Section II : Une gestion saine des finances
publiques
Assainir la gestion financière publique était la
principale préoccupation de la règle de la séparation et
on peut affirmer que les avantages qu'il présente dans cette optique ne
sont pas moindres quand on sait qu'il existe un contrôle mutuel
(I) et des sanctions aux immixtions (II).
§ 1. Le contrôle mutuel
Cette surveillance est réciproque parce qu'elle peut
être exercée par l'ordonnateur sur le comptable
(A) ou inversement (B).
A - Le contrôle de l'ordonnateur sur le
comptable
Dans les manuels de finances publiques, les auteurs ont le
plus souvent recours au terme contrôle mutuel. L'expression surveillance
mutuelle aurait été plus adaptée que ce dernier pour la
simple et bonne raison que l'ordonnateur n'effectuait pas initialement un
véritable contrôle mais il se contentait tout simplement
d'autoriser le comptable à agir. L'intérêt de cette
autorisation préalable était que le comptable ne pouvait prendre
des initiatives à l'insu de l'ordonnateur. Certains ont vu dans cette
autorisation un contrôle préalable, mais c'est la loi organique
française 2001-692 du 1er août 2001 portant loi
organique relative aux lois de finances qui va donner à l'ordonnateur un
véritable pouvoir de contrôle sur l'activité du comptable.
L'ordonnateur est désormais en mesure de participer aux
opérations d'inventaire annuelles qui consistent en des
évaluations de comptabilisation des stocks de clôture, de
constatation et de la dépréciation des éléments
d'actifs (amortissements), d'enregistrement des risques. Ce contrôle a
été mis sur pied en
même temps que les prologiciels ACCORD55
(Application Coordonnée de Comptabilisation et d'Ordonnancement de
Règlement des Dépenses). Ce sont des prologiciels
intégrés de gestion qui permettent de suivre toutes les phases de
la dépense de l'Etat depuis l'attribution des crédits
budgétaires jusqu'au règlement de la dépense.
En somme, le comptable public fait à la fois l'objet
d'une surveillance préalable et d'un contrôle postérieur
par l'ordonnateur. En revanche, le principe a aussi reconnu au comptable un
droit voire une obligation de contrôle sur l'activité de
l'ordonnateur.
B - Le contrôle de l'ordonnateur par le
comptable
C'est une faculté qui est intrinsèque aux
attributions du comptable. Ce contrôle ne peut être dissocié
de l'opération de paiement, tout au contraire, il en est même une
condition. Il porte sur le respect de l'autorisation budgétaire par
l'ordonnateur. Le comptable vérifie la disponibilité des
crédits, l'intervention antérieure des contrôles
règlementaires et l'existence de visas. Le contrôle s'effectue en
deux temps : un contrôle financier préalable qui
s'intéresse à la régularité des actes que le
comptable reçoit de l'ordonnateur et un contrôle a posteriori
après que l'engagement ait acquis force définitive. Ces deux
contrôles sont complémentaires. Ce contrôle ne saurait
cependant aller au-delà de la légalité budgétaire
comme l'a rappelé le juge financier (C. comptes, 28 mai 1952, Marillier,
receveur commune de Valentigney). Le comptable ne peut en effet s'ériger
en gardien de la légalité administrative, c'est-à-dire
veiller au respect des lois et règlements par l'ordonnateur.
Pour rendre transparente l'exécution du budget, le
principe de la séparation des ordonnateurs et des comptables a
institué un système assez original : contrôler les acteurs
de cette exécution concomitamment à l'exercice de leurs
fonctions. Tous les systèmes classiques étaient basés sur
un contrôle postérieur ; avec le principe, il ne s'agit plus de
réprimer uniquement les comportements frauduleux, mais de les
prévenir. Désormais, l'accès aux deniers de l'Etat ne peut
plus être l'apanage d'une seule personne. Les caisses de l'Etat ne
s'ouvrent que si des acteurs se donnent mutuellement l'autorisation.
55 Cf. Raymond MUZELLEC, Finances publiques,
14e éd., Sirey, 2006, p. 387.
