la valeur ajoutée par
exemple) ou celui des services de la direction des douanes (droits de douane et
droits indirects).
L'émission d'un ordre ou titre de recette n'est donc pas
indispensable, sauf si le débiteur refuse de payer.
Si la non application du principe à certaines
dépenses est la plupart du temps justifiée par leur
fréquence et la modicité de leur montant, le fondement est ici
à chercher dans des impératifs de rapidité et
simplification de la procédure de perception.
Les dérogations au principe ne sont pas uniquement
perceptibles en matière de ressources fiscales, mais également en
matière de ressources non fiscales.
B - Concernant les ressources non fiscales
Les atténuations de la règle de
séparation en matière de recettes non fiscales renvoient aussi
aux régies, mais cette fois ci aux régies de recettes. Le
décret 2003-657 a autorisé les régisseurs de recettes
à recouvrer des recettes sans y avoir été autorisés
a priori par un titre de perception. Tout comme pour les régies
d'avances, la somme doit être modeste mais elle doit aussi avoir un
caractère non fiscal. L'article 6 du décret 2003-657 stipule
à cet égard : « Sauf dérogation accordée
par le ministre chargé des Finances, les impôts, taxes et
redevances prévus au code général des impôts, au
code des douanes et par les lois en vigueur ne peuvent être
encaissés par l'intermédiaire d'une régie. ». On
peut ranger dans ces recettes, les loyers en cité universitaire, les
droits d'inscription dans les bibliothèques, les droits d'entrée
dans les musées etc. Si le régisseur recouvre des recettes autres
que celles pour lesquelles pouvoir lui a été donné, il se
constituera comptable de fait.
Après avoir encaissé les recettes, il les
reverse au comptable qui effectue un contrôle sur l'exactitude de la
liquidation avant de saisir l'ordonnateur pour l'émission d'un titre de
perception en vertu duquel le recouvrement est régularisé. Si les
vérifications révèlent des irrégularités, le
régisseur peut être amené à s'expliquer ou
être mis en débet.
Les régies de recettes et les régies d'avances sont
soumises au même système organisationnel et aux mêmes
contrôles.
Les inconvénients du principe de la séparation
des ordonnateurs et des comptables, qu'ils soient afférents au principe
lui-même ou à ses incidences sur l'organisation administrative, ne
sont pas négligeables. En dépit des raisons nobles qui ont fait
naître cette règle, son application a entraîné des
blocages à telle enseigne qu'on est arrivé à se demander
si elle était toujours pertinente. Pour corriger ces
défectuosités tout en maintenant le principe, le
législateur a envisagé des situations dans lesquelles il
était possible de se passer totalement ou partiellement de cette
séparation des agents d'exécution du budget suivant les exigences
d'efficacité.
Ces inconvénients ne sont cependant qu'une facette du
principe, en l'occurrence son impact négatif sur l'exécution du
budget. On ne saurait en effet contester aujourd'hui l'apport positif du
principe qui se ramène principalement à l'assainissement des
finances publiques et à la rationalisation des opérations sur les
deniers publics.
|