Cependant, si le principe dissuade théoriquement toute
tentative de fraude, il faut reconnaître que l'efficacité d'une
règle se jauge par rapport à sa vocation à être
respectée : c'est pourquoi la violation du principe est
sévèrement réprimée.
§ 2 . La sanction des immixtions
La sanction varie selon que c'est l'ordonnateur qui s'est
comporté en comptable : c'est la gestion de fait (A) ou
que le comptable s'est arrogé certaines fonctions de l'ordonnateur, se
rendant par la même occasion coupable de concussion
(B).
A - La gestion de fait
C'est la situation de l'ordonnateur qui s'est immiscé
dans les fonctions du comptable : on le désigne comptable ou encore
gestionnaire de fait. L'article 25.2 de la loi organique 99- 70 dispose :
« (...).Est réputé comptable de fait toute personne qui
effectue, sans y être habilitée par une autorité
compétente, des opérations de recettes, de dépenses, de
détention ou de maniements de fonds ou valeurs appartenant à un
organisme public.(...). ». Il faut cependant distinguer la gestion de
fait de la gestion exceptionnelle56. En cas de circonstances
exceptionnelles (guerre par exemple), lorsque le comptable n'est pas à
son poste, il peut être remplacé pour les dépenses
d'utilité publique. C'est donc une gestion intérimaire à
l'opposé de la gestion de fait qui est une gestion latérale
à la gestion du comptable qui est toujours à son
poste57.
La notion de gestion de fait une théorie d'origine
jurisprudentielle58 que le législateur va reprendre dans les
textes. Il peut s'agir d'une extraction irrégulière de fonds ou
valeurs59 ou encore d'une ingérence dans le
recouvrement60. L'ordonnateur peut avoir manié lui-
même : c'est la comptabilité de fait de brève main, mais il
peut aussi manier par l'intermédiaire d'une autre personne, une gestion
de fait qui sera qualifiée de longue main61. Dans tous les
cas, si l'ordonnateur est déclaré comptable de fait, il est
soumis aux mêmes obligations et responsabilités que le comptable
patent ou de droit, y compris
56 C.comptes, 4 juin 1943, Polin et Pinguet, commune
de Viroflay, GAJF, n° 44, p. 389 et s.
57 Voir les commentaires de Francis FABRE sur
l'arrêt C.comptes, 4 juin 1943, Polin et Pinguet, commune de Viroflay,
GAJF, p.390.
58 C.comptes, Ville de Roubaix, 23 août 1834,
GAJF, n° 29, p. 261 et s.
59 C.comptes, 25 octobre 1961, Leclercq,
département d'Ille-et-Vilaine, GAJF, n° 31, p. 283 et s.
60 Pour les opérations constitutives de gestion
de fait, voir GAJF, p. 290 et s.
61 C.comptes, 15 janvier 1875, Janvier de la Motte et
consorts, département de l'Eure et commune d'Evreux, GAJF, n° 42,
p. 359 et s.
devant la Cour des comptes. De surcroît, à moins
qu'il ne soit poursuivi pour les mêmes faits au pénal, il peut
être condamné à une amende62 pour s'être
immiscé dans les fonctions du comptable63. Si l'ordonnateur
est un exécutif local, entre la déclaration et la
réception du quitus et de sa gestion, il est suspendu de sa fonction
d'ordonnateur et en France, avant la loi n° 2001-1248 du 21
décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes, il
était automatiquement inéligible pour un autre mandat.
L'ordonnateur déclaré gestionnaire de fait doit rendre des
comptes à la Cour des comptes qui, si nécessaire, le met en
débet.
Les sanctions lourdes attachées à cette
première violation de la séparation témoignent de
l'importance qui est accordée au principe, mais aussi et surtout de sa
force dissuasive
pour tout ordonnateur qui aurait pour intention d'usurper les
fonctions du comptable.
La gestion de fait n'est néanmoins qu'une facette des
violations dont le principe peut faire l'objet ; l'autre étant la
situation inverse où le comptable ne se cantonne plus au maniement des
fonds.
B - La concussion64
C'est l'immixtion du comptable dans les fonctions de
l'ordonnateur. Cette ingérence est le plus souvent symbolisée par
le fait pour le comptable de procéder à une opération de
recouvrement sans avoir reçu au préalable un titre de perception,
en d'autres termes sans avoir obtenu l'autorisation de l'ordonnateur.
La concussion est plus sévèrement
réprimée comparée à la gestion de fait. L'article
156 du code pénal sénégalais stipule : « Tous
fonctionnaires ou officiers publics, tous percepteurs des droits, contributions
ou deniers publics, leurs commis ou préposés, qui auront
reçu, exigé ou ordonné de percevoir pour droits, taxes,
contributions ou deniers, ou pour salaires ou traitements, ce qu'ils savaient
n'être pas dû ou excéder ce qui était dû,
seront punis, à savoir : les fonctionnaires, officiers publics ou
percepteurs, d'un emprisonnement de deux à dix ans et leurs commis ou
préposés d'un emprisonnement d'un à cinq ans ; une amende
de 250.000 à 500.000 francs sera toujours prononcée. ».
62 Le montant de cette amende, qui ne peut
excéder le total des sommes illégalement détenues ou
maniées, est évalué en fonction de l'importance et la
durée du maniement ou de la détention des deniers (loi 99-70,
article 25 in fine).
63 C.comptes, 7 octobre 1982, Delahaye, centre de
loisir de la commune de Beaune, GAJF, n° 46, p. 411 et s.
64 Nous avons réduit les violations du
comptables aux seuls encaissements sans autorisation ; les paiements
entraînant tout simplement sa mise en débet.
De même en droit français, ce comportement
répréhensible est puni d'une peine de cinq ans de prison et d'une
amende de soixante quinze mille euros (75.000 €).
La remarque formulée à l'endroit de la
répression de la gestion de fait est si ce n'est a fortiori au moins
valable pour la concussion.
Contrairement à une idée reçue qui
voudrait qu'on classe les situations de non application du principe de
séparation en dérogations autorisées et dérogations
non autorisées, et qui classe les deux que nous venons d'étudier
dans la seconde catégorie, la gestion de fait et la concussion sont des
violations pures et simples du principe de la séparation des
ordonnateurs et des comptables et leur répression contribue à
démontrer encore une fois qu'il y a toujours une place de choix pour
cette sacro-sainte règle dans l'exécution du budget.
Toutefois, le principe n'est pas sauf de toute critique. Tout
au contraire, le débat est aujourd'hui de savoir s'il garde toute
l'importance qui lui avait été accordée sous
Villèle65. En d'autres termes, l'efficacité de la
séparation ordonnateur-comptable présente des limites qui ont eu
une conséquence sur son champ d'application.
65 Il ne faut pas perdre de vue que le principe est
« le résultat de la méfiance du pouvoir législatif
à
l'égard de ceux qui étaient amenés à
gérer les fonds. » (Christian BIGAUT, ibid.). Cette garantie contre
les malversations qu'il représentait en faisait une règle
incontournable.
Chapitre II : Les inconvénients du principe de
la séparation des ordonnateurs et des comptables
La pertinence d'une séparation des ordonnateurs et des
comptables dans l'exécution du budget, même si elle est
avérée, n'est absolue. A côté de toutes les vertus
qu'on lui reconnaît, force est d'admettre qu'on peut identifier dans sa
mise en oeuvre quelques problèmes qui poussent certains
auteurs66 à s'interroger sur l'intérêt du
maintien du principe tel qu'il était conçu initialement. Cette
interrogation se retrouve également chez le législateur qui pour
mettre les entreprises publiques dans les mêmes conditions
d'efficacité et de rendement que les sociétés
commerciales, n'a pas hésité à les soustraire de
l'application impérieuse des règles de la comptabilité
publique, donc de l'application du principe67. Une solution moins
radicale a été adoptée pour l'Etat et les
Collectivités locales qui peuvent voir l'application du principe
atténuée à leur égard.
Le principe est donc aujourd'hui exposé à la
critique (Section I) pour ne pas dire remis en cause, raison
pour laquelle des assouplissements (Section II) ont
été prévus.
